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[GV] Première Campagne des Titanides


Pencroff
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NDLA: Le récit qui va suivre a vocation à être le premier de la série des "récits de guerre", une suite narrative relatant les principales campagnes de la Garde Volontaire. La première campagne des Titanides est le premier des deux volets de la Guerre de la Première Coalition, le premier conflit de la Garde Volontaire à s'étaler sur plusieurs campagnes, à requérir plusieurs corps d'armée et à impliquer plusieurs nations. La complexité et la difficulté de ce conflit justifiera, plus tard, la montée en puissance de la Grande Armée qui sera depuis lors en capacité de combattre sur plusieurs fronts et contre plusieurs nations.

L'écriture de ce RP s'est étalée sur près d'un an, avec de longues périodes de pause. Il est possible que la qualité de l'écriture diffère d'un chapitre à l'autre, certains ayant été rédigés de nuit avec seulement la moitié de mes neurones sur le pont.

 

De par la complexité du récit (par le nombre des belligérants et la structure des armées, l'utilisation de termes techniques et la longueur de la campagne) j'ai trouvé nécessaire de l'accompagner d'une annexe avec quelques explications utiles que j'avais notées pendant la rédaction à titre de support. Je place cette annexe dans le dernier poste de ce topic.

Pour toute information complémentaire sur la garde volontaire, sa structure et son fonctionnement, vous trouverez toutes les informations sur la page wikifield dédiée: https://www.wikifield.fr/wiki/Terminologie_de_la_Garde_Volontaire

 

Bonne lecture !

 

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CHAPITRE 1 – Vaulbandt dans la montagne

JOUR 1

 

Du Zenith, de clairs faisceaux de lumière envahissaient les couloirs du Grand Quartier général ; alors que le soleil se préparait à basculer lentement en direction de l’ouest.

Dans le long corridor de l’étage auquel les grandes fenêtres avaient donné le surnom de « baie des glaces », et qui desservait les bureaux des généraux les plus reconnus de la garde ; l’agitation coutumière battait son plein, mêlant dans un balai d’uniformes nombre d’aides de camp et d’officiers d’ordonnance, charriant leur lot de documents et de missives.

 

Les hommes et les femmes de l’état-major, véritables globules rouges de l’administration militaire, se croisaient et se cédaient le passage, marchant tantôt d’un pas de course, tantôt d’un pas lent. Mais alors que tous semblaient absorbés par leur besogne ; un bref appel fit cesser immédiatement la danse, comme si l’on eut coupé la musique.

 

   - Fixe !

Lança une voix depuis le fond du couloir.

 

A ce simple mot, tous s’arrêtèrent, et se mirent au garde à vous dos aux murs, laissant la voie libre. Arrivant de l’escalier, au fond du couloir, un petit groupe s’annonça, et traversa le corridor en direction du bureau du consul. Marchant devant d’un pas léger, un simple bicorne de feutre noir sans galon sur la tête et le corps enveloppé dans une redingote grise ; le maréchal Zorn menait la petite troupe. Dans son sillage direct, comme absorbés par son élan ; suivaient deux de ses aides de camp généraux et deux de ses officiers d’ordonnance, ainsi que trois officiers du génie.

 

Arrivé devant la porte de la salle, que déjà deux grenadiers tenaient ouverte en présentant les armes, le groupe y disparut, dans une dernière volute de fumée de pipe.

L’animation reprit alors dans le couloir comme si de rien n’était, la marche de l’administration étant une poursuite immuable, plus encore que le fil du temps lui-même.

 

Dans le bureau, le maréchal et ses officiers se découvrirent, et se défirent de leurs manteaux. Expirant une dernière bouffée du fumée, le maréchal Zorn jeta sa redingote sur le dossier d’une chaise, et gagna son fauteuil. Alors qu’il y prenait place, déposant ses gants blancs sur le bord du bureau ; ses subordonnés vinrent se disposer face à lui, au repos.

 

   - Messieurs, je suis content de vous. Les travaux que je vous avais confié dans le Nord ont été bouclés avec une semaine d’avance, et j’ai reçu par le courrier de ce matin une lettre de remerciement de la part du bourgmestre. Grâce à vos sapeurs et à vos pontonniers, les caravanes marchandes ne sont plus contraintes de faire ce détour de dix heures pour éviter le fleuve de la Dieuze, ce qui ne tardera pas à avoir force bienfaits pour la population civile.

 Commença le maréchal Zorn.

 

   - Maréchal, nous vivons pour servir. Si nos travaux ont pu améliorer la condition de nos précieux concitoyens, nous retournons à nos quartiers satisfaits.

Répondit le plus gradé des officiers du génie, sur les épaules duquel on reconnaissait le grade de Commandant.

 

- Je le sais messieurs, les soldats de notre espèce sont les esclaves du devoir. Mais il faut souligner les succès, et rendre justice à leurs auteurs. Vous avez bien mérité de vos armes, et visiblement la population civile est satisfaite de votre action. C’est la raison pour laquelle je vous ai fait venir : Je sais que cette mission n’a pas été de tout repos, aussi c’est avec plaisir que je place votre bataillon en permission pendant une semaine. Que vos hommes aillent se délasser à la plage, le temps s’y prête en ce moment. Quant à vous, je vous fais citer d’office à l’ordre de votre brigade, cela me parait la moindre des choses.

Reprit le maréchal Zorn, qui se tourna vers un de ses officiers d’ordonnance pour que ce dernier prenne note.

 

A ces mots, les trois hommes remercièrent leur chef. Les officiers s’échangèrent encore quelques mots sur les missions à venir, puis les ingénieurs prirent congés ; visiblement contents de l’issue de leur mission. Quittant le bureau, ils y laissèrent le maréchal et son état-major de service, qui s’attelèrent à la suite de leurs tâches de la journée.

 

Mais alors que, quelques minutes seulement après le départ des hommes du génie, le maréchal et ses adjoints se remettaient au travail ; un des grenadiers en faction devant le bureau ouvrit brutalement la porte, et se mit au garde-à-vous dans l’encadrement.

 

   - Monsieur le maréchal, il y a ici un lieutenant du 17e de ligne qui demande à vous voir, il dit porter un message urgent de la part du général Masséna, commandant de la 5e division.

Amorça le grenadier, après avoir salué.

 

   - Faites entrer !

Répondit simplement le maréchal.

 

Immédiatement, dépassant le grenadier, le lieutenant s’engouffra dans le bureau. Il s’agissait d’un homme, demi-humain, d’une carrure solide malgré sa grande taille ; visiblement jeune. Il portait l’uniforme de fusilier de ligne à retroussis blancs, sur les manches duquel on pouvait encore voir les coutures d’anciens galons : signe qui pourrait sembler dérisoire mais qui laissait à penser que l’homme était un ancien sous-officier promu au mérite, et non un jeune vélite recruté sur concours.

De plus, autre signe allant en ce sens, il portait encore des guêtres noires plutôt que les habituelles bottes que chérissent les officiers.

 

   - Monsieur ! Pardonnez mon intrusion, mais je viens directement sur ordre du général Masséna. Le territoire de Novi est attaqué au moment où nous parlons, et la citadelle de la 5e division est prise à partie par une force inconnue !

Commença le lieutenant, sans autre cérémonie.

Si l’attention de l’assistance n’était pas entièrement portée sur le jeune officier, elle l’état à présent. Le maréchal Zorn lui fit signe de poursuivre.

 - Tôt ce matin, avant l’aube, les sentinelles de la porte haute ont été abattues. Une colonne ennemie a tenté de forcer le passage pour s’emparer de la citadelle, mais elle a été repoussée. A présent, la porte haute semble sous leurs feux, et il nous est impossible d’en sortir ; car l’ennemi s’est replié dans les hauteurs et semble s’accrocher aux roches. La porte basse de la citadelle est toujours sous notre contrôle cependant, aussi nous-y accrochons-nous ; mais nous ne pouvons pas efficacement dégager la porte haute sans nous risquer à une ascension à découvert…

Rapporta le lieutenant.

 

Dans la pièce, tous étaient abasourdis. Des attaques, la garde en avait essuyé plusieurs. Des embuscades, des traquenards, des assauts surprises… Mais qu’une force ait pu s’approcher si près de Novi sans être détectée pour s’en prendre à une citadelle divisionnaire relevait de la folie.

 

Le maréchal Zorn resta un instant silencieux. Puis, se levant, il s’approcha du jeune lieutenant, qui se tenait toujours droit devant le bureau.

 

   - Dites-moi lieutenant, de combien d’hommes dispose notre ennemi ?

 

   - D’après nos estimations, environ 3 000 hommes en armes, maréchal.

 

Un hoquet de surprise s’échappa du général Cambronne, l’aide de camp du maréchal.

La citadelle des montagnes de Novi avait pour garnison près de 5 000 hommes. Comment une force si conséquente avait-elle pu être piégée par un si petit contingent ennemi ?

Si cela troubla les officiers d’état-major qui entouraient le maréchal, ce dernier ne s’en montra pas étonné le moins du monde.

 

   - Sait-on d’où viennent ces envahisseurs ?

Demanda le maréchal.

 

   - Oui monsieur… Mais cela risque de vous mettre en rage.

Répondit le lieutenant, qui redoutait visiblement d’avoir à répondre à cette question.

 

   - Et bien allez mon garçon ! crachez le morceau !

 

   - Monsieur, il semblerait que le marquis de Vaulbandt, pourtant vassal de l’empire, ait décidé de faire sécession… Les troupes qui nous ont attaqué par surprise venaient toutes de son fief… Nous n’avons rien vu venir, car les patrouilles en frontières de ce territoire étaient réduites au minimum…

 

Le maréchal Zorn se reposa sur son bureau, et croisa les bras. Puis, se tournant vers ses aides de camp, il leur expliqua sa réflexion.

 

   - Voilà, messieurs, la raison pour laquelle la 5e division n’a rien vu venir : l’ennemi était en assez petit nombre pour se mouvoir rapidement, et venait d’un territoire impérial que nous ne soupçonnions pas… Reste maintenant à savoir pourquoi ils nous sont tombés dessus en si petit comité, ce qui pour être honnête m’inquiète au plus haut point.

 

   - Que voulez-vous dire, maréchal ?

Demanda le général Cambronne.

 

    - C’est simple : Il n’y a que deux raisons possibles à cette attaque surprise si peu appuyée, sur une position si proche de nos bases et si ouvertement défendue :

La première serait que le marquis de Vaulbandt soit un imbécile complet, et qu’il ait jeté contre nous des mercenaires, dans un geste inconsidéré. Seulement, je doute que le marquis ait eu les fonds nécessaires à l’emploi d’autant de guerriers, et celui qui tire les ficelles semble assez malin pour échafauder un plan de siège sur les hauteurs de Novi qui lui permette d’interdire l’accès du plateau à toute une division… Ce qui nous laisse avec l’autre option comme piste la plus probable…

 

   - Et quelle est cette autre option ?

 

   - Une diversion, mon cher Cambronne. Attaquez par surprise toute une division, et tenez-la en échec : voilà un moyen bien assuré de nous mettre en alerte. Pire, bloquer une de nos divisions, c’est jouer avec notre égo. Je soupçonne que cette attaque ne soit que la première d’une campagne dont on nous a visiblement damé l’initiative.

Reprit le maréchal.

 

L’idée fit son chemin dans l’esprit des officiers. En effet, une diversion expliquerait la petite taille du contingent ennemi, et son mouvement insolent qui criait la provocation. Si quelqu’un était bien en train de machiner une diversion, il espérait sans doute que la garde réagisse avec excès au blocus d’une de ses citadelles, et dégarnisse d’autres places pour intervenir.

 

   - Si je comprends bien maréchal, nous devons nous attendre à une autre attaque ? Mais nous ne pouvons pas non plus laisser une de nos divisions aux prises avec ses assiégeants, il faudra bien que nous envoyions des renforts !

 

   - Du calme général, la garde n’abandonne jamais personne. Mais rappelez-vous que le 3e corps d’armée compte également dans ses rangs la division étrangère, qui est toujours stationnée près de Novi. Rapp ! Envoyez immédiatement une missive au général Darkalne ! Faites-lui savoir qu’une moitié de son corps est assiégée, et qu’il doit se porter à son secours avec la division qui lui reste.

 

   - A vos ordres, maréchal.

Répondit le général Rapp, second aide de camp du maréchal, qui s’empara d’une feuille pour y rédiger l’ordre.

 

   - Pour l’instant messieurs, nous allons jouer le jeu. Laissons notre adversaire penser que nous mordons à l’hameçon, mais agissons avec prudence. Cela dit, ordonnance, allez immédiatement me chercher le major-général Wendy ; je vais avoir besoin d’elle !

 

Immédiatement, un lieutenant d’ordonnance se rua hors de la pièce. Le bureau de la générale n’étant qu’à quelques portes, il ne fallut que deux minutes pour que cette dernière ne fasse irruption dans le bureau.

 

   - Il va y avoir de la bagarre ?

Demanda-t-elle, l’air enjoué.

 

   -  Assieds-toi, tu vas en avoir besoin.

Lui répondit simplement le maréchal qui, quand ce fut fait, fit pleuvoir sur elle une mousson d’ordres pour tous les échelons, comme s’il avait déjà dessiné dans son esprits les plans de la campagne.

 

 

Ces ordres, dans les grandes lignes, furent les suivants :

Le Ier corps d’armée du général Jihair devait se rassembler immédiatement à Fort Herobrine, d’où il devait prendre la route de Novi par la plaine de Birak’Heim.

Le IIe corps d’armée du général Thalkion, stationné à Tolwhig, devait se rassembler et se mettre en marche vers Fort Herobrine, pour y faire face à la force d’invasion que soupçonnait le maréchal Zorn.

Le IIIe corps d’armée, dont la 5e division était assiégée, devait faire au mieux pour se dégager avec sa division étrangère, menée directement par le général Darkalne.

Le IVe corps, le plus éloigné de tous, devait se porter en renforts du IIe corps et gagner fort Herobrine avec lui ou après lui.

Le Ve corps de réserve, stationné à Tolwhig, devait se mobilier et défendre le territoire en l’absence du IIe corps d’armée. L’ordre de mobiliser les réservistes fut émis en même temps.

Le corps de cavalerie du maréchal Pencroff, dont une moitié des troupes étaient en manœuvre avec le maréchal Pencroff, devait également se rassembler sur Fort Herobrine, exception faite de la 2e brigade de cuirassiers qui devait rester en réserve sur Tolwhig.

Enfin, la division de la Garde Consulaire devait tenir Fort Herobrine, sous le commandement direct du maréchal Zorn.

 

Il fallut une heure à la générale Wendy pour rédiger ces ordres, que vinrent chercher une petite armée d’officiers et de sous-officiers d’ordonnance. Pendant cette heure, le général Jihair, qui était à Fort Herobrine, vint se joindre au conseil de guerre qui venait de se former.

