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Les Gardiens


Alexas
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Les Gardiens

 

 

"Les Gardiens, une caste bien singulière au sein des nains ! [...] On ne devient pas Gardien, on naît pour l'être. Aucun nain ordinaire ne peut les égaler dans l'art de la guerre. Dotés d'une force, d'une agilité et d'une vitalité extraordinaire au combat, ils semblent complètement éteints en dehors. Comme si ils avaient le poids du monde sur leurs épaules et que chacune de leurs actions risquait de le renverser !
Car tel est leur fardeau ! Ils sont nés pour servir les nains, ou plutôt pour les protéger, des autres et d'eux-mêmes. Ainsi, les sept Gardiens sont repartis équitablement entre chacune des provinces naines. Un par capitale. [...]
Le gardien ne s'immisce pas dans la politique d'une ville ou d'une nation, il n'en a pas besoin pour être au courant de tous les dangers qui menacent le peuple nain. Car tant qu'il est menacé, le Gardien ne trouve pas de repos. Incapable de manger ou de dormir, le Gardien n'éprouve pas non plus le désir de la chair. [...]
Il est écouté des plus grands souverains car d'une grande sagesse. Et les seuls s'étant délibérément tournés vers la guerre se sont vus tués de la main de l'un d'eux. [...]
Il est d'usage de dire qu'une ville fortifiée de bonne taille peut être conquise par les Sept. Nous n'irons pas jusque là, ne connaissant pas précisément l'étendue de leur pouvoir. Mais cela ne m'étonnerait pas qu'ils en soient réellement capables !" ~ Muardin Chercheur-D'Or, "Note du peuple Nain" 1E198

Le jour s'était à peine levé sur les hautes montagnes de l'Hurghön, mais déjà Juyrd veillait. Toute la nuit il n'avait eu de cesse de scruter l'horizon, le regard fixe, à l'affût du premier signe suspect qui soit. Comme il le faisait sans discontinuer depuis des années ... Juyrd était un gardien, un élu des Titans.

Niché sur un promontoire surplombant la ville, il la veillait comme un aigle sur son nid. Le Gardien n'avait changé de position depuis des cycles et des cycles : Un genou au sol, les deux mains sur le pommeau de sa hache dont la tête était désormais solidement incrustée dans la roche. Cette position n'était pas faite pour être confortable, elle devait lui rappeler les souffrances perpétuelles de tout un peuple. Un vent d'ouest ne tarda guère à se lever, apportant à lui les douces odeurs du matin ... Mais à son contact, il frémit, comme si la lame d'un couperet s'était déposée sous sa gorge. Ce vent était chargé d'énergie magique. Mais pas la douce et chaude énergie de la terre, non ... Une magie froide, puissante et destructrice, voilà ce que c'était.

Brisant son immobilisme imposé, il se redressa de toute sa hauteur et inspira à pleins poumons. Après avoir délogé sa lourde hache du sol, il caressa pensivement sa longue barbe brune. Juyrd avait fière allure dans son armure dorée parée de mille pierres précieuses, une capuche cyan lui recouvrait une bonne partie du visage. Son visage dur et impénétrable témoignait d'une dévotion sans faille à sa tâche. Note intéressante, ses yeux n'étaient pas noisette, comme l'immense majorité du peuple nain, mais d'une sombre couleur écarlate.

*Je dois m'entretenir avec les autres.*

Et ainsi, il descendit de son promontoire pour la première fois depuis de nombreux cycles. En fait, cela faisait si longtemps qu'il existait ici des jeunes adultes ne l'ayant jamais vu et des plus vieux l'ayant oublié. Lorsqu'il traversa la grand place de la ville, un silence assourdissant saisit la foule, ébahie de voir un Gardien en chair et en os. Les seuls bruits qui se faisaient encore entendre étaient le claquement sec des bottes de Juyrd sur les pavés de la place ainsi que les beuglements caractéristiques d'animaux en cage. La venue d'un Gardien n'était jamais synonyme de bonne nouvelle. Ainsi, la plupart de la population redoutait le jour où elle aurait à en croiser un. À peine eut-il fini sa traversée que le brouhaha de citoyens interloqués se fit entendre.