 

Une fois les premiers ordres rédigés, le maréchal Zorn ordonna que l’on se rende dans la Grande Salle Stratégique, qui se trouvait dans l’aile des opérations du commandement, au premier sous-sol.

De là, réunis autour de la grande table topographique que les ingénieurs-géographe s’affairaient déjà à assembler pour y représenter le sud de Stendel ; les officiers de l’état-major pouvaient décider des prochains mouvements des corps.

 

   - Notre ennemi doit penser que nous allons répondre avec vigueur à son siège de notre citadelle. Le fait est que, la porte basse étant toujours sous notre contrôle, rien ne nous presse à ce niveau. Nous pouvons donc mobiliser nos corps comme l’adversaire l’attend de nous, mais nous devons faire en sorte de ne pas les engager maintenant, avant de savoir ou va avoir lieux la véritable attaque.

 Débuta le maréchal Zorn.

 

   - Est-ce que nous avons un moyen de savoir par ou va venir l’attaque ?

Demanda la générale Wendy.

 

   - Aucun. A vrai dire mon raisonnement ne se base que sur mon ressenti. Tout ce que nous savons, c’est que 3 000 hommes ont eu le mauvais goût d’en attaquer 5 000 des nôtres, aux abords d’un territoire ou près de 25 000 de nos soldats tiennent garnison.

 

- C’est un stratagème bien grossier, il faut vraiment nous prendre pour des quilles, pour croire que nous ne sentirions pas le traquenard.

Rétorqua le général Jihair.

 

   - En vérité, dans le pire des scenarios ; ça pourrait être un mouvement habile : Cela pourrait permettre à l’ennemi de nous jauger, ce qui signifierait qu’il ne craint pas notre réaction si nous ne tombons pas dans le piège. Evidemment ce ne sont que des conjectures, mais si cela est vrai, c’est mauvais signe…

   - Et si le marquis de Vaulbandt était simplement un idiot ? Et si ces 3 000 mercenaires qui ont attaqué la citadelle de Novi n’étaient ni plus ni moins que nos seuls ennemis ?

Demanda le général Cambronne.

 

   - Si le marquis de Vaulbandt était un idiot, l’empire ne lui aurait pas confié un territoire frontalier et la charge de le défendre. Mais plus que cela, si d’aventure je fais fausse route et qu’il n’y a pas d’attaque d’envergure qui se prépare ; et bien je suis certain que le général Masséna n’aura aucun mal à se dégager une fois que le général Darkalne l’aura rejoint. Que cela sera fait, nous irons raser le marquisat de Vaulbandt, et nous l’ajouterons au consulat.

Répondit le maréchal Zorn.

 

   - De toutes manières, nous ne perdons rien à nous préparer au pire. Comme Pencroff le répète souvent, il faut toujours aborder un adversaire avec circonspection. Un excès de confiance aura tôt fait de nous envoyer tous à la tombe, un excès de prudence ne nous coute rien.

Renchérit le général Jihair.

 

   - Exact. Cela dit, tu as un corps à commander toi ! Qu’est-ce que tu fais encore ici ?

Lui répondit la générale Wendy, qui fit mine de lui donner un coup de botte.

 

   - J’y vais, j’y vais ! On se revoit pour la bagarre !

Acheva Jihair en tournant les talons. Remontant l’escalier, il fit un large salut de son tricorne à ses vieux camarades, et s’en alla rejoindre ses troupes.

 

Dans la salle stratégique, les regards se tournèrent vers le maréchal Zorn, qui posait sur la grande carte topographique le petit groupe de figurines qui représentait le 1er corps d’armée.

 

   - Bien, à la vitesse ou nous hommes se mobilisent, le 1er corps d’armée sera opérationnel dès demain, et il ira traverser Birak’Heim. Ce vieux Thalkion ne recevra sans doute ses ordres que demain soir si le pigeon voyageur arrive à destination, ou d’ici trois jours si c’est finalement un messager qui l’atteint en premier. En comptant son temps de mobilisation et la marche forcée jusqu’à nous, il faudra une bonne semaine au 2e corps pour nous prêter main forte. Avec le 3e corps aux prises avec les mercenaires de Vaulbandt, nos forces vives sont donc réduites au premier corps et à la division d’élite, du moins dans un premier temps. Il faudra également plusieurs  jours pour que Pencroff ne mobilise le corps des cavalerie et nous rejoigne, et le 4e corps d’armée doit trouver le 2e corps sans le rater ce qui implique de marcher plus vite et plus loin que tous les autres. autant dire que nous allons passer une semaine difficile.

Déclara le maréchal.

 

   - Baste ! Nous avons tenu des ennemis terribles bien plus longtemps que ça, et sous des rapports de force bien plus terribles !

Répondit la générale Wendy

 

   - C’est vrai, mais tâchons de rester prudents et de ne pas trop nous exposer. Le premier corps ne devra pas s’éloigner au-delà de notre zone de contrôle ou nous pourrions au besoin le renforcer de la division d’élite, et le 2e corps ne devra pas quitter sa position avant d’avoir été relevé par le 5e corps de réserve. Notes-ça Wendy, et ordonnes aussi au commandant du parc de l’artillerie de faire préparer ses pièces et leurs caissons. Je veux que l’on puisse faire un mur de canons de trois kilomètres partout où cela sera nécessaire.

 

Et, sur ces mots, l’état-major acheva de se préparer à la campagne qui se profilait devant lui. Si pour l’instant les 3 000 assaillants de Novi étaient leurs seuls adversaires, tous savaient que les suspicions de leur chef étaient loin d’être infondées ; et que ce dernier, fort de sa longue expérience des campagnes, ne se trompait que rarement.

 

Au lendemain, après de longues et laborieuses préparations qui valurent une nuit blanche à tout l’état-major ; le premier corps d’armée du général Jihair et la division d’élite de la garde se tenaient en ordre de marche et se préparaient à faire mouvement.

Un messager s’en était allé trouver le maréchal Darkalne à Novi, pour lui intimer l’ordre de se sauver la 5e division qui y était assiégée. Vers neuf heures, le général Jihair salua ses amis d’un grand geste de son tricorne, et il quitta le désert à la tête de la plus fière colonne de soldat que notre bas monde ait pu porter un jour. Devant lui, les plaines de Birak’Heim, et plus loin, Novi.

 

 

JOUR 3

 

Le jour du Départ du général Jihair, de l’autre coté des plaines de Birak’Heim, Le général Darkalne se portait au secours de la 5e division d’infanterie, à la tête de la Division étrangère de la garde. Piqué au vif par le siège d’une de ses divisions par un insolent adversaire, et pressé d’intervenir rapidement pour se dégager par le Général en chef ; il se hâtait de gagner la citadelle des montagnes pour déloger de ses sommets les impertinents mercenaires qui croyaient pouvoir s’y maintenir.

 

Pour accomplir sa tâche, le général pouvait compter sur non moins de quatre régiments de fusiliers étrangers et un régiment de tirailleurs, ainsi que deux régiments d’une solide cavalerie de bataille. Toutes ces unités, ralliées à la garde à la suite des campagnes d’Asayaka et de Belvy, avaient l’avantage d’être garnies de vétérans, qui passaient après les grognards de la vieille garde pour certains des meilleurs soldats de l’armée. En tout, près de 7000 hommes s’avançaient donc vers le relief, au secours de la garnison qui était embarrassée plus que mise à mal.

 

 Bien qu’il n’ait pu, appelé trop tard, assister aux explications du maréchal Zorn sur les causes probables de cet assaut sur ses positions, le général Darkalne avait eu vent des suspicions du GQG quant à une manœuvre de diversion sur Novi, en préparation d’une possible offensive de bien plus grande envergure. Il convenait donc de ne pas s’attarder, et cela excluait donc dans l’esprit du général toutes formes de négociations qui ne seraient que très évidentes tentatives de gagner du temps. L’ennemi devait être culbuté, chassé, puis annihilé ; pour que le 3e corps d’armée puisse enfin se regrouper et se tenir prêt à combattre la menace qui planait sur le sud Stendelien.

 

Darkalne savait que le général Jihair, à la tête du 1er corps d’armée, marchait vers lui pour l’appuyer. Mais il savait surtout que cette manœuvre visait à placer le 1er corps entre Novi et Fort Herobrine, où l’on craignait un mouvement ennemi. La campagne des frontières, qui eut lieu en 241, avait montré les couloirs naturels par lequel le sud pouvait être particulièrement sujet à des invasions, à commencer par la voie maritime. Des plans de défense avaient été mis en place, et l’on pouvait reconnaitre aux mouvements des corps la mise en place de l’un d’eux. Semblant se rendre en direction de Novi pour y appuyer un corps en détresse, les corps d’armée de la garde se déployaient en réalité de sorte à ce que de Tolwhig à Novi, une gigantesque ligne de défense se forme, composée dans l’ordre du 5e corps de réserve, du 2e corps, du 4e corps, du 1er corps puis du 3e corps. Un vaste filet se tendait lentement, mais à cette heure, le général Darkalne ne pouvait y tenir complètement son office.

 

Vers la fin de la journée, qui fut passée à marche forcée pour rejoindre le théâtre des opérations ; le 3e corps arriva enfin à vue des montagnes qui abritaient la citadelle de la 5e division : Le contre-siège allait pouvoir débuter. Coincés dans les cimes, faisant mine de tenir la porte haute de la citadelle pour en empêcher les gardes d’en sortir ; les mercenaires de Vaulbandt ne firent aucun mouvement, et semblèrent observer depuis leurs abris les dispositions prises en contrebas par leurs adversaires.

 

De fait, ils disposaient de par leur position un avantage certain. Privés de l’accès aux sommets par les couloirs de la citadelle, les hommes du 3e corps allaient devoir gravir les monts à pieds pour déloger leurs assaillants, ce qui les exposait bien plus que de raison à des tirs de barrage d’archers ou d’arquebusiers. Il était évidemment hors de question de charger en plein jour sur une pente à près de 45 degrés, aussi l’opération allait-elle devoir se faire de nuit, quand la météo le permettrait.

 

La situation se figea donc à Novi et n’allait plus bouger pendant les jours à venir, jours que le général Darkalne allait employer à préparer son assaut et la libération des cols.

 

 

De son coté, le général Jihair et son corps d’armée étaient arrivés, à la fin de la journée, vers le centre des plaines de Birak’Heim. Son corps avait marché à pas lent, presque moitié moins vite qu’à l’accoutumée, car il ne fallait pas qu’il gagne Novi trop vite. Si il mimait de secourir le 3e corps, s’était en réalité pour mieux se placer dans les plaines, et observer les côtes méridionales d’où on suspectait des mouvements navaux. Des pigeons voyageurs avaient été envoyés à l’amiral Wariow, à middenheim ; mais on avait calculé qu’il faudrait au moins quatre jours pour que la flotte, par vent favorable, ne fasse le chemin et ne vienne fermer l’accès par les mers du sud.

 

Les plages étaient donc au centre de toutes les attentions, et le 1er corps comptait bien s’attarder autant que faire se put, pour monter la garde.

Il fallait toutefois donner le change pour qu’un éventuel observateur ennemi ne comprenne pas que le corps ne se dirigeait pas vers Novi en urgence, aussi le général Jihair décida-t-il de séparer ses deux divisions, pour en avancer une vers Novi telle un leurre, et garder l’autre en arrière.

Pour cela, il réunit à la nuit tombée son état-major, de même que les généraux de division Desaix et Ney et le général brigade Jouinot.

 

Dans la grande tente qui servait d’état-major du corps, le général Jihair fut donc entouré des généraux des 1er et 2e division d’infanterie, de la 1e brigade de cavalerie, du général de l’artillerie du corps, du général de brigade chef d’état-major du corps, du général de brigade commandant le génie ainsi que de la pléthore de colonels, commandants et capitaines qui servaient tant d’aides de camp que d’officiers dans les différents commandements. Il va sans dire, en somme, qu’il y avait foule autour de la grande carte, qui était étalée sur l’unique table de la tente.

 

   - Messieurs, vous savez que nous avons pour mission de sécuriser la plaine, tout en faisant mine de poursuivre notre marche vers Novi. Le fait est que nous marchons vite, si bien que nous serons bientôt réellement aux portes de la ville, et loin de ce territoire qui est placé sous notre protection. Le GQG soupçonne que nous ne soyons espionnés, aussi nous ne pouvons nous arrêter ici sans aller plus avant vers notre citadelle assiégée.

Commença le général Jihair.

 

   - Est-on seulement certains qu’il s’agisse bien d’une attaque de diversion sur Novi ? Je comprends la prudence de l’état-major général, mais devons-nous vraiment laisser le 3e corps seul avec une de ses places fortes en partie assiégées ? Nous ne sommes plus très loin, nous pourrions tout de même leur porter secours !

Répondit le général Dusselier, qui commandait l’artillerie.

 

   - D’après nos sources, il n’y a que peu d’ennemis à Novi, mais je partage votre avis sur le fait que nous devrions agir rapidement pour aider le 3e corps à se dégager. Si un ennemi plus nombreux venait effectivement à nous tomber dessus, il serait bon que le 3e corps soit entièrement opérationnel. J’ai donc décidé que la 1ere division d’infanterie du général Desaix resterait ici dans la plaine, avec notre artillerie et la brigade de cavalerie. De son coté, la 2e divison d’infanterie fera route vers Novi comme prévu, mais ira se porter temporairement sous les ordres du général Darkalne, pour l’aider à libérer la 5e division.  Une fois que ce sera fait, ce qui je l’éspère sera rapide, nous pourrons nous regrouper et laisser le 3e corps tenir notre aile gauche.

Reprit le général Jihair.

 

En effet, le général savait qu’il serait très compliqué pour un observateur de faire la différence entre une division et l’entièreté du corps d’armée en marche. Il serait également facile de garder une division cantonnée en arrière sous l’allure d’un dépôt entre Fort Herobrine et Novi, ce qui n’attirerait pas trop l’attention tant que des fantassins continueraient de marcher en masse vers l’objectif attendu. Le 1er corps pouvait ainsi tenir les plaines et les plages avec sa meilleure division, la 1ère, qui comptait les plus vieux et les plus aguerris des régiments d’infanterie de l’armée, tandis que la 2e division pourrait faciliter et accélérer la libération de la 5e division de son siège et la rendre disponible pour une confrontation avec un nouvel adversaire.

 

Le pari était cependant risqué car si d’aventure l’ennemi, dont on suspectait la présence, décidait de débarquer ou d’attaquer pendant l’absence de la 2e division ; la 1ère division se retrouverait temporairement seule pour assurer la défense du terrain. Il faudrait alors que la 2e division fasse marche arrière au pas de course, et que la division de la garde consulaire ne se prépare en urgence à venir supporter la défense, dégarnissant Fort Herobrine avant l’arrivée du 4e corps d’armée et du corps des maréchaux. Si le temps était compté, il fallait rapidement assurer la disponibilité du 3e corps, et pour cela chasser ses assiégeants…

 

JOUR 4

 

Le lendemain matin donc, la 2e division d’infanterie de la garde fit mouvement, tambours en tête, emportant avec elle quelques trains de ravitaillement ; et laissant dans la plaine la 1ère division d’infanterie, qui prit soin de ne pas monter de bivouac qui laisserait entendre qu’elle s’installait pour durer. Le général Jihair ne le savait pas, mais il était en effet surveillé. Sur les collines environnant la plaine, grimés en charretiers pour ne pas attirer l’attention parmi les paysans et paysannes qui étaient venus observer de loin les mouvements de l’armée ; deux espions suivaient avec attention le mouvement d’infanterie qui s’opérait.

 

Fort heureusement, la précaution du général Jihair ne fut pas inutile, car voyant plusieurs milliers de fantassins s’ébranler, les espions crurent d’abord que le corps toit entier se remettait en marche.

 

 

 

 

Du coté de Novi, la situation du général Darkalne et du 3e corps était moins complexe que ce dernier ne le craignait. Certes la citadelle de la 5e division était toujours assiégée ; mais seulement dans sa partie haute. En effet, les assaillants s’étaient repliés et retranchés dans les hauteurs et empêchaient toute sortie par la porte supérieure de la fortification, mais ils ne pouvaient ni pénétrer à l’intérieur, ni espérer quitter le relief sans un affrontement à 1 contre 5 dont ils ne sortiraient pas vivants. Malgré cet état de fait, les quelques 3000 mercenaires du marquis de Vaulbandt ne semblaient pas déterminés à se rendre, laissant à penser qu’ils temporisaient autant qu’ils le pouvaient.

 

Le général Darkalne, qui avait eu vent des craintes du Maréchal Zorn quant à une possible diversion en vue d’une attaque plus massive sur un autre point du territoire ; ne pouvait s’empêcher de penser que les éléments qu’il avait en face de lui s’orientaient de plus en plus en ce sens. En effet, ses assiégeants n’avaient rien d’autre à gagner que du temps, et il y avait peu de raisons au monde pour lesquelles un ennemi voudrait retenir aussi longtemps que possible une armée. Leur but était clair : retenir la garde, attirer son attention, et tenter d’orienter ou de retenir ses manœuvres dans la région.

 

Bien qu’il fût au courant de l’arrivée imminente de la 2e division d’infanterie, le général Darkalne décida de prendre les devants, et de tenter déloger au plus vite les assiégeants des hauteurs de Novi. Il avait déjà, avec ses deux divisions, l’avantage du nombre ; mais il ne souhaitait pas exposer inutilement la vie de ses hommes.  Autre avantage non négligeable, il savait que les assiégeants tenaient à présent les pics depuis plus de quatre jours sans ravitaillement, et qu’ils devaient déjà commencer à manquer de vivres. Cette perspective n’était cependant pas rassurante, car cela laissait penser qu’ils devaient s’attendre à être relevés prochainement ; ce qui pouvait impliquer que l’hypothétique invasion qu’ils couvraient allait se tenir sous peu.

 

Alors qu’il parcourait, songeur, les rues de novi où la division étrangère prenait déjà ses quartiers ; le général arriva auprès d’un convoi de caissons d’artillerie, qui s’était arrêté pour réparer la roue d’un des charriots. Observant les artilleurs qui s’attelaient à remonter la roue, son regard se posa sur un tonnelet de poudre noire. Inconsciemment, comme guidé par son intuition, il s’approcha du petit baril, et découvrit qu’il faisait en fait partie d’un lot entier. Un léger sourire s’esquissa sur le coin de ses lèvres, alors que d’un geste il héla le jeune lieutenant responsable du convoi.

 

   - Mon garçon, venez donc par ici !

Appela-t-il.

 

   - A vos ordres, mon général !

Répondit le lieutenant, qui vint se présenter au garde-à-vous.

 

   - Combien de ces barils de poudre avons-nous en réserve ?

 

   - En réserve ? la division étrangère en emporte bien une centaine pour alimenter ses canons mon général, mais je crois savoir que l’arsenal de la citadelle des montagnes en est rempli, il doit bien y en avoir cinq ou six fois ce nombre…

 

   - Excellent ! Nous allons pouvoir offrir à la population de Novi un formidable spectacle, et si les dieux le veulent nous libérerons ces cols avant demain matin !

Répondit le général, souriant maintenant complètement, en désignant du doigt les pics enneigés des montagnes de Novi.

 

Abandonnant le jeune officier, Darkalne se tourna vers un de ses aides de camp, qui le suivait de loin. D’un signe, il convoqua le commandant, qui vint immédiatement se présenter au rapport.

 

   - Mon vieux Galabier, vous allez me rendre service. Ecrivez cela. Je veux que le 1er régiment de tirailleurs étrangers se prépare à faire mouvement cette nuit, pour grimper à flanc de montagne avec une cargaison de poudre. Je veux qu’ils placent des mines en divers points, idéalement là ou les roches créeront le plus d’écho ; et qu’ils se replient immédiatement. Vous veillerez à ce que les ingénieurs-géographes du corps leur balisent un chemin sûr, ou ils ne risqueraient pas d’être ensevelis par une avalanche !

Dicta le général.

 

Son plan était on-ne-peut plus simple : Placés à divers points stratégiques, les bombes déclencheraient à coup sûr des coulées de neige, à plus forte raison avec le beau temps qui n’avait pas manqué de ramollir la couche neigeuse. Ces avalanches, avec un peu de chance, porteraient un coup dur aux assiégeants retranchés dans les pics, et sèmeraient la panique dans leurs rangs. Et puis, se dit le général ; un échec de se plan ne lui couterait aucun homme, et n’aurait fait qu’entamer un peu ses réserves de poudre.

 

Sur ses ordres donc, le 1er régiment de tirailleurs forma cinq pelotons de dix fantassins, chaque peloton emportant avec lui deux tonnelets de poudre. A la faveur de la nuit, les tirailleurs iraient placer les mines, avant de se retirer par une voie sûre ; laissant les déflagrations et la gravité faire le reste de la bataille.

Les préparatifs furent rapides, de même que la définition d’un itinéraire de repli ; ne restait alors plus qu’à attendre que le soleil ne se couche.

 

Mais avant que la nuit ne tombe, alors même que le soleil commençait à peine à décliner ; un autre évènement vint marquer la journée. Aux portes de la ville, partis le matin, les hommes de la 2e division d’infanterie arrivaient en renfort. Le général Ney vint se présenter au général Darklane, et se plaça sous ses ordres. Bien que la nouvelle de l’arrivée de renforts rassurât grandement les hommes, bien que ces derniers ne fussent déjà forts confiants ; le fait que le 1er corps d’armée se soit dégarni de la moitié de ses effectifs et ne dispose plus que d’une division pour couvrir les plaines préoccupa le général Darkalne. Mais bien qu’il fût circonspect, il se rappela que cette division n’était autre que la plus ancienne et la plus aguerrie des divisions de la garde, comptant dans es rangs ni plus ni moins que les 1er et 2e régiments d’infanterie ainsi que le 1er léger ; autant d’unités légendaires que l’on savait à raison capable d’accomplir des miracles tactiques.

Il savait également que le corps était commandé par nul autre que le général Jihair, héros de la garde jusqu’alors invaincu.

 

Il convenait tout de même de ne pas accaparer plus longtemps toutes ces troupes à Novi, aussi le feu d’artifice de la nuit resta-t-il programmé, dans l’espoir qu’il suffirait à déloger les mercenaires.

 

Quand la nuit tomba sur Novi, les citoyens et les soldats furent invités à prendre place dans les rues et à regarder en direction de la montagne. Les mieux équipés, armées de lunettes, cherchaient en vain à apercevoir les colonnes de tirailleurs qui se mettaient en place les barils. En effet, couverts par la nuit et dépourvus de torches pour ne pas alerter les assiégeants, ces derniers étaient presque imperceptibles sur les flancs du relief, aussi dût-on se fier à l’heure pour savoir à peu près quand les mines allaient sauter.

 

Puis, après une ascension de plus de quatre heures et après avoir mis en place les tonnelets aux positions prévues ; les tirailleurs allumèrent les mèches, et filèrent au pas de gymnastique par les chemins qui leur avaient été balisés. Les mèches « lentes » et longues devaient leur offrir dix minutes pour rejoindre des abris rocheux, où ils allaient devoir attendre que les choses se calment avant d’amorcer leur descente.

 

Enfin, vers 22 heures 30, une série de cinq bruyantes explosions se firent entendre. A quelques secondes d’intervalle, cinq gerbes de flammes éclairèrent le temps d’une seconde les sommets du mont, avant de s’éteindre presque immédiatement. Puis, alors que l’ echo des explosions achevait de se réverbérer dans la vallée, un son plus rauque se fit entendre. Un grondement sourd, étouffé, rocheux ; résonna enfin et laissa entendre à l’assistance que plusieurs avalanches avaient bien eu lieu. Plus que cela, une énorme roche, de la taille d’une maison et qui devait avoir déjà été ébranlée par le temps ; s’arracha de son socle et dévala la pente, rebondissant plusieurs fois en se scindant en de plus petits morceaux, qui roulèrent jusque dans la vallée.

 

Plusieurs applaudissements retentirent, sans que l’on ne sache encore quelle avait été l’efficacité de cette mesure. A présent, il ne restait plus qu’au 1er régiment de tirailleurs de redescendre, avant qu’à la pointe du jour des éclaireurs n’aillent observer l’état des positions adverses.

 

Bientôt, minuit sonna, et les trois divisions regroupées à Novi prirent leurs quartiers.

 

 

JOUR 5

 

Au lendemain, dans les plaines de Birak Heim, le général Jihair fut réveillé en urgence par son capitaine d’ordonnance. Embrumé encore par le sommeil, il lui fallut quelques secondes pour voir le visage de son interlocuteur, aussi comprit-il que le soleil n’était pas encore levé…

 

   - Mon général ! Vite, reveillez-vous !

Appela l’officier, un brave homme de quarante ans portant l’habit des grenadiers du 2e d’infanterie de ligne, avec sur ses manches non moins de trois chevrons d’ancienneté.

 

   - Que veux-tu Godaille ?

Grogna le général

 

   - Les vedettes du 2e hussard sont revenues au galop, une des patrouilles a repéré des navires au large, mon général !

 

   - Des navires ? Combien ?

 

   - Je ne sais pas, mais ils sont nombreux ; on peut voir leurs lumières depuis la rive…

 

A ces mots, le général quitta sa couche. Sautant dans ses bottes, il enfila son habit veste et vissa son tricorne sur son crâne. Puis, emboitant le pas du capitaine, il se dirigea vers les cavaliers ; qui attendaient aux abords de sa tente au garde à vous.

 

Parmi les hussards, un sergent sortit du rang ; et se mit au garde-à-vous.

 

   - Mes devoirs, mon général. Sergent Lobau, 3e compagnie du 2e hussard. Au rapport.

Dit haut et fort le sergent.

 

   - Repos. Je vous écoute.

Lui répondit le général Jihair, après lui avoir rendu son salut.

 

   - Mon général, nous avons repéré une flotte inconnue croisant vers nos côtes. La nuit ne nous a pas permis de distinguer clairement de quoi il s’agissait, mais nous avons pu voir de nombreuses lumières, laissant à penser que l’escadre serait nombreuse…

 

   - Ne serait-ce pas l’escadre de l’amiral Wariow qui serait en avance ?

 

   - C’est ce que nous avons pensé, mais les navires de l’amirauté ne sont attendus que dans deux jours. Il est peu probable qu’une flotte aussi nombreuse que celle que nous avons observé ait pu faire le chemin depuis Middenheim en si peu de temps. De plus, les lumières que nous avons observées se sont éteintes pu après avoir débordé de l’horizon dans notre direction, nous pensons que les navires ont mouchés leurs lanternes après avoir aperçu la terre ; ce qui n’est pas bon signe…

 

Le général Jihair, passant la main dans sa barbe, acquiesça silencieusement. Le moment n’était pas idéal, mais visiblement l’ennemi s’était décidé à sortir de l’ombre. Envoyer la 2e division à Novi avait permis de donner le change, aussi l’ennemi pensait-il sans doute que les plaines étaient peu garnies, croyant que le 1er corps dans sa plus grande partie avait fait mouvement. Mais si ce n’était pas le cas, la 1ère division n’en était pas moins seule pour recevoir le premier choc, la 2e division étant à une journée de marche.

 

   - Messieurs, quelle heure est-il ?

Demanda le général.

 

   - Il est 3 heures du matin mon général.

 

   - Dans combien de temps ces navires vont-ils arriver à portée des plages ?

 

   - Nous pensons qu’ils seront en mesure de débarquer vers 6 heures du matin, mon général.

 

   - Bien. Capitaine Godaille, faites envoyer immédiatement une ordonnance à Novi pour intimer au général Ney l’ordre de se rallier à nous à marche forcée avec sa division. En crevant son cheval, le messager devrait arriver pour 7 ou 8 heures. Avec un peu de chance, nous pouvons attendre la 2e division pour 13 ou 14 heures.

 

   - A vos ordres mon général.

 

   - Faites également réveiller le général Desaix. Sa division devra tenir le terrain seule depuis le débarquement ennemi jusqu’à l’arrivée de la 2e division et, si les dieux sont avec nous, de renforts du 3e corps. Cela veut dire que durant près de huit heures, il nous faudra nous contenter de cinq régiments d’infanterie, trois de cavalerie et de trois batteries d’artillerie.

Reprit le général, en se tournant vers un de ses aides de camp.

 

En pareille situation, à la place du général Jihair, nombre d’autres généraux se seraient considérés comme en très mauvaise posture. Isolé, séparé de la moitié de ses effectifs, faisant face à un ennemi en nombre inconnu ; la position du général Jihair était en effet précaire.

Mais dans le péril, il pouvait compter sur un élément de taille : la division qui était restée avec lui dans la plaine n’était autre que la 1ère division de la garde. Ses rangs étaient garnis de non moins que les 1er et 2e régiments d’infanterie : ceux de Kel’Daer et de Tolwhig, de Birak’Heim et d’Asayaka, vétérans les plus aguerris et les plus décorés de toute la ligne. Avec eux, le 2e régiment de hussard, le 1er dragon et le 1er chevau-léger ; et les deux premiers régiments d’infanterie légère ; autant de régiments dont les drapeaux étaient garnis de rubans et de médailles, et brodés des noms de batailles illustres qui avaient forgées l’âme de leurs soldats.

Et au milieu de tous ces biffins formidables, de tous ces vieux lignards balafrés, de tous ces cavaliers hirsutes et galonnés de gloire ; le général Jihair ne dénotait pas, lui qui avait gagné le surnom de « Général de Fer » au fil de ses batailles, et qui passait pour le meilleur tacticien de l’armée.