Sans passer par le Château ou quelque institution officielle que ce soit, il se dirigea plutôt directement vers les écuries. Là-bas, il sella le cheval le plus rapide et se mit directement en route. Les nains ne voyageaient pas souvent à cheval. C'était un moyen de transport inconfortable et fort peu adapté à leur petite taille.

Il chevaucha jour et nuit, ne s'accordant une pause que lorsque sa monture était à la limite de l'épuisement. À l'aube du cinquième jour de voyage, il aperçut enfin les épaisses murailles de la bibliothèque d'Hulla, un sanctuaire sacré où est contenu tout le savoir du peuple nain, ainsi que ses plus grands secrets. La demeure des Gardiens.

Passant l'arche se dessinant dans les murailles, il posa pied à terre au bas d'un interminable escalier de marbre noir veiné de blanc serpentant jusqu'à une immense porte de pierre incrustée au flanc d'une montagne. Il le gravit, marche par marche, aussi lentement qu'un condamné marchant vers le billot. Juyrd réfléchissait à ce qu'il allait bien pouvoir dire aux autres Gardiens, même si eux aussi l'avaient sûrement senti.

Après la porte aux lourds battants de pierre s'étendait un vaste hall d'entrée pavé d'une sombre pierre d'origine inconnue. D'immenses colonnes se perdaient dans la pénombre avant d'atteindre le plafond de la salle. Il entra bientôt dans une pièce rectangulaire de taille moyenne : la salle de conseil. Au milieu de celle-ci trônait une massive table de pierre incrustée d'or et d'argent. Autour étaient disposés consciencieusement six sièges eux aussi taillés dans la pierre. Cinq nains étaient déjà assis autour de la lourde table. L'un d'eux prit la parole :

"- Bien, nous sommes maintenant au complet. Tu as trainé Juyrd.
- Je le sais, les conditions n'étaient pas idéales pour le voyage. Et j'ai malheureusement senti bien tard la menace.  répliqua-t-il.
- C'est l'âge, la fatigue émousse tes sens." dit un troisième.

S'asseyant, il toisa le Gardien qui venait de parler, sans doute le plus jeune du groupe, il jouissait encore d'une fougue rare pour l'un d'entre eux.

"Ça ne durera pas."

Juyrd était en effet le plus vieux des Gardiens. Il avait connu bien des batailles, et la mort ne lui faisait plus peur. Il se surprenait même à penser que la mort serait un repos bien mérité après une vie comme la sienne. Mais le secret de sa longévité ne résidait pas dans quelque remède ou plante médicinal que ce soit, non. Cela lui venait de son arme, Humbaldur, une hache aux propriétés exceptionnelles. Composée d'un manche et d'une arrête centrale forgée dans l'or le plus pur, les deux lames avaient quant à elles été taillées à partir d'un cristal d'un bleu brillant qui vibrait d'énergie. On disait de cette arme que son porteur ne pouvait mourir tant qu'il avait quelque chose à accomplir mais que dès lors où sa vie n'aurait plus de sens, elle la prendrait. En tant que Gardien ayant pour tâche de protéger les nains aussi longtemps qu'il vivrait, il était potentiellement immortel. Mais si ne serait-ce qu'un seul instant, il cessait de croire en sa tâche, il mourrait. Un bien lourd fardeau pour quelqu'un portant déjà le destin d'un peuple à bout de bras en somme.

Le premier nain à avoir parlé reprit la parole :

"- La Sentinelle ne devrait pas tarder."

La Sentinelle était le chef des Gardiens, elle n'avait pas de nom, pas même d'existence physique, c'était un être de pure énergie directement en contact avec les Titans. Le guide et la force des Gardiens, elle était là au commencement et avait toujours guidé les nains vers la victoire. Elle veillait sur la capitale de l'alliance tant et si bien qu'aucune guerre ne l'avait atteinte depuis son édification il y a des siècles. Elle n'apparaissait qu'en de très rares occasions et seulement à des personnes exceptionnelles, lorsque la survie du peuple nain en dépendait directement.

Et effectivement, dans les minutes qui suivirent, elle apparut dans une lumière aveuglante. La Sentinelle avait un aspect pour le moins singulier ! En fait, le seul fait de penser pouvoir la décrire découle d'une idiotie. Elle n'était en fait qu'une sorte de brume compacte et changeante, palpitante, se contractant et s'étirant sans cesse. Luisant faiblement, elle attira bientôt toute l'attention des Gardiens. Soudain, une voix gutturale sans source retentit :

- L'heure est grave mes frères.

La Sentinelle aimait user d'expressions comme celle-ci, car bien que plus proche des Titans que des nains, elle se plaisait à se considérer comme tel.

- Ce monde s'effrite. L'obscure magie des humains l'a perverti et maintenant, la terre la rejette. Ce monde va mourir pour se purifier, et renaître en faisant peau neuve. Aucun de nous ne pouvons l'empêcher. Pas même les Titans ne peuvent faire face au cycle de la terre, l'éternel recommencement . Les Nains sont condamnés.

Cette annonce fit l'effet d'un coup de massue dans l'assemblée. Même si tous ici avaient senti quelque chose d'anormal, aucun n'aurait pu imaginer que leur civilisation allait être réduite au néant. Juyrd prit la parole, en tant que plus vieux nain présent, il était d'usage qu'il parle le premier.

- Ne peut on rien faire pour l'empêcher ou le retarder ? Le temps de trouver une solution ...
- Le cycle de la vie est inaltérable. Mais par chance, j'ai ouï dire que les quatre avaient eux aussi senti la menace, et qu'ils préparaient quelque chose pour l'éviter. Rétorqua la Sentinelle.
- Quoi donc ?
- N'avez vous pas reçu d'émissaire ? Demanda-t-elle visiblement surprise.

Les Gardiens se jetèrent un regard négatif. Aucun d'eux n'avait reçu la visite d'un quelconque envoyé de l'empire. Le plus jeune nain s'exclama :

- Chiens ! Il n'ont pas jugé bon de nous mettre au courant peut-être ! C'est vrai, la mort de toute une espèce leur importe peu !
- Modère tes paroles. Nous ne savons pas quelles sont leurs raisons. Alors ne t'avance pas trop. Nous ne connaissons pas précisément la nature de leur remède, même si j'ai ma petite idée là-dessus. Nous savons juste que tous les habitants du monde sont conviés à rejoindre la capitale de l'empire humain. Je vais charger quelqu'un de porter des messages à chaque roi de l'alliance afin de les informer de la situation.

Juyrd, visiblement dépité, reprit la parole :

- Mais, vous avez dit que même les Titans ne pouvaient rien ! Comment quatre mages, aussi puissants soient-ils peuvent-ils avoir la solution ?
- Ho, les peuples sont bien plus inventifs et ingénieux quand leurs existences touchent à leur fin. Oui, le monde tel que nous le connaissons ne peut être sauvé. Mais un autre peut nous accueillir. Stendel ne sera qu'une arche si tu veux mon avis. Un vaisseau flottant entre les mondes.

Tout le monde se tut. Ne sachant plus quoi penser, Juyrd s'apprêta à poser une question lorsque la Sentinelle parla :

- Il me faut un volontaire. Pour protéger le savoir de notre peuple qui est contenu entre ces murs. Dit-elle d'un ton calme.
- Mais vous avez dit que ce monde allait prendre fin !
- Oui, mais aussi qu'il allait renaître. Et dès que cette nouvelle ère commençera, notre peuple reviendra ici. Car c'est un de nos seuls liens avec les Titans. Il ne tient qu'à nous de faire perdurer cet endroit afin que les générations futures puissent en profiter. Je ne peux pas partir, je suis attaché à cette terre. Alors supporterais-je un changement aussi radical de ce monde ? Si j'en étais sûr, je ne demanderais pas à l'un d'entre vous de rester. Car malgré mes pouvoirs, je ne peux lire dans l'avenir.