 

En somme, bien que ce dernier puisse s’attendre à une nette infériorité numérique et à être submergé dès lors que les ennemis auraient pu débarquer le gros de leurs troupes ; il savait que ses propres régiments seraient en mesure de résister pendant des heures, de tenir leur cohésion et d’entraver avec acharnement la marche de leurs adversaires.

Il savait également que, si le devoir l’exigeait, si le temps venait à manquer et si les ennemis venaient à définitivement déborder sa position ; chacun de ses soldats saurait mourir à son poste.

Faire partie du 1er corps était un honneur, faire partie de la 1ère division était un privilège ; et tous comptaient bien l’emporter dans la tombe.

 

Durant le reste de la nuit, c’est-à-dire les 3 maigres heures qui lui restait avant le possible débarquement ennemi, le général Jihair s’employa à mettre ses forces en ordre de bataille, près de la côte. Il fit réunir ses canons dans des redoutes de fortunes, creusées par les sapeurs de la ligne sur les dunes de terre qui surplombaient les plages. Les régiments d’infanterie se disposèrent de manière à pouvoir accueillir tout visiteur hostile par un déluge de feu, sans trop craindre les canons des navires, que l’on voyait se rapprocher à mesure que le temps passait.

 

Vers 5 heures du matin, lorsque le soleil vint lentement caresser l’horizon, la flotte toute entière se dévoila, quand dans la lumières leurs ombres devinrent de véritables vaisseaux.

La situation n’en devint que plus préoccupante : on dénombra sur la mer près d’une centaine de navires, si bien que l’on s’arrêta de compter. Le général Jihair lui-même en tressaillit, mais le devoir commandait. Bien qu’il ait déjà fait prévenir le Grand Etat-Major par une de ses ordonnances dans la nuit, il envoya un second message au maréchal Zorn, qui résuma simplement :

 

« Le 1er corps d’armée accomplira son devoir, mais je crains que vous ne trouviez plus personne lorsque vous arriverez en renfort. Nous combattrons jusqu’au dernier homme. Vive l’empire. »

 

Puis, voyant que les navires ennemis entamaient leur approche finale de la côte ; le général Jihair s’en alla rejoindre les batteries.

 

 

 

 

CHAPITRE 2 – Les plages de sang

JOUR 5 (matin)

 

Depuis les dunes, la mer toute entière semblait couverte de vaisseaux ennemis. Approchant de la côte en avant lente, presque toutes les voiles repliées, les navires arrivèrent à portée des canons du général Jihair. Pour faire face à cette armée de géants, le 1er corps ne disposait que de canons de 6 à 12 livres, plus propices à des combats terrestres, et terriblement en dessous des canons de 24 livres que les observateurs avaient pu voir sur les ponts des bâtiments ennemis.

 

Les canons du général Jihair pouvaient cependant compter sur les redoutes de terre qui les protégeaient, et les rendaient presque intouchables à moins d’un tir direct. Evidemment, les marins ennemis avaient observé les défenses terrestres avant de s’approcher des côtes, aussi ne s’avancèrent-ils pas trop ; pour se placer parallèlement à la côte et permettre le feu de leurs bordées. Il fallait, pour débarquer leurs troupes, que les plages soient libres autant que faire se put ; aussi avaient-ils l’intention faire bon usage de leur poudre et de leurs boulets.

 

Finalement, alors que les navires se mettaient en position, ce fut le général Jihair qui prit l’initiative du combat. Tirant son sabre près des canons, il donna la première tirade de la terrible tragédie qui devait se jouer dans cette belle matinée.

 

   - Artilleurs, à vos pièces ! Les pièces de 12 et de 8, au boulet ! Visez les coques vers la ligne de flottaison, coulons-en autant que possible près du rivage pour empêcher les autres d’avancer ! Les pièces de 6 livres à mitraille vers la plage, je veux que chaque salopard qui vienne poser le pied sur le sol sacré de l’empire gagne deux fois son poids en plomb avant d’atterrir en enfer ! Feu !

Hurla-t-il, pour être entendu malgré les bourrasques.

 

Et, à son appel, toutes les 20 bouches-à-feu sous son commandement firent feu sur un front de près de cinq-cent-mètres, déchirant l’air dans un long craquement, et touchant au hasard parmi la masse de vaisseaux qui manœuvraient devant eux.

 

Dans cette première salve, tous les coups firent mouche, mais les navires étaient bien trop nombreux pour qu’une seule volée puisse avoir le moindre impact. Plusieurs coques craquèrent, quelques voies d’eau furent ouvertes, mais les ennemis tinrent bon. Sur les ponts, on les vit préparer les chaloupes qui devaient porter sur la terre ferme les troupes d’invasion.

 

Une deuxième volée de canons vint s’ajouter à la précédente, avec les mêmes effets. Puis une troisième, puis une quatrième.

Chaque fois, plusieurs marins ennemis étaient emportés sur les ponts, et plusieurs coques étaient percées par les lourds boulets de 12 livres. Mais les navires ennemis flottaient toujours, et poursuivaient les préparatifs de leur assaut. Pire, les canons des vaisseaux commencèrent à répondre quand les manœuvres furent achevées, et un déluge de boulets s’abattit sur les dunes de sable et de terre.

 

Un brouillard blanc se leva sur la côte, émanant de la combustion de la poudre ; et emplissant l’air d’une odeur âcre et sulfureuse qui vint bruler les yeux et les poumons des marins comme des gardes. Dans ce blizzard de feu, on ne vit bientôt plus que les silhouettes des navires et l’éclat des coups de canon, et on entendait plus que le craquement sinistre des coques et le sifflement des boulets qui ricochaient sur le sable et allaient se perdre dans le ciel en tourbillonnant.

 

Cette canonnade dura près de trente minutes sans que rien d’autre ne se produisit. Puis, par chance, et alors que le général Jihair commençait à s’inquiéter de plus en plus de ses réserves de poudre, un des boulets tirés depuis la plage vint finalement trouver la poudrière d’un des vaisseaux.

Une formidable explosion rompit l’énorme navire comme une vulgaire branche, et le souleva de la mer. Puis, dans la trombe d’eau propulsée par l’explosion, les restes du bâtiment retombèrent lourdement, avant de sombrer corps et biens.

 

Des hourras se levèrent sur la plage, et les canons tonnèrent e plus belle.

 

Mais à bord de la flotte ennemie, la perte de ce bâtiment accéléra les préparatifs du débarquement. Il était hors de question de perdre un autre navire sans avoir pu en faire débarquer ses troupes, aussi les ennemis commencèrent-ils à jeter leurs chaloupes à l’eau. Bien entendu, il fallut pour cela que les navires cessent leurs volées de canon ; mais les officiers de la flotte avaient déjà constaté que leurs tirs n’étaient que trop peu efficaces contre les batteries bastionnées dans les dunes.

Alors, dévalant des échelles de cordes sur le ventre des bateaux, les soldats ennemis se ruèrent dans les frêles esquifs, et se mirent à ramer furieusement vers la rive.

 

Voyant cela, les artilleurs des canons de 6 livres, qui n’avaient que peu tiré jusque-là, se mirent à la besogne. Ils chargèrent leurs pièces à mitraille, c’est-à-dire de billes de fer, et firent vomir leurs canons sur les barques qui s’approchaient.

De cauchemardesques nuées de métal en feu déchirèrent le brouillard dans de violentes gerbes d’étincelles, alors que plusieurs centaines de projectiles s’échappaient de la bouche de chaque canon, déchirant tout ce qui se trouvait devant eux.

 

Dans les premières chaloupes, matelots et soldats ennemis furent pris par surprises par ces décharges mortelles, et tous furent taillées en pièces. Chaque coup qui portait sur une barque projetait en l’air une brume de sang et de membres arrachés. En quelques minutes, la mer se teint de rouge, et les vagues qui venaient lécher les berges empourpraient le sable blanc. Quand elles arrivèrent sur le rivage, les premières embarcations n’étaient plus que des cercueils ouverts chargés de cadavres démembrés et percées de mille trous.

 

Cette vision d’horreur s’ajouta à celle de l’épave en flammes qui achevait de couler avec ses propres cadavres ; la mer était alors parsemée de débris fumants et de chair ; l’apocalypse ferait pâle figure, à coté de pareil spectacle.

Cela ne suffit cependant pas à enrayer la tentative de débarquement ennemie, et des chaloupes toujours plus nombreuses passaient à présent entre les navires de front, emportant au front les soldats présents sur les navires parmi les plus éloignés de la plage et qui ne subissaient pas les tirs directs des canons.

 

Pendant près d’une heure et demi, la canonnade se poursuivit encore ; barrant tant bien que mal l’accès de la plage. Le massacre fut tel que les barques étaient ralenties par les corps et les débris, ainsi que par les épaves flottantes des chaloupes précédentes. La panique sembla s’emparer de certains soldats ennemis qui tentèrent e se jeter à l’eau plutôt que de s’approcher plus avant dans cet enfer, mais dans leur ensemble les troupes de l’envahisseur ne semblaient que peu s’émouvoir de l’enfer que devenait ce débarquement.

 

Tous savaient, par les rapports de leurs éclaireurs et par les observations qu’ils avaient pu faire depuis les mâts des navires, que les forces de la garde présentes en face d’eux étaient près de trois fois moins nombreuses, sinon quatre fois, que leurs propres forces d’invasion. Il suffisait alors de forcer le passage, en attendant que les réserves de poudre des défenseurs ne tombent à néant.

 

Et cela, justement, était en train d’arriver.

Petit à petit, durant plusieurs minutes, la canonnade sembla perdre d’intensité ; alors que plusieurs sergents artilleurs vinrent rapporter au général jihair que leurs réserves de poudre s’étaient épuisées, réduisant la batterie toute entière au silence.

 

Conscient qu’ils n’étaient plus d’aucune utilité, mais qu’il était capital que les ennemis ne puissent pas s’emparer de canons de campagne, le général ordonna que l’on fasse réatteler les canons et qu’on les renvoie à Fort Herobrine à marche forcée. L’artillerie avait fait sa besogne, et laissé sur la plage et sur la mer les corps pulvérisés de près de 2 000 d’hommes déjà. Il était temps que l’infanterie et la cavalerie fassent leur part.

 

Quand l’intensité des tirs de canons commença à décroitre, les ennemis sentirent le vent tourner, et ils ne manquèrent pas l’occasion de souquer de plus belle vers la rive. Quand les canons se turent finalement, plusieurs chaloupes déversèrent sur le sable leur lot de soldats ennemis, qui mirent pied à terre au milieu des restes méconnaissables de leurs camarades.

 

On put alors observer de plus près, pour la première fois, ces envahisseurs dont on ne savait encore ni l’origine ni les motivations. Ils étaient vêtus de tuniques et de pantalons rouges à parements blancs, ainsi que d’armures de plaques métalliques superposées et de bottes de cuir. Tous portaient également un casque en métal surmonté d’une crète et descendant sur les tempes, et étaient armés de sortes d’arquebuses d’un fort calibre de la même facture que ceux des lansquenets de Filranmel.

 

Parmi les ennemis, on distinguait ceux qui devaient être leurs officiers par le port d’une longue cape rouge, et par la frange en poils brossés écarlates que certains arboraient sur leur casque. En outre, cette armée d’envahisseurs, qui avait déjà fait la preuve de son endurcissement ; faisait à présent une étonnante démonstration d’organisation.

 

En effet, si la fin des tirs de canons leur avaient permis de débarquer, ils étaient à présent pris pour cible par les fantassins de la garde qui, déployés en tirailleurs, faisaient tomber sur eux une pluie mortelle. Les envahisseurs, bien qu’ils essuyassent quelques pertes, ne s’en démontèrent pas moins et formèrent rapidement des centuries et des manipules, que l’on compara rapidement aux compagnies et bataillons de la garde.

 

Une fois ces groupes formés méthodiquement, ils entreprirent enfin de répondre par le feu ; et la fusillade devint réciproque. Perpétuellement renforcés par la mer grâce aux chaloupes qui déversaient inlassablement leurs soldats sur la plage, il ne fallut pas longtemps pour que les ennemis ne se mettent en mouvement en direction des dunes, dans une discipline impeccable.

 

Depuis les reliefs, les soldats de la garde ne se démontèrent pas et continuèrent leurs tirs, qui ne manquaient pas de faucher de nombreux hommes à chaque volée. Mais malgré tous leurs efforts, le rythme des pertes de l’adversaire restait moindre que celui auquel arrivaient ses nouveaux éléments, et il sembla évident que les fantassins de la garde tomberaient à court de munitions avant d’avoir fait reculer ces envahisseurs si déterminés. Heureusement, quand ce petit monde fut suffisamment nombreux sur la plage au goût du général Jihair, ce dernier déploya la carte qu’il avait gardé dans sa manche, ayant prévu par prudence le cas où l’ennemi ferait résistance.

 

De l’arrière des dunes, un clairon sonna. Quelques secondes plus tard, depuis l’extrémité Est de la plage, hors du brouillard laissé par les canons et les mousquets, un autre lui répondit. Puis, alors que la fumée obstruait toujours la vision des envahisseurs à plus de quelques mètres, le sol se mit à trembler. Un roulement étouffé se fit entendre, bientôt suivi par une formidable clameur et un cri de guerre repris à l’unisson par près de 600 hommes :

« Charge crève-cœur, droit à l’honneur » !

 

Sur la plage, le 1er régiment de chevau-légers, glorieusement surnommé « crève-cœur », venait de se lancer au pas de charge.

 

Les six compagnies de lanciers qui composaient le régiment étaient réunies, formant sur la bande de sable une formidable colonne par compagnie, formant ainsi un front de cent hommes et profond de six rangs. Devant ce mur de cavaliers, chevauchant en tête la lance à la main, le colonel Mourrier menait ses hommes à la bataille ; suivi de près par son clairon qui sonnait la charge avec ivresse.

 

En quelques secondes, les lanciers arrivèrent au contact des ennemis, qui ne purent se mettre à l’abris ; exposés comme ils l’étaient au milieu de cette plage, pris entre la mer et les lignes de fusiliers de la garde.

 

La première compagnie de lanciers percuta tous ceux qui étaient restés debout sur son passage dans un fracas terrible. Certains envahisseurs, empalés sur les lances, furent emportés sur des dizaines de mètres. Tous ceux qui avaient, par miracle, échappé à la première ligne furent cueillis par la seconde, ou la troisième, la quatrième ou la cinquième.

La sixième ligne des lanciers, quant à elle, ne se donna même pas la peine de galoper : ses hommes se contentèrent d’achever d’un coup de lance les malheureux ennemis culbutés par les chevaux et blessés par les coups d’estoc.