Juyrd se leva sans hésitation et dit :

- Je le ferai ! Je protègerai cet endroit pour que nos enfants ne perdent pas le savoir des anciens.
- Ainsi soit-il.



Assis sur un des créneaux de l'antique muraille, Juyrd réfléchissait. Voilà déjà dix-sept jours que ses compagnons étaient partis. Et son peuple avait sûrement déjà rejoint Stendel. Cependant, il ne pouvait s'empêcher d'avoir des mauvais pressentiments. La Sentinelle lui avait déjà rapporté des événements bien sombres à l'ouest. Et le mal progressait vite ...
Au soir, toujours du même promontoire surplombant la plaine en contrebas de la muraille, il aperçut un convoi d'humains se déplaçant en direction de l'est. Sautant au bas de la muraille d'un bond qui aurait brisé les os de bien des humains, il se dirigea vers le convoi.

Et c'est d'humains affaiblis et désespérés dont il fit la connaissance. La rumeur du Cataclysme approchant s'était faite si forte que toutes les populations avaient commencé à migrer vers Stendel. Mais eux étaient arrivés trop tard. Lorsqu'ils avaient enfin embrassé une vue d'ensemble de ce qu'aurait dû être la ville, ils ne découvrirent qu'un immense cratère fumant et bouillonnant. Ils avaient alors entendu de la bouche d'autres voyageurs que des nains avaient décidé de rester sur ce monde, ayant trouvé un moyen de se protéger des affres du Cataclysme.

Ces humains ne se trompaient pas, la Sentinelle avait bel et bien trouvé un moyen de protéger le sanctuaire et ses alentours immédiats du cataclysme. Ils avaient aussi raison lorsqu'ils avaient mentionné des nains. En effet, les neuf prêtres des Titans, protecteurs du sanctuaire, avaient tous décidé de rester pour aider Juyrd et la sentinelle dans leur tâche.

- Et le fait que vous soyez là confirme leurs dires ! Alors comme ça vous avez trouvé un moyen de vous protéger du Cataclysme ? Demanda un grand homme blond d'un trentaine d'années, les cheveux auburn coupés court, qui disait se prénommer Ylian.
- Installez-vous au bas des murailles, mais qu'aucun de vous ne s'approche de notre sanctuaire. Ou vous en paierez tous le prix. Leur ordonna le Gardien d'un ton sec.

Cela allait contrarier la Sentinelle. Elle n'avait d'affection que pour les Nains et considérait les autres peuples non pas avec mépris, mais avec une indifférence peu commune. Elle verrait d'un mauvais œil le fait que des humains aient été autorisés par un Gardien à séjourner aux abords du sanctuaire. Lorsqu'elle l'interpella à ce sujet, il répliqua seulement que quelques humains n'allaient pas fondamentalement chambouler leur plan.

À mesure que les jours passaient, les signes annonciateurs de la catastrophe se faisaient de plus en plus présents. La végétation mourait, le vent était plus fort que jamais et Juyrd avait arrêté de compter les secousses qu'il subissait chaque jour.
Alors qu'il empruntait un couloir pour se rendre sur les murailles, il se fit interpeller par un des prêtres qui passait par la :

- Gardien ! Je voulais vous faire part de mes inquiétudes au sujet des humains ... Ils sont de plus en plus inquiets de dormir dehors et m'ont dit qu'à chaque fois que l'un d'eux s'endormait, il craignait de ne plus revoir la lumière du jour.
- Dis leur qu'une promesse est une promesse, et que ...

À ce moment précis, il fut interrompu par une secousse infiniment plus puissante que les autres. Elle ébranla les fondations mêmes du sanctuaire.