 

En moins de dix minutes, le 1er chevau-léger avait traversé la plage d’Est en Ouest, et massacré la presque totalité des soldats ennemis qui s’y trouvaient, sous les yeux de leurs camarades. La manœuvre coûta tout de même la vie à près d’une vingtaine de cavaliers, mais le ratio valut la chandelle. Enfin, après leur charge magnifique, le général Jihair fit rapidement replier ses cavaliers derrière le relief, pour qu’ils ne puissent pas être atteints par les canons des navires.

Derrière eux, sur la plage, les corps de près de 500 ennemis tachaient le sable blanc de leur sang impur ; le prix de leur intolérable viol de la terre sainte.

 

Galvanisés par ce succès, les soldats de la garde se préparèrent à recevoir leurs prochains visiteurs. A mesure que de nouvelles chaloupes faisaient débarquer leurs équipages toujours plus nombreux, la fusillade reprit et s’intensifia encore ; comme si les quelques 2 500 morts infligés à l’ennemi n’avait en rien entamé sa détermination. Sur la plage, les envahisseurs devinrent de plus en plus menaçants, et entreprirent finalement de marcher le long de la côte pour étendre leur ligne et déborder la 1ère division par ses flancs.

 

Il devint rapidement évident que l’ennemi disposait de troupes abondantes, qui allaient bien finir par submerger les quelques 6 000 hommes du général Jihair. Aussi, bien que ses hommes n’eussent encore éprouvé que peu de pertes, il décida de préparer ses régiments à faire retraite en bon ordre. L’annonce du repli fut accueillie avec un léger flottement, mais les mouvements hostiles sur les flancs droit et gauche et la masse hostile qui fourmillait à présent sur la plage acheva de convaincre chacun de l’urgence d’un redéploiement, d’autant plus que les munitions allaient finir bien par manquer.

 

Vers 8 heures, deux heures après le début des combats sur la plage, la 1ère division entama alors son repli vers l’intérieur des terres, et dût laisser le champ libre au débarquement adverse.

Les régiments se regroupèrent en colonnes par compagnies, de sorte à pouvoir se remettre en ligne en cas de prise à partie, et rétrogradèrent dans les plaines.

 

L’ordre de marche était simple : Les 1er, 2e et 4e régiments de ligne ouvraient la marche, suivis par les 1er et 2e légers, déployés en tirailleurs, qui couvraient le repli. A la gauche des colonnes, le 1er régiment de chevau-légers assurait la couverture de l’aile, tandis qu’à droite, cette tâche était assurée par le 2e régiment de hussards. Le 1er régiment de dragons, enfin, avait réparti ses compagnies auprès des chasseurs des 1er et 2e léger pour les soutenir contre des poursuivants trop téméraires. L’état-major, lui, gravitait entre les régiments d’infanterie, couvert par la compagnie d’élite du 1er de dragons.

 

Evidemment, le mouvement de repli de la 1ère division fut rapidement remarqué par les envahisseurs, que l’on avait déjà commencé à surnommer « les rouges », de par la couleur de leur uniforme. Ces derniers, voyant les défenseurs se retirer, occupèrent immédiatement les dunes qui démarquaient la plage des premières plaines. On crut un instant, alors que la division commençait à s’éloigner à pas lent, que l’ennemi profiterait de l’occasion pour donner l’assaut général. En réalité, le général Jihair n’attendait que cela, ce mouvement inconsidéré pouvant lui permettre de reprendre l’avantage sur une force adverse encore en déploiement et qui se risquerait à un assaut désordonné.

 

Mais il devint vite évident que les « rouges » n’étaient pas du genre à se laisser prendre à ce genre d’erreurs tactiques, ni à se laisser aller à des facilités. Ces nouveaux et inopinés adversaires de la garde se révélaient de plus en plus être une force ordonnée et aguerrie, ce qui ne manqua pas d’inquiéter le général.

 

Méthodiquement, profitant de l’espace laissé par les soldats de la garde, ils se regroupèrent en groupes de cent hommes, qui formèrent eux-mêmes des cohortes de cinq-cents hommes. Ces cohortes réunies, les ennemis se mirent en marche, à pas lent, moins pour poursuivre leurs adversaires que pour laisser le champ libre sur la plage pour que leurs renforts y débarquent à leur tour. De loin, à la jumelle, on compta rapidement 10 000 hommes, puis 11 000, puis 12 000, débarquant inlassablement par groupes de plusieurs dizaines, entassés dans des chaloupes. Vers Neuf heures et demie, non moins de 15 000 ennemis avaient pris position sur le rivage ; contre les 6 à 7 000 hommes du général Jihair.

 

Ce dernier, qui avait fait reculer ses troupes jusqu’à un promontoire naturel situé à près d’un kilomètre, ne put que constater la disproportion des forces. Plus que jamais pourtant, il était urgent d’intervenir ; pour contrecarrer les plans de ces envahisseurs dont on ne savait encore rien des motivations. Mais ses moyens étaient limités : séparé de son artillerie qui était à court de boulets et entouré d’hommes dont les gibernes étaient presque vides de poudre et de balles, le général jihair ne pouvait rien espérer de mieux qu’une mêlée à l’arme blanche. L’espoir de maitriser seul l’invasion s’amenuisait, mais il n’en restait pas moins le devoir absolu de combattre jusqu’au dernier homme pour entraver la progression ennemie jusqu’à l’arrivée de renforts.

 

Il était en effet hors de question de fuir le combat, et de laisser l’ennemi maitre de la région au risque de le perdre de vue. Nul ne savait quels étaient ses moyens et vers ou il comptait porter ses efforts, et il serait trop dangereux de laisser une armée hostile s’enfoncer plus avant en terre impériale, mettant à leur mercie les populations civiles dont la protection était la seule mission des gardes. Le général Jihair le savait, il allait devoir combattre.

 

Il allait avoir besoin d’un plan qui lui permettrait d’économiser ses forces au maximum en infligeant le plus de dommages possibles aux forces ennemies, aussi poursuivit-il ses observations à la lunette, cherchant à déceler une faiblesse dans le dispositif adverse. Il ne lui fallut pas longtemps, car il se rendit rapidement compte d’un défaut dans l’ordre de bataille des envahisseurs :

Bien que ces derniers ne disposent d’une très nombreuse infanterie, venant de débarquer, ils ne disposaient ni d’artillerie de campagne ni de cavalerie. En somme, si leurs ressources de combat frontal dépassaient de loin celles de la 1ère division, ils ne disposaient pas de feux à longue distance, ni de moyens de poursuivre un adversaire menant une guérilla.

 

Pour le général Jihair, la solution était simple : il fallait harceler les rangs ennemis par des mouvements de tirailleurs, provoquer une contre-attaque de leur part, et prendre cette contre-attaque à partie à l’aide de sa nombreuse cavalerie ; tout en se tenant prêt à rétrograder en vitesse si l’ennemi tentait de faire valoir son nombre dans un mouvement en avant.

Certes, ces méthodes relevaient du gagne-petit et ne fonctionneraient que tant que l’ennemi ne se lancerait pas enfin dans un bond général en avant, mais cela permettait de maintenir l’adversaire sous pression constante tout en leur infligeant des dommages, en restant au maximum hors de leur portée. Le principe était simple mais connu de presque tous les militaires : Aspirer, fixer, rompre. L’idée était simple, mais son exécution était toujours efficace.

 

Vers dix heures, la 1ère division se remit en marche en direction de la plage, et se déploya en ordre de combat. L’ordre de bataille était le suivant : les deux régiments légers ouvraient la marche, leurs 24 compagnies déployées en tirailleurs, c’est-à-dire de manière désordonnée pour être moins facilement pris pour cible par des feux de salve. En plus des deux régiments légers, les 6 compagnies de voltigeurs des 1er, 2e et 4e régiments de ligne virent se joindre au mouvement. Derrière les lignes de tirailleurs, les trois régiments de ligne se disposèrent en une ligne en « dents de scie », chaque échelon étant composé d’une compagnie de fusiliers. Enfin, derrière cette ligne, les 6 compagnies de grenadiers de la ligne restaient en réserve.

 

Les tirailleurs, qui avaient remplis leurs gibernes avec les balles des soldats de ligne, devaient donc attirer l’animosité des « rouges » par leurs tirs de harcèlement, provoquer des réactions spontanées et localisées comme la contre-attaque d’une centurie ou d’une cohorte, et attirer cette force vers la 2e ligne ou les fusiliers l’attendraient baïonnette au canon. Dans le cas où l’ennemi ne se laisserait pas attirer trop loin de ses lignes, la cavalerie se tenait prête à attaquer le moindre débordement ennemi, même si ces derniers ne s’éloignaient qu’à hauteur des positions des tirailleurs de la garde.

 

Il devait être dix heures et demie quand la 1ère division acheva de se déployer, projetant ses soldats légers aux avants, en direction des envahisseurs dont les premiers rangs s’étaient préparés à la fusillade. Une ligne de soldats rouges se forma sur les dunes, cachant derrière elle des colonnes d’assaut que l’ennemi préparait visiblement pour renforcer sa ligne. Quand les soldats des deux camps furent à portée de tirs, la mousquetade reprit.

 

Les chasseurs, voltigeurs et carabiniers parvinrent, sous le feu, à se rapprocher insolemment près des rangs ennemis, profitant de la couverture de hautes herbes et de leur formation désordonnée pour minimiser leurs pertes. Alors, couchés sur le sol, ils n’avaient plus qu’à ajuster leurs tirs, qui faisaient mouche presque systématiquement dans les masses adversaires qui se tenaient à découvert sur les dunes.

Des hommes tombaient cependant, mais il était hors de question de décrocher avant d’avoir conduit l’ennemi à commettre une imprudence, ce qui ne manqua pas d’arriver.

 

Fusillés de près par les soldats de la garde, subissant de lourdes pertes de la part de ces tireurs insaisissables, et sans ordres de leur commandement ; les hommes d’une des centuries commencèrent à perdre patience. Alors, quand leur centurion tomba foudroyé, ils ne se continrent plus, et partirent en avant en direction des chasseurs.

 

Ce mouvement spontané de la centurie entraina dans son sillage le reste de la cohorte car, heureux hasard, elle se trouva être la primo-centurie du groupe ; induisant les chefs des autres centuries à croire que l’ordre de l’assaut avait été donné à toute la cohorte. Cinq-cents hommes se ruèrent donc au bas des dunes, rompant la ligne, et s’enfonçant dans les hautes herbes pour y trouver les soldats de la garde qui les narguaient depuis de longues minutes.

 

Mais lorsqu’ils arrivèrent aux positions des chasseurs, ces derniers se retirèrent immédiatement sans combattre, et s’enfoncèrent plus profondément dans les herbes. Excédés, les rouges leur emboitèrent le pas l’arme au poing ; espérant bien écorcher vifs ces fins tireurs qui se dérobaient devant eux. Ils croisèrent sur leur route les corps des gardes tombés dans l’échange de tir précédent, mais les chasseurs disparurent rapidement de leur champ de vision, limité par la végétation. Ils comprirent, trop tard, qu’ils avaient été piégés.

 

Sur leur flanc droit, n’ayant que faire des hautes herbes grâce à leurs fières montures, les dragons du 1er régiment fondirent sur eux. Les premiers envahisseurs à portée de lame furent sabrés, et le groupe tout entier, qui n’avait rien pour se prémunir d’une attaque de cavalerie, s’empressa de rejoindre les dunes en désordre.

Il fut poursuivi l’épée dans les reins par les dragons qui massacrèrent méthodiquement les légionnaires rouges, sous les yeux hagards de leurs camarades. Certains, sans ordre, épaulèrent leurs arquebuses et firent feu sur les dragons, au risque de toucher leurs propres hommes. Sur toute la ligne, la tension sembla à son paroxysme, comme une trainée de poudre qui n’attendait plus qu’une flammèche pour s’embraser.

 

A cet instant, d’un pas lourd, un légionnaire d’un nouveau genre posa le pied sur la plage ;

Le Dux Senatoris Legatus Julius Ouranos, commandant de la Ière légion des titanides et général en chef du contingent d’invasion, débarqua au milieu de ses hommes.

 

Il trouva sur le sable les soldats des Ière, IIe, IIIe et Ve légions, soit près de 17 000 hommes restants après les quelques 3 000 pertes subies pendant les premières heures du débarquement. Parmi eux, venu l’accueillir sur la plage, Le sénateur Ouranos trouva ses camarades les Senatoris Legatus Paulus Cronos, Lucius Helios et Decimus Argos.

 

Bien que tous les soldats des légions titanides n’aient pas encore débarqué, leur commandement était enfin au complet. Ayant retrouvé ses subalternes directs, le sénateur s’enquit de l’état des opérations, constatant au crépitement de l’intense mousquetade qui sévissait que les combats avaient repris.

 

   - Je vois que la fête a commencé. C’est bien, nous avons du pain sur la planche. Combien d’hommes avons-nous laissé sur le sable ?

Demanda le sénateur Ouranos, en pointant le cadavre d’un de ses légionnaires du doigt.

 

   - Nous avons eu près de 3 000 pertes pour l’instant, Dux Ouranos.

Lui répondit le sénateur Cronos.

 

   - Avec quatre légions débarquées, nous avions 20 000 hommes. Combien sont-ils en face ?

   - Nous pensons qu’ils sont environ moitié moins nombreux que nous à présent.

   - Moitié moins ? Et vous ne les avez toujours pas exterminés ?

Demanda à nouveau le sénateur Ouranos, dont le ton traduisait sans peine l’agacement.

 

   - C’est-à-dire que nous attendions d’être assez nombreux pour ne pas nous risquer inutilement. Nous avons réussi à les chasser des dunes, mais ils nous ont échappé à ce moment-là. A présent ils sont revenus et ont entrepris de harceler nos lignes, avec quelques succès je dois l’avouer.

 

   - Et bien, vous avez assez attendu non ? Faites donner l’ordre du mouvement en avant. Inutile d’attendre les deux légions qui doivent encore débarquer ; dépêchons-nous de nous débarrasser de ces gêneurs et mettons-nous en marche vers l’intérieur des terres voulez-vous ?

Ordonna finalement Ouranos.

 

Quelques minutes plus tard, le son de plusieurs cornes se firent écho le long de la côte et des dunes. Comme un seul homme, chaque légion se disposa en ordre, formant les rangs. Du coté des plaines, le général Jihair comprit rapidement ce qu’il se passait : ses adversaires étaient maintenant assez nombreux, et ils allaient fondre sur lui pour le vaincre.

 

Immédiatement, il fit rappeler les dragons, et ordonna aux deux régiments légers de se préparer à un repli en escarmouches. Puis, ayant déjà rassemblé ses régiments de ligne sur un relief qui lui donnait l’aval sur tout assaillant, il réorganisa son dispositif. Il savait que ses ennemis allaient chercher à déborder ses flancs en profitant de leur nombre. Il était donc inutile, et même dangereux qu’il étende ses lignes, car cela ne donnerait à ses adversaires que l’occasion de rompre ses flancs, trop faibles pour soutenir des assauts en surnombre.

 

Profitant du grand plateau sur lequel il se trouvait, et dont les pentes offraient un obstacle au double intérêt de ralentir la marche des ennemis et de les empêcher de mettre en joue les soldats de la garde avant d’être arrivés en haut du promontoire ; le général Jihair opta pour un ordre de bataille en profondeur, disposant la division entière comme un gigantesque carré plein. Ce carré, aux flancs composés de régiments entiers offrant quatre murs de baïonnettes, était lui-même composé de petits carrés pleins par compagnie disposés en dents de scie, de sorte que les ennemis qui tenteraient de pénétrer dans le périmètre ne se retrouvent systématiquement entre les murs de deux carrés et face à un troisième.

 

Concernant la répartition des compagnies, sachant que le centre ennemi s’abattrait sur la face sud du carré et que le reste des efforts se porterait surtout sur les faces est et ouest, le général jihair décida d’employer ses unités comme suit :

Les fusiliers de lignes, plus nombreux, formeraient les quatre faces du carré en dents de scie. La face Sud serait renforcée par les six compagnies des grenadiers de ligne et par les quatre compagnies de carabiniers des régiments légers. Les faces Est et Ouest seraient quant à elles doublées de huit compagnies de chasseurs à pieds chacune, tandis que la face Nord, enfin, serait couverte par les dix compagnies de voltigeurs.

 

Enfin, le général Jihair ordonna à ses trois régiments de cavalerie de s’éloigner du relief pour ne pas être pris dans une mêlée défensive ou ils ne pourraient pas exploiter leur capacité de « choc » au profit de la division. Pour cela, le général Jihair ordonna au général de brigade Grouchy de se porter à plusieurs centaines de mètres du promontoire, en plaine, et d’entamer de chercher des failles dans le dispositif ennemi pour essayer d’y porter ses cavaliers en charge.

 

Le redéploiement de la division, qui fut facilité par les dispositions du général Jihair une heure auparavant, dura jusqu’à onze heures et quart. Ce temps avait suffi aux légions ennemies pour se déployer également au bas du relief, et se préparer à l’assaut. Près de 17 000 hommes s’avançaient à présent, arquebuse au poing ; face à ce carré de 6 000 hommes.

 

Parmi les soldats de la fière et brave 1ère division, pas un ne tressaillit cependant. Au milieu de la face sud du carré, juché sur son cheval entre deux compagnies de grenadiers, le général Jihair attendait, l’oreille tendue, guettant le bruit des pas qui devaient lui annoncer la mise en marche d’un ennemi qui lui était pour l’instant dissimulé par le terrain.

 

Son capitaine d’ordonnance, le vieil officier des grenadiers du 2e de ligne, vint se porter à sa hauteur.

   - Mon général, les hommes sont prêts à en découdre.

   - Je sais Godaille, moi aussi. Quelle heure est-il ?

   - Onze heure et vingt minutes mon général.

   - Bien. Si les dieux sont avec nous, le général Ney et sa division seront sur nous d’ici deux heures, avec, je l’espère, la division étrangère. Qu’ils soient 6 ou 12 000 hommes, ils ne seront pas de trop. J’espère simplement que nous tiendrons jusque-là…

Dit le général, en allumant sa cigarette.

 

   - Nous tiendrons mon général.

   - Oh je sais bien… Ce n’est pas nous qui sommes coincés ici avec eux, c’est eux qui sont coincés ici avec nous.

Termina le général Jihair, en laissant s’échapper un panache de fumée gris-bleuté.

 

A leurs pieds, le sol se mit à trembler.

 

   - On dirait que ça commence, mon général.

   - Bonne chance mon ami, à la tienne, et à la fin du monde !

Hurla le général, en dégainant son sabre.

 

Et ainsi, vers onze heures et trente minutes, débuta la Bataille de la Butte du Diable.

 

CHAPITRE 3 – La butte du diable

JOUR 5 (midi)

 

 

Il est des choses que l’esprit humain, bien qu’il soit un trésor d’invention et d’imagination, ne peut figurer. La taille de l’univers, la profondeur de l’océan, les forces ayant érigé les montagnes… et le fracas que peut produire le choc de vingt-mille hommes qui en attaquent six-mille.

 

Le combat s’était engagé depuis une heure déjà. Une heure interminable, suspendue dans le temps, comme éternelle ; pendant laquelle les soldats de la garde et les légionnaires des titanides s’étaient écharpés au corps à corps, en se regardant dans le blanc des yeux.

Depuis longtemps déjà, tous avaient brulé toutes leurs munitions. Et quand bien même il ne leur en restât, le combat se déroulait à présent à une telle proximité que le feu et la poudre n’étaient plus d’aucune utilité. Coups de glaive, coups de sabre, coups de baïonnettes, coups de crosse et de poings ; morsures et étranglement donnaient maintenant la mesure du combat ou plus un seul mot n’était intelligible. Tout n’était que cris, plaintes, grognements bestiaux alors que les deux armées s’affrontaient dans un baroud terrible.

 

Malgré leur nette infériorité numérique, les soldats de la 1ère division ne déméritaient pas, et tenaient de pied ferme leur position. Bien sûr, le déséquilibre des forces était dramatique, et ils étaient assaillis de toutes parts ; mais le choix de leur terrain et la concentration de leur dispositif empêchait les légions d’utiliser toutes leurs forces en même temps, et les soldats ennemis devaient gravir la colline avant de pouvoir se porter sur leurs adversaires, ce qui ajoutait, bien que ce fut dérisoire, à leurs difficultés.

 

Les gardes eux, qui n’avaient plus nulle-part où reculer, se défendaient avec l’énergie du désespoir. Pas un cependant ne montrait le moindre de signe de faiblesse ou d’angoisse, si bien que même les morts tombaient en silence, gardant sur leur visage une expression farouche que la faucheuse elle-même ne sut parvenir à leur enlever. Les cadavres s’empilaient aux pieds des vivants, entourant les carrés de chaque compagnie d’un parapet de chair et d’os, et de blessés en tous genres. Malgré les coups, malgré la pression, malgré l’inégalité du combat et l’épuisement, les gardes de la 1ère division faisaient honneur à leur réputation de meilleurs soldats de la ligne, et se couvraient de sang autant que de gloire. Sur l’herbe grasse, le liquide pourpre qui s’écoulait des piles mortelles abondait tant que la terre ne l’absorbait plus, si bien que de fins ruisseaux en dévalaient à présent la pente du promontoire.

Si le diable lui-même était passé dans la plaine ce jour-là, il aurait probablement pris peur.

Le général Jihair et ses hommes, eux, connaissaient bien ces visions de cauchemars : ils avaient déjà fait le voyage, et avaient bien l’intention d’en revenir encore une fois.

 

Sur la face sud du carré divisionnaire, le général Jihair s’était porté au milieu des soldats du 1er régiment d’infanterie, « les terribles », et encourageait ses camarades à poursuivre la lutte.

Il avait bien, au début, tenté de changer ses formules pour haranguer les hommes ; mais une seule phrase lui venait maintenant à la bouche : « Jusqu’à la fin du monde ! ».

 

Le sang ruisselait sur son visage, coulant abondement d’une estafilade qui avait manqué de lui fendre le crâne. Son uniforme était si imbibé que le beau drap bleu avait viré au noir, et son tricorne avait depuis longtemps été emporté par un coup d’arquebuse à bout presque portant.

A ses pieds, le corps du capitaine Godaille, son ordonnance, gisait percé de nombreux coups de glaive : le brave était mort en se portant au-devant d’un jeune soldat de première classe, qui se démenait à présent pour venger son capitaine.

 

Le soleil, qui avait atteint son Zenith, enveloppait à présent de sa lumière la pièce tragique qui se jouait sous lui. Sur les arrières des légionnaires, aux pieds de la colline, les trois régiments de cavalerie tentaient désespérément de soulager la pression sur le carré, en harcelant par d’incessantes charges les troupes des légions. Chaque assaut emportait un nombre considérable d’ennemis, mais ce n’était qu’au prix de dizaines de cavaliers, qui revenaient pourtant inlassablement ; cherchant la brèche. Lanciers, hussards et dragons usaient leurs rangs pour entamer ceux de l’ennemi, revenant chaque fois moins nombreux.

 

Dans les deux camps, les pertes étaient considérables. Il se put même que les légionnaires fussent les plus nombreux à tomber. Mais leur surnombre comblait aisément les trous laissés par les disparus, et ils savaient que, d’ici quelques minutes, ils allaient recevoir le renfort de non moins de deux légions supplémentaires, ce qui devait regarnir leurs rangs de plus de 10 000 hommes.

 

La situation était désespérée, la lutte était abominable. La 1ère division de la garde se trouva sur le point de chanceler, quand elle fut ralliée par une formidable cri ; que poussa de tout son coffre un soldat anonyme :

 

- La Garde meurt mais ne se rend pas !

Et ce cri, comme un cantique, fut repris à l’unisson avec rage. Il traversa les rangs, s’éleva sur la plaine ; et résonna sur les ennemis ahuris. Parviendraient-ils seulement à briser ce genre d’hommes-là ? Pouvait-on seulement espérer les vaincre autrement qu’à les tuer tous ?

 

Pour les envahisseurs, cette bataille n’était qu’un combat importun qui commençait très mal cette campagne d’invasion que leurs chefs leur avaient promis simple et rapide ; ce qui ressemblait de plus en plus à un mensonge.

Pour le général Jihair et ses hommes en revanche, ce combat était un baroud d’honneur. Une histoire de fierté, de devoir, de noblesse d’épée. Chaque garde était un rempart derrière lequel le pays pouvait continuer à vivre en paix. La mort était un prix dérisoire, un sacrifice volontaire sur l’autel de la sécurité du peuple. L’esprit n’avait jamais changé : « sachons vaincre, ou sachons périr ».

 

Tous avaient accepté le sacrifice ultime, et s’étaient fait la promesse de ne mourir qu’après avoir emporté avec eux le plus d’ennemis possible. Chaque seconde que durait cette bataille les rapprochait de la mort, et chaque seconde qui les rapprochait de la mort les enhardissait.

Mais, alors que sur le monde des mortels l’issue de la lutte leur semblait de plus en plus inexorablement fatale ; les dieux semblèrent décidés à ne pas laisser passer pareille injustice. Peut-être une bonne étoile, invisible dans l’azur du ciel, veillait-elle sur eux ?

 

Non. Ce n’était pas une étoile ; c’en était sept. Sept étoiles sur les manches bleues d’une veste d’uniforme, cachées par une redingote grise.

A l’autre bout de la plaine, à encore deux kilomètres, une colonne venait d’apparaitre sur l’horizon.

Le maréchal Zorn, alerté par un messager, s’était jeté au secours de ses hommes avec ce qui lui restait de réserve.

Et ce qui lui restait de réserve, qui avait fait le chemin à marche forcée depuis Fort Herobrine ; les gardes de la 1ère division n’allaient pas mettre longtemps avant de les reconnaitre :

Bonnets en poils d’ours, épaulettes rouges, chevrons de vétérance, médailles sur la poitrine et boucle dorée à l’oreille ; la Garde Consulaire, suprême espoir, se ruait à leur secours.

 

A ce moment, la « vieille garde » ne comptait encore dans ses rangs que 3 800 hommes, répartis en deux régiments d’infanterie délite et deux régiments de cavalerie d’élite. Mais les soldats qui garnissaient les rangs de ces régiments avaient pour eux d’être les plus aguerris, les plus combatifs, les plus décorés et les plus entraînés de toute l’armée. Nombre d’entre eux avaient plus de cinq campagnes à leur actif, sinon plus ; et les brisques de vétérance qui décoraient leurs épaules indiquaient souvent plus de quinze années sous les armes. En outre, près d’un homme sur cinq portait « la croix » de la légion d’obsidienne, et près d’un quart des hommes portaient celle des volontaires.

 

Quand cette formidable colonne arriva à vue du promontoire, ce furent les légionnaires qui, les premiers, l’aperçurent. L’arrivée de renforts de la garde était pour eux de très mauvais augure, car une bonne partie de leurs 14 500 hommes encore en état de se battre étaient engagés dans la lutte autour du carré divisionnaire du général Jihair. L’ouverture d’une nouvelle ligne de front allait les obliger à se redéployer en urgence, même si ils disposaient toujours d’un net avantage numérique.

 

En effet, éprouvée par le corps à corps sanglant depuis plus d’une heure et demi, la 1ère division de la garde ne comptait plus que 4 500 hommes se tenant péniblement debout sur les 6 000 fantassins initialement engagés. Bien qu’il apportât la promesse du salut, le renfort du maréchal Zorn et de la garde consulaire, avec 3 800 hommes, n’allait porter les forces de la garde qu’à 12 100 hommes. Un nombre plus « confortable » pour manœuvrer mais qui n’équivalait pas encore aux 14 500 soldats ennemis, d’autant plus que ces derniers attendaient encore le renfort de 5 à 10 000 hommes.

Il était donc urgent, et même vital que l’action de la vieille garde dans la lutte soit décisive ; pour espérer briser les envahisseurs avant qu’ils ne soient soutenus par un nouvel apport de troupes « fraiches ». Pour cela, le maréchal Zorn pouvait compter sur un avantage de taille : Le général Jihair, bien que ses manœuvres lui aient relativement été imposée par la masse ennemie, avait réussi à fixer leurs troupes autour de sa position.

 

Pour faire face à la garde consulaire, les légionnaires allaient donc devoir dégarnir leurs rangs autour de la 1ère division pour former une ligne défensive capable de tenir contre 3 800 hommes au sommet de leur force, n’ayant pas encore combattu et n’ayant été éprouvés que par la marche. Ce redéploiement allait soulager la 1ère division, et pouvait même créer des disparités dans l’étau qui l’enserrait ; autant de failles que la cavalerie pourrait tenter d’exploiter pour percer leurs lignes et libérer les gardes encerclés.

 

A cet instant d’ailleurs, le général Grouchy, qui avait repéré avec soulagement l’arrivée des troupes du maréchal Zorn, se porta en sa direction avec ses trois régiments.

Laissant son propre état-major derrière-lui, le brave cavalier se précipita aux côtés du maréchal et 1er consul, qui semblait l’attendre.

 

   - Général Grouchy, 1ère brigade de cavalerie au 1er corps d’armée ; au rapport maréchal !

Salua le général, en arrêtant sa monture à hauteur de son chef.

 

   - Général, je vois que nous arrivons fort à propos. Quelle est la situation ici ?

 

   - Monsieur, le général Jihair est pris au piège de cette masse ennemie, au sommet de cette colline. La cavalerie du corps, ne pouvant s’abriter dans le carré de fantassins, a été envoyée harceler les flancs ennemis, mais je n’ai connu que peu de succès jusqu’à présent.

 

   - Je vois. Des pertes ?