- Le moment est venu.

Et sur ces mots, Juyrd s'élança au pas de course dans les divers couloirs traversant l'épaisse muraille. Il devait se rendre dans la bibliothèque et le chemin le plus rapide était de sortir de la muraille et d'emprunter l'escalier central. Mais lorsqu'il poussa la lourde porte de bois qui donnait sur l'extérieur, ce qu'il vit lui glaça le sang.

Les cieux étaient rouge. Un rouge sang, malsain et dangereux. Des cendres commençaient déjà à tomber abondamment, tant et si bien qu'une fine couche recouvrit bientôt le sol, imprimant chacun de ses pas ... Et cette chaleur, il était devant ce que les humains appelaient l'enfer en somme ...

À mi-chemin du pied de l'escalier, il fut agrippé par Ylian, hystérique :

- Maître Nain ! Je vous en supplie faites quelque chose !
- Lâchez moi, j'ai à faire !
- Mais enfin voyez ! Voyez ce qui arrive maintenant ! Des colonnes de flammes s'élevant jusqu'au firmament ! Des cendres voilant la vue et sapant les âmes ! C'est la fin !
- Écoutez, je ...
- Non, vous, écoutez-moi ! Vous nous aviez dit que nous serions protégés ! Que nous n'aurions rien à craindre ! Que ...

À ce moment, un éclair tonna. Tout proche, il surprit l'humain qui relâcha son étreinte. Juyrd en profita pour mettre de la distance entre lui et Ylian qui trébucha en essayant de le rattraper. Le visage plein de cendres, l'humain lança un cri de désespoir :

- Vous aviez promis ! Dit-il en sanglotant.

Ne daignant pas se retourner, Juyrd continua sa route au pas de course lorsqu'une seconde secousse, encore plus puissante que la première, le fit trébucher. Malgré ça, il ne tarda pas à arriver dans le hall principal et à emprunter la direction de la grande bibliothèque d'Hulla. D'ailleurs, de l'avis de bien des humains, cette appellation n'aurait pas été correcte, la bibliothèque ne contenant aucun livre, mais plutôt d'énormes cristaux imprégnés de tous les souvenirs de chaque nain ayant vécu.

Malheureusement, arrivant à ce qui aurait dû être l'entrée de la bibliothèque, il se trouva que le couloir avait été bouché par des gravats ! Il s'était effondré lors des secousses. Et c'était la seule entrée ! Bientôt rejoint des neuf prêtres, la Sentinelle restait introuvable. Il fouilla longuement dans son armure et un ressortit un cristal bleu roi gros comme un poing de nain et le confia à l'un des prêtres. Puis, détachant les sangles qui retenaient Himbaldur dans son dos, il s'attaqua aux gravats. Sans faiblir, il martela la pierre qui ployait sous la puissance de ses coups. Et pendant ce temps là, Juyrd avait les yeux fixés sur ses pensées. Il pensait à ces humains à qui il avait fait la promesse de les protéger et qui étaient maintenant saisis par la terreur, le désespoir et toutes sortes de sentiments plus désagréables les uns que les autres ....

Sa hache entra une fois de plus en contact avec la pierre qui produisit un craquement sonore.

Il pensait aussi à ces hommes, ces femmes et leurs enfants à qui il avait promis. Il revoyait leurs visages, leurs sourires ...

Alors qu'il continuait de marteler les débris, les pierres qu'il touchait explosaient en mille morceaux sous la force de ses coups. Lorsqu'il sentit que la barrière de gravats allait bientôt céder il recula de trois pas ...

Il revoyait ces enfants jouant dans les plaines, sans conscience du danger qui se rapprochait, engendré par la folie et la soif de pouvoir des hommes.

Il leva Himbaldur haut au dessus de sa tête ...

Et maintenant, il revoyait les mêmes enfants, se consumant sous les cieux rouges, ne pouvant bouger, s'étouffant à mesure que les cendres les recouvraient.

... Et l'abattit avec une force inouïe sur le tas de débris tant et si bien qu'elle le transperça et se planta dans la pierre, en formant une large fissure dans le sol de marbre. Reprenant le cristal en main, il courut jusqu'à l'autel qui avait était construit pour l'accueillir. Une fois inséré dans son socle, le cristal procurerait au sanctuaire une défense impénétrable contre les éléments déchaînés.

C'est une troisième secousse qui entraina Juyrd à lever les yeux sur les murs et le haut plafond de la salle, guettant chaque nouvelle fissure se formant dans la roche. Tantôt fine comme un cheveu, tantôt épaisse comme un doigt de nain, elles commençaient à lézarder les épais murs de pierre et à menacer la solidité du sanctuaire tout entier. Se ruant sur l'autel, Juyrd posa le cristal sur son réceptacle. Pendant quelques secondes, il ne se passa rien. Puis une lumière aveuglante fut émise par la pierre. Une lumière blanche et chaude, de celles qui redonnaient espoir. Juyrd eut une sensation étrange, celle de dormir. Cela faisait des cycles que ça ne lui était pas arriver. Le repos, le relâchement, c'était quelque chose d'inconnu à quelqu'un qui doit veiller sur un peuple jour et nuit.

Il se revoyait dans son enfance, jouant et riant avec les autres nains, puis à sa majorité, la remise de ses armes et la Sentinelle lui révélant quelle serait la tâche qui lui incomberait pour les siècles à venir. L'appréhension, le doute ... Bientôt remplacés par une foi sans faille et inébranlable envers les Titans et son propre devoir. De longues, éprouvantes et horribles batailles, et du sang, tant de sang ...
Puis la paix, pendant des décennies. Encore la guerre, que ce soit par les Hommes, les orcs ou les elfes, elle venait toujours de quelque part. Tant de guerres qu'il ne les comptait plus. Et sitôt un conflit résolu, il revenait se poster à la même place, jusqu'au prochain. Ainsi sa vie filait, sa longue et interminable vie. Était-ce un cadeau ou une punition ? Avait-il déçu ou honoré les Titans ? Nul ne le savait.

Puis la teneur des ses "rêves" changea du tout au tout, il s'y sentait oppressé, comme guetté d'une catastrophe inévitable et sans précédent. L'angoisse le saisit ...

Il ne sut combien de temps il avait dormi ... Mais lorsqu'il se réveilla, il se trouvait dans un lit bien chaud, et tout était calme. Aucun tremblement, sifflement, grésillement ou crépitement ne venait troubler le silence reposant de cette pièce. Se levant rapidement, il revêtit l'armure qu'il n'aurait jamais dû quitter et voulut sortir sur les murailles. Bien que ne sachant pas du tout où il se trouvait, il retrouva assez facilement le chemin de l'extérieur où il assista à un spectacle incroyable. À quelques centaines de pas au dessus de sa tête s'étendait un gigantesque champ d'énergie changeant, vibrant et palpitant sans cesse. Sans doute signe du cataclysme qui faisait rage à l'extérieur. En revanche, à l'intérieur du dôme formé par L'Aura, comme l'appelait déjà les humains, la température était convenable et seules quelques cendres jonchant encore le sol çà et là témoignaient encore de l'existence d'une quelconque catastrophe.

Durant les mois, les cycles et les décennies qui suivirent, la vie suivit son cours relativement normalement. L'Aura avait couvert une zone suffisamment large pour accueillir un village entier d'humains. Et c'est ce qui ne tarda pas à se développer. Mais Juyrd était inquiet. D'année en année, le cristal se fissurait. Ne perdant jamais en puissance, c'est son intégrité physique qui était menacée. Il n'avait sans doute pas était prévu qu'il soit appelé à fonctionner en continu aussi longtemps.