 

   - Terribles monsieur, mais je ne puis vous dire combien d’hommes sont tombés sur la colline. Pour ma part, j’ai près de 200 cavaliers tués sur les 1 800 que j’avais.

 

Le maréchal, qui avait observé la bataille depuis qu’il était arrivé à portée de vue, sembla réfléchir. Il savait que la 1ère division, isolée, ne tiendrait plus longtemps. Il fallait rapidement se jeter à son secours, afin de la soulager ne serait-ce que jusqu’à l’arrivée de renforts plus conséquents de Novi. Face à lui, les envahisseurs semblaient entamer le déploiement de leur ligne de défense à quelques cinq-cents mètres de sa position, aussi le combat était-il imminent. Restait encore à décider comment l’engager.

Quand il sembla décidé, le maréchal Zorn héla le général Dorsenne, commandant l’infanterie de la vieille garde.

 

   - Général, faites déployer vos deux régiments en lignes de trois rangs de profondeur, et portez-vous immédiatement au contact de ces fantassins ennemis qui nous font face. Vous ferez faire feu sur eux avec abondance, pendant que le général Grouchy, ses dragons et ses hussards iront l’attaquer par le flanc. Veillez à ne cesser le feu que quand nos cavaliers s’élanceront, que l’ennemi souffre du plus de coups possibles mais que nous n’ayons pas de tirs amis.

 

   - A vos ordres, monsieur !

Répondit le général Dorsenne qui, démontant de son destrier, courut rejoindre ses « grognards ».

Le maréchal Zorn se tourna alors vers le général Grouchy, et sur le général Bessiaire qui commandait la brigade de cavalerie de la vieille garde.

 

   - Général Bessiaire, vous prendrez sous votre commandement le 1er régiment de chevau-légers. Une fois la ligne de défense ennemie consumée par nos assauts, vous tâcherez de vous porter au grand galop vers un point que je vous désignerai en temps utile. Vous chargerez lanciers en tête, suivis par les grenadiers à cheval en ordre profond. Vos éclaireurs suivront le mouvement avec un escadron sur chaque elle arrière et un escadron en réserve.

Ordonna le maréchal.

 

   - A vos ordres, sire !

Lui répondit le général Bessiaire, qui partit au galop vers sa brigade.

 

   - Messieurs écoutez. Nous allons culbuter ce pitoyable mouvement frontal par lequel l’ennemi veut nous ralentir, et nous nous porterons sur le point qu’il aura le plus dégarni pour nous opposer cette force. Quand la cavalerie aura percé l’étau ennemi, le général Dorsenne et ses grognards iront tenir la brèche à la baionnette pour évacuer les blessés de la 1ère division. Nous tâcherons ensuite d’appuyer un assaut de la division vers le sud pour couper les lignes ennemies en deux. En attendant, annonçons-nous à nos camarades ; faisons-leur savoir que nous sommes là !

Acheva le maréchal.

 

Et, sur ce dernier ordre, les clairons de son état-major sonnèrent « la victoire est à nous », marche emblématique de la garde d’élite.

Les tambours suivirent et, dans leur roulement, l’infanterie de la vielle garde se mit en marche.

 

Sur la colline, dans le carré de la 1ère division, tous les gardes tendirent l’oreille. Le général Jihair, exsangue, se redressa, haletant. Quelques regards soulagés se croisèrent, et le cœur sembla revenir dans toutes les poitrines : des renforts, enfin.

Alors, depuis les rangs du 4e de ligne, un soldat anonyme poussa un cri d’espoir qui traversa les rangs : « Vive l’empire, vive la garde ! », et le cri se répandit dans le carré ; et se fit écho à lui-même pendant plusieurs minutes.

Depuis le haut du promontoire, encerclés de toutes parts par un ennemi en surnombre, les hommes de la 1ère division n’avaient aucun moyen de voir les renforts qui se portaient à leur secours. Mais pour la première fois depuis le début des combats ils n’étaient plus seuls, et il était hors de question qu’ils baissent les bras à présent.

 

De son coté, comme une réponse à la clameur de la division piégée dans la tourmente, le maréchal Zorn fit crier une devise qu’il tenait du maréchal Pencroff et qui était devenu un commandement sacré de la garde : « On n’abandonne personne ! ». Encore une fois, plusieurs centaines de voix reprirent l’appel à l’unisson ; avant qu’un autre appel, plus bref celui-là, ne vint sonner le début des choses sérieuses : « La garde, en avant ! ».

 

Alors, d’un pas assuré et fier, les poitrines gonflées et l’arme au bras, la garde consulaire entra dans la fournaise.

 

Dès que les grognards de la vielle garde et les légionnaires furent à portée les uns des autres, une violente fusillade débuta. Les deux forces qui s’affrontaient alors étaient de taille équivalente, car malgré leur nombre les envahisseurs s’étaient gardés de trop dégarnir leur étreinte autour de la 1ère division de la garde. Malheureusement pour eux, les hommes qu’ils trouvèrent pour les opposer à ce nouvel adversaire avaient tous combattus depuis le matin, ou ils n’avaient cessé d’être engagés depuis leur débarquement sanglant sur les plages jusqu’à l’attaque du promontoire. Les légionnaires étaient épuisés, humides encore de l’eau de mer, du sable plein les bottes et leurs sacoches de plus en plus vides de munitions.

 

A l’inverse, les grognards de la vielle garde, que l’on a déjà dépeint comme des soldats d’élite, n’avaient pas encore combattu de la journée, et n’avaient pas été fatigués le moins du monde par la marche qu’ils avaient eu à faire, et qui n’était qu’une ballade à coté des marches forcées que l’entrainement leur infligeait fréquemment. Ils savaient, de plus, que de leur action dépendait le salut de la bataille : dire qu’ils étaient remontés à bloc serait une litote.

 

Rapidement, l’escarmouche vira donc à leur avantage ; et les rangs des envahisseurs commencèrent à frémir. Mais le maréchal Zorn n’avait pas le temps d’attendre que le simple feu des grenadiers et des chasseurs à pieds n’usent la seule ligne de défense ennemie qui l’empêchait de voler au secours de ses frères d’armes. Quand il estima que les légionnaires étaient mûrs, il fit signe à son clairon, qui donna le signal.

 

Alors, surgissant de derrière l’aile droite des grognards, le général Grouchy, le 1er régiment de dragons et le 2e régiment de hussards se lancèrent vers la ligne adverse par le flanc.

Surpris en plein rechargement, éreintés, isolés du gros de leurs troupes et jetés en pâture aux meilleures troupes de la garde, les légionnaires ne purent offrir aux cavaliers qu’une résistance dérisoire, et leur ligne toute entière fut consumée par les sabres. Le général grouchy avait reçu l’ordre de ne faire aucun prisonnier, aussi se fit-il un devoir d’être méthodique dans le massacre des ennemis, sous les yeux inquiets de leurs camarades.

 

Quand la ligne ennemie fut pleinement anéantie, les cavaliers se replièrent derrière l’infanterie d’élite de la garde consulaire, et le maréchal Zorn démonta. Confiant son destrier à un de ses officiers d’ordonnance, il dégaina son sabre, ajusta son bicorne, et se porta aux cotés des grognards, entre le 1er régiment de grenadiers à pieds et le 1er régiment de chasseurs à pieds.

 

Arrivé à leur hauteur, il ne s’arrêta pas et marcha directement en direction de la colline, et les fantassins lui emboitèrent le pas.

Avant de quitter son état-major, il avait toutefois pris soin de confier au général Gudin, un de ses aides de camp, ses ordres pour la cavalerie du général Bessiaire, qui attendait de devoir charger un point faible du dispositif adverse que devait lui désigner le maréchal.

 

L’aide de camp porta donc la missive au général, qui trouva sur la petite feuille un croquis de la colline et des positions alliées et ennemies, auprès desquelles plusieurs flèches indiquaient l’endroit où le maréchal souhaitait qu’il concentrât ses efforts. Sous le croquis, quelques mots simples étaient griffonés :

 

« Vous aurez à cœur de porter vos gens en avalanche sur ce point, où j’escompte que vous ne rencontriez qu’une faible résistance. Brisez-la. Zorn.»

 

La messe était dite, et il n’en fallait pas plus au général Bessiaire, que la charge démangeait depuis son arrivée sur le front.

 

Se tournant vers ses hommes, il tira son chapeau et leur fit une déclaration aussi solennelle que théâtrale, comme savent si bien faire les officiers de cavalerie.

 

   - Camarades, le premier consul nous regarde ! Ajustez vos chapeaux et vos rubans de queues, nous allons avoir l’honneur de lui montrer ce que nous savons faire !

 

Ces quelques mots suffirent aux cavaliers, que leurs officiers firent mettre en ordre de bataille. Comme le maréchal Zorn l’avait demandé, les lanciers devaient ouvrir la marche, suivis de près par les grenadiers à cheval. Les éclaireurs, eux, devaient servir d’arrière et de flanc-gardes.

 

L’ordre du maréchal Zorn ne faisait état d’aucune temporalité, et devait donc prendre effet immédiatement ; aussi la brigade se mit-elle au pas dès que les hommes furent rangés. Le général Bessiaire ouvrit la marche, conduisant la brigade vers le point qui lui avait été désigné. Sur sa montre à gousset, la petite aiguille indiquait treize-heure trente.

 

Du coté des légions, ce mouvement de cavalerie, qui suivait de près l’anéantissement éclair de leur ligne de défense ; fit grand bruit.

Le Dux Ouranos, qui avait conduit les opérations depuis le début des combats sur la colline, observa en silence le groupe de cavaliers qui cherchait à prendre position pour venir attaquer ses lignes.

L’arrivée impromptue des renforts de la garde avaient mis à mal ses plans, et le massacre des centuries qu’il avait envoyé pour stopper cette nouvelle colonne avait ébranlé le moral de ses troupes jusque parmi les officiers qui l’entouraient.

Il avait visiblement sous-estimé son adversaire, et découvrait avec amertume que la garde était une force bien plus farouche que l’avaient laissé entendre ses informateurs.

 

Pire, alors que quelques minutes plus tôt il était encore le maitre absolu de cette bataille, en passe de vaincre haut la main ses adversaires acculés ; il se retrouvait à présent dans une position plus désagréable, causée par l’engagement trop précoce de toutes ses unités, sans avoir pris la peine d’attendre des renforts. Il avait, en voulant en finir vite avec les troupes du général Jihair, négligé de conserver une réserve sur ses arrières, et se trouvait à présent obligé de soustraire des soldats à une lutte déjà engagée pour en débuter une autre ; ce qu’évidemment les cavaliers de la garde attendaient avec impatience.

 

En fait, ce mouvement précis s’était déjà engagé, et le maréchal Zorn avait justement repéré une faille dans l’étau qui encerclait encore la 1ère division. C’est là que le général Bessiaire allait se porter, et le Dux Ouranos le comprit.

Théoriquement, il bénéficiait toujours d’une large supériorité numérique. Mais il avait maladroitement engagé toutes ses forces dans une lutte ou seule la première ligne était véritablement utile, et où la plupart des soldats attendaient de pouvoir s’approcher des défenseurs de la garde pour se battre. Sur le papier, il aurait été facile de désengager les hommes « inutiles » sur ce front, mais en réalité ses lignes n’étaient à présent plus qu’une cohue dans lesquelles toutes les cohortes étaient engagées à moitié. Il n’y avait pas une centurie qui ne soit au contact sur un point et oisive sur un autre, et retirer des hommes au compte-goutte obligerait à les confier sous un nouveau commandement, ce qui allait demander du temps.

 

Comprenant qu’il risquait de perdre la face, il envoya les Senatoris Legatus Helios et Cronos rassembler des hommes à la hâte pour former un nouveau groupe ; mais alors que les deux légats-sénateurs s’éloignaient de lui ; le son d’un clairon se fit entendre. La garde faisait mouvement.

 

En effet, le général Bessiaire avait trouvé la faille indiquée par le maréchal Zorn, et il venait d’ordonner le trot en sa direction.

Dans la plaine en contrebas de la colline, quelques 1 800 chevaux entreprirent ainsi de gravir le relief sans hâte, en bon ordre, à la suite du général qui ne semblait pas le moins inquiet du monde.

 

Les légionnaires, à plus forte raison quand ils se trouvèrent être sur la trajectoire de la brigade, tressaillirent. Combattre à pied contre des fantassins en sous nombre était une chose ; mais ils ne disposaient de rien pour se protéger contre une nombreuse cavalerie, et ils se trouvaient à présent pris en étau entre deux forces.

Que devaient-ils faire ? Où étaient leurs ordres ? Que pouvaient bien faire leurs officiers ?

Plusieurs centurions, voyant venir le danger, prirent l’initiative de faire pivoter l’arrière de leurs lignes pour faire face aux cavaliers, qui étaient ralentis par la montée. Quelques coups d’arquebuses claquèrent en désordre, fauchant quelques chevau-légers de la garde ; mais rien ne sembla en mesure d’arrêter l’assaut qui se préparait.

 

Puis, comme une vague de tempête qui, poussée par l’océan, remonterait d’un coup contre la pente d’une dune ; la brigade adopta le pas de charge, en poussant un cri de guerre effroyable.

Certes le galop était ralenti par la montée, et les chevaux souffraient de l’effort qu’ils devaient fournir pour porter leur cavalier au sommet de ce dénivelé : mais la pente n’avait rien d’infranchissable et la distance à parcourir restait courte : en moins d’une minute, les cavaliers furent sur les légionnaires.

 

Quand il arriva au contact, le 1er régiment de chevau-légers lanciers, qui chargeait pour le 5e fois de la journée, ne manqua pas d’être à la hauteur des attentes du maréchal Zorn. La simple vue des lances, par centaines, dressées vers eux avait suffit à provoquer chez les légionnaires un effroi terrible. Mais pendant l’assaut, la vision des corps empalés et trainés dans la masse dans de grotesques gesticulations sanguinolentes eut un effet pire encore. Immédiatement, comme la misère sur le monde, la panique se répandit dans les rangs des envahisseurs.

 

Par dizaines, des groupes de légionnaires prirent la fuite, et t’entèrent de s’éloigner du lieu de la charge et des cavaliers. Aussitôt, les moins chanceux furent cueillis par les éclaireurs à cheval de la garde, qui sabrèrent tous ceux qui eurent le mauvais goût de s’isoler ou de chercher à quitter la colline. Pire encore : quand les lanciers eurent achevé leur besogne et culbuté les premiers rangs extérieurs de l’encerclement de la 1ère division, ce furent les grenadiers à cheval de la garde qui entrèrent en scène.

 

Montés sur de solides destriers, bonnets en poil d’ours sur le crane et bottés jusqu’au genou ; ces mastodontes fondirent sur les malheureux légionnaires comme un oiseau de proie sur une souris. Le massacre sur leur route fut total, taillant un chemin à grands moulinets de sabres ; tranchant et déchirant la chair, brisant les têtes, coupant les bras et les mains.