Puis vint un jour, alors que Juyrd se rendait pour la troisième fois de la journée dans la bibliothèque, il aperçut la Sentinelle se tenant près du cristal, l'observant probablement. Alors qu'il s'apprêtait à repartir, elle l'interpela :

- Juyrd, l'heure est venue. Dit-elle d'un ton sans appel.
- Pardon ?
- Ils survivront. Les humains survivront.
- Quoi ? Vous n'allez tout de même pas désactiver l'aura ? Demanda le gardien d'un air ébahi. Il vont mourir ! Vous savez comme moi que c'est l'enfer dehors !
- Si tu ne leur avais pas fait une promesse que tu ne pouvais tenir, nous n'en serions pas là ! Tu as été faible ce jour-là, Gardien. Nous ne pouvions pas les protéger. Répliqua la Sentinelle d'un ton sec.
- Que voulez-vous dire ? Jusqu'ici, l'Aura tient bon et ...
- Le cristal se fissure. Et nous avons presque atteint le point de non-retour, nous ne pouvons attendre. Encore quelques jours et le cristal se brisera. Sa capacité d'auto-régénération est limitée, et il nous faut le ménager.

Juyrd détacha les sangles qui retenaient Himbaldur dans son dos et saisit l'arme ancestrale.

- Écartez-vous de ce cristal.
- Non. Je dois le faire. Pour nos frères.
- Il ne tarderont pas, nos frères. Le cataclysme est bientôt fini. Et vous savez pertinemment que le cristal peut tenir jusque là ...
- Certes. Mais tiendra-t-il tous les deux cents prochains cycles ?
- Comment ?
- Est-ce que tu penses que le cristal tiendra deux siècles de plus ?
- Mais, nous n'avons pas besoin de tenir deux siècles ! Nos compagnons ...
- Ils sont morts, Gardien. Morts, et réduits en poussière depuis bien longtemps. Tu l'as senti toi aussi cette nuit-là. Tu as juste refusé de l'admettre.

Juyrd commença à ressentir une sensation de raideur au niveau de ses extrémités et lâcha bientôt sa hache qui tomba sur le sol dans un cliquetis. Il aperçut d'abord avec horreur ses doigts se changer en pierre, puis ses poignets ... Bientôt il ne put plus bouger les bras ...

- Eh oui Gardien. Ta tâche est en quelque sorte accomplie. Tu es l'un des dix derniers survivants de ton peuple. Tu as failli à les protéger. Mais ce n'est pas de ta faute, non. Tu n'y pouvais rien.

Juyrd voulut parler lorsqu'il s'aperçut que sa mâchoire ne répondait plus à ses ordres. Il était comme prisonnier de son propre corps.

- Bientôt, le mal de l'arme que tu as porté si longtemps s'insinuera dans ton cœur, et tu mourras. Mais avant que tu t'en ailles rejoindre les Titans, laisse moi te dire pourquoi. Eh bien, nos frères sont morts, d'accord. Mais nous ne sommes pas les seuls enfants des Titans. Ce monde est le point où se rejoignent beaucoup d'énergies magiques. Tôt ou tard, nos cousins débarqueront sur ces terres et trouveront ce lieu. Leur savoir, leur héritage. Mais ce futur est bien lointain. Et l'Aura telle qu'elle fonctionne maintenant ne durera pas aussi longtemps. C'est pourquoi il est nécessaire de faire des sacrifices. Pour que ce lieu ne soit pas perdu et que ceux qui nous suivront ne partent pas de rien. Tu as bien servi les Titans et ils t'accorderont sûrement les honneurs lorsque tu les rejoindras ...

La Sentinelle s'approcha très près de la statue vivante de Juyrd. Celui-ci sentait son cœur palpiter et durcir, ayant plus en plus de mal à se rester en activité.

- Mais ton temps est révolu.

Et sur ces mots, la Sentinelle réarrangea le cristal pour que l'Aura se rétrécisse jusqu'à n'englober qu'une toute petite partie du sanctuaire. Livrant les humains à la mort et la désolation.

 

 

RolePlay par @Alkkatraz

Corrigé par @Alexas

Modifié par Alexas
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