 

Voyant que ses soldats étaient au bord de la déroute générale sur toute la portion nord de leur position, le Senatoris Legatus Argos se rua dans la bataille, glaive en main.

Le sénateur était un vieux soldat dans la force de son âge, et la vision de ses troupes en proie à la terreur lui était insupportable. Il tenta le tout pour le tout dans l’espoir de rallier ses hommes, quitte à damer le pion au Dux Ouranos et à agir sans ordres.

 

Le Dux le laissa faire, impassible. Malgré les questions incessantes des autres sénateurs et les appels répétés des tribuns et des centurions, son visage restait de marbre, tourné vers la lutte qui se jouait devant lui. Il était au centre de l’attention de tous les officiers, qui attendaient ses ordres ; mais rien ne lui vint. Pendant de longues minutes, comme si il était ailleurs, il resta muet, comme prostré malgré sa posture qui se voulait fière et assurée.

 

Finalement, l’action du sénateur Argos poussa les tribuns les plus téméraires à se détourner de leur commandant en chef pour rejoindre leurs hommes et aviser sur place, abandonnant la cohésion de leurs mouvements au profit de coups de forces tactiques par lesquels ils espéraient pouvoir redresser la situation. Ils rallièrent de nombreux légionnaires en déroute ou sur le point de dérouter ; et parvinrent même à former des semblants de centuries et de manipules autour d’eux.

 

A ce moment des combats, l’idée d’une victoire totale leur semblait bien lointaine, aussi n’espéraient-ils plus qu’à stabiliser le front le temps que la VIIIe légion et la légion auxiliaire n’arrivent en renfort. Tenir était devenu leur priorité, tenir aussi longtemps que possible et si les dieux le voulaient bien, gagner avec l’arrivée de troupes fraiches.

Mais les dieux, depuis longtemps, les avaient abandonnés.

 

Des renforts, il en vint, mais pas les leurs.

Au nord-est du champ de bataille, au sommet des collines de Birak’Heim, deux colonnes firent leur apparition, marchant d’un même pas à quelques cinq-cents mètres l’une de l’autre :

La 2e division du 1er corps d’armée et la division étrangère du 3e corps d’armée avaient reçu l’appel du général Jihair, et se portaient au secours de la garde avec non moins de 12 000 hommes.

 

Le matin même, à Novi, alors que le général Darkalne avait réussi à déloger ses propres assaillants des hauteurs de la ville, il avait en effet reçu la visite du messager que la 1ère division avait envoyé. Apprenant le danger qui planait sur ses camarades, il avait immédiatement ordonné aux deux divisions de partir à marche forcée en direction des côtes, ne gardant avec lui que la 5e division pour entamer la poursuite de ses propres ennemis.

 

Les soldats des régiments étrangers et de la 2e division avaient alors marché toute la matinée, et n’étaient maintenant plus qu’à vingt minutes de marche des combats. Leur apparition à la vue des belligérants des deux camps, provoqua de vifs hourras parmi les troupes de la garde.

 

   - Il était temps, nous allions commencer à y laisser des plumes

Souffla le maréchal Zorn au général Gudin.

 

   - Nous voilà avec les effectifs de deux corps d’armée complets !

Lui répondit l’aide de camp.

 

Du coté des légions, ce fut la douche froide. Leurs propres renforts semblaient ne jamais vouloir arriver, et leurs adversaires venaient de doubler leurs effectifs. Il était difficile aux Senatoris Legatus Helios et Cronos d’estimer le nombre de soldats que comptaient ces deux nouvelles colonnes, mais il leur semblait qu’une armée entière fondait sur eux. Tous deux se tournèrent vers le Dux Ouranos, toujours muet et impassible. Enfin, un cri d’effroi leur fit tourner la tête du coté de la bataille, qui n’en finissait plus de virer au cauchemar. La vision qu’ils eurent alors acheva de les convaincre que tout était perdu.

 

Le brave sénateur Argos, qui s’était jeté dans la mêlée pour rallier les troupes et mener le combat, était à présent suspendu en l’air au bout d’une lance de cavalerie, gesticulant comme un insecte en pleine agonie. Deux lanciers de la garde, qui soutenaient l’arme, la mirent à la verticale, et laissèrent la gravité achever d’empaler le pauvre légat, qui fut traversé de par-en-par et retomba sur le sol dans un cri étouffé, laissant sur le manche une partie de ses viscères.

 

Tous les légionnaires, à la vue d’un de leurs chefs les plus illustres si brutalement mis à mort, furent saisis par la terreur ; et commencèrent à fuir en désordre vers les plages au sud. Comment les retenir ? Tous avaient vu les colonnes de la garde qui s’apprêtaient à rejoindre le combat, de même que les pertes effroyables qu’ils avaient déjà subi dans ce combat interminable qui tournait chaque minute un peu plus à leur désavantage. Parmi les fuyards, de nombreux tribuns et centurions prenaient même part au sauve-qui-peut, délaissant leur étreinte autour de la première division.

 

En quelques minutes, le gros des légions se trouva en déroute, cherchant à regagner leur flotte ; sans se retourner. Le carré de la 1ère division de la garde se dévoila peu à peu, laissant entrevoir son enveloppe de petits carrés de compagnies, réduites à peau de chagrin.

De ces blocs humains qui avaient comptés jusqu’à 100 hommes au début de la lutte, certains n’en comptaient plus qu’une vingtaine de vivants, tenant la position au milieu de piles de morts et de blessés. Un flot sanguin coulait depuis le sommet du promontoire, alors que l’on percevait déjà les premiers cris des blessés.

 

Le maréchal Zorn, sans attendre que la position ne soit complètement sécurisée, s’élança à brides abattues en direction de ces braves, qui étaient les véritables héros de cette journée.

Son état-major, pris au dépourvu, se lança à sa suite. On vit alors cette cavalcade de colonels et de généraux se ruer vers le carré, au moment où le maréchal Zorn démontait, prenant ses dans ses bras les fusiliers qu’il croisait.

 

Il ne s’attardait cependant pas aux embrassades, car une idée fixe conduisait ses actions. Fouillant la face Sud du carré, entre les compagnies exsangues de fusiliers et de grenadiers ; il cherchait son vieux camarade, le général Jihair, qu’il était certain de trouver au premier rang de l’action. Son regard parcourait les visages des survivants, des morts et des blessés, quand une voix l’arrêta.

 

   - C’est moi que tu cherches ?

 

Il se retourna brusquement, reconnaissant la voix.

Soutenu par deux grenadiers du 4e de ligne, le visage tuméfié et la veste d’uniforme déchirée de coups de glaives ; le général Jihair le saluait de son seul bras valide.

 

Le maréchal Zorn voulut dire quelque chose, mais il abandonna l’idée et prit son vieil ami dans ses bras ; heureux de le retrouver vivant.

 

   - Vas-y doucement, j’ai une aile cassée !

Lui dit le général Jihair, montrant son bras droit ensanglanté.

 

   - Salopard, tu t’es encore fait trouer la peau ! Regarde-toi, ce n’est pas une tenue convenable ! Dix jours d’arrêts de rigueur c’est ça que tu veux ?

Lui répondit le maréchal.

 

Il faut dire que le général Jihair, après sa lutte acharnée, faisait peine à voir. Le haut de son crâne avait été entaillé d’un coup de glaive, son bras droit était cassé et tâché de sang, et sa poitrine portait les stigmates de nombreux coups d’armes blanches, qui n’avaient pas eu raison de celui que l’on surnommait « Le général de fer ».

 

Le Maréchal Zorn, bien que soulagé de voir son ami en vie, se désola de le voir si mal en point.

Il ne put s’empêcher également de regarder autour de lui, et de constater les pertes effroyables qu’avait subi la 1ère division. Tous ces braves soldats, parmi les meilleurs que le monde ait portés, gisaient là dans une marre de leur propre sang, mêlé au sang impur de leurs ennemis ; quel enfer.

 

Les nombreux blessés, qui souffraient de milles maux, provoquèrent aussi chez leur chef un pincement singulier à son cœur de soldat. Quelle injustice de voir de pareils hommes souffrir de la folie d’un envahisseur. Quelle abomination, quelle horreur, quelle honte.

Le maréchal resta muet un moment, passant entre les corps, pataugeant dans la boue empourprée de sang. Les gardes le suivirent du regard, alors que les premiers chirurgiens, infirmiers et brancardiers commencèrent leur besogne.

 

Puis, déposant son grand manteau gris sur un malheureux blessé, un bras amputé, qui tremblait de froid ; il se tourna vers le sud, pour voir ses ennemis prendre la fuite.

 

   - Messieurs.

Dit-il simplement, appelant autour de lui son état-major.

 

   - Oui sire ?

 

   - On m’a pris la vie de nombreux hommes auxquels je tenais beaucoup. Je veux que chaque goutte de sang versée ici nous soit rendue au centuple. Faites savoir à vos familles que la guerre sera longue, car j’ai-je n’ai pas l’intention de cesser le combat avant que le dernier de nos ennemis n’ait poussé son dernier souffle d’air putride ; quand bien même il faille tuer un million d’hommes pour cela.

 

Et à ces mots, il retira son bicorne ; et salua de loin les légionnaires en déroute.

 

   - Fuyez, imbéciles. Les montagnes et les mers ne vous sauveront pas.

 

 

 

 

 

CHAPITRE 4 – A la poursuite des légions rouges

JOUR 5 (après-midi)

 

 

Sur la butte du diable, où les soldats de la 1ère division avaient si héroïquement tenu toute la matinée, la victoire de la garde ne faisait plus aucun doute.

 

L’ennemi se dérobait à présent, non sans avoir laissé plus de 3 000 morts derrière lui, et tué plus de 1 700 gardes dont 1 500 dans la seule division du général Jihair.

Evidemment, il était hors de question de laisser partir les légionnaires, mais il était inconcevable pour le maréchal Zorn d’employer à la poursuite quelque unité de la 1ère division ou de la garde consulaire, qui étaient à présent entrain de panser leurs plaies et de s’occuper des blessés.

 

Bien qu’elles n’aient pas pu combattre, l’arrivée de la 2e division et de la division étrangère était donc fort opportune, aussi le maréchal lança-t-il un de ses aides de camp, le général Rapp, au-devant de ces nouvelles colonnes pour en prendre le commandement et débuter la poursuite. Certes la garde allait avoir du retard sur la marche des ennemis, mais on ne craignait pas de les perdre en sachant d’avance leur destination.

 

Il fallait cependant les contacter avant qu’ils ne puissent se réorganiser et tenter quelque mouvement avec les 5 à 10 000 soldats qu’ils devaient recevoir en renforts, ordre fut donc donné de ne pas s’arrêter à la butte du diable.

 

Du coté des légionnaires, la situation avait tourné au fiasco. Leurs renforts ne s’étaient jamais présentés, et les Ie, IIe, IIIe et Ve légions de l’armée des titanides avaient été étrillées avec pertes et fracas. Leur commandant en chef, le Dux Ouranos, avait perdu la parole, et c’était à présent le Senatoris Legatus Cronos, le plus ancien des sénateurs, qui avait pris le « commandement » de cette piteuse troupe de fuyards. Pour couvrir l’incapacité de leur chef, les deux sénateurs encore en vie firent courir le bruit qu’il avait été blessé et qu’il était souffrant, mais leurs hommes avaient vu clair dans la faiblesse de celui qui les avait conduits à ce massacre, et ils allaient s’en souvenir bien assez tôt. Pour l’heure, tous étaient cependant trop préoccupés par le sauvetage de leurs propres vies.

 

En effet, il ne fallut pas longtemps aux deux divisions de la garde pour reparaitre dans leur champ de vision. Ils se savaient poursuivis, et ne pensaient plus à rien d’autre qu’au salut qu’il trouverait sur la plage. Quand ils y arrivèrent, enfin, vers quinze heures et demie ; ce fut une autre douche froide qui les y attendait.

 

Sur la plage, qui avait été débarrassée des cadavres de la matinée ; les légionnaires de la VIIIe légion et des deux légions auxiliaires avaient commencé à prendre racine, installant tentes et commodités, préparant le bivouac comme si leurs camarades n’étaient partis que pour chercher le pain. Pas une seule cohorte n’était en ordre de bataille, aucun des précieux renfort qu’ils avaient attendu des heures durant ne semblait avoir été rassemblé. Leurs camarades, visiblement peu au fait du désastre qui venait de se jouer, regardèrent avec stupeur leurs légions revenir, vaincues.

 

Quand ils furent à l’entrée du camp de fortune, un des centurions, fou de rage, se rua sur le premier tribun qu’il vit. Sans se soucier du grade, comme devenu fou ; il saisit l’homme par le col et le secoua vivement, en lui hurlant dessus.

 

   - Mais où étiez-vous passés ? Voilà des heures qu’on vous attend ! Qu’est-ce que vous foutez encore ici bandes d’imbéciles ?!

 

Le tribun, visiblement sous le choc, tant de la vision des légions défaites que de la prise à partie d’un de ses subordonnés, bafouilla.

 

   - Comment ça, qu’est-ce que vous voulez dire ?

 

   - Vous aviez reçu l’ordre de nous prêter main forte ! On vous a attendu pendant des heures ! On s’est fait massacrer pendant que vous faisiez votre pique-nique !

 

   - Des ordres ? mais on n’a rien reçu ici ! Le Dux nous a dit qu’il en avait juste pour une ou deux heures et que vous seriez vite revenus !

 

Les regards, à cet instant, se tournèrent vers les trois sénateurs, Ouranos, Cronos et Helios, qui restèrent figés. Le Dux Ouranos se redressa, mais il resta muet. Près de lui, sentant que le vent tournait, les légats prirent leurs distances, laissant leur chef à ses responsabilités.

 

L’ambiance devint d’une lourdeur insondable, alors que les survivants qui affluaient apprenaient au bouche-à-oreille que leur si estimé Dux Senatoris Legatus n’avait en réalité demandé aucun renfort.

Puis, petit à petit, un refrain naquit dans la foule qui prit une allure mutine,

« Trahison ».

 Le sénateur Helios, par esprit de corps sans doute, voulut un instant défendre son supérieur, qui ne sortait pas de son mutisme et regardait maintenant la foule avec un air hautain. Mais alors qu’il faisait un pas en avant pour prendre la parole, le sénateur Cronos le retint.

 

   - Ne dis rien, malheureux, il est déjà perdu.

 

   - Mais que va-t-on faire ? On ne peut pas laisser les hommes le lyncher tout de même ?

 

   - Regarde les, il leur faut un coupable. Si ce n’est pas lui, ce sera qui à ton avis ? Argos est mort au combat, pendant qu’on le regardait faire. Après Ouranos, c’est nos noms sur la liste. Et puis lui au tapis, il faudra un autre commandant en chef…

 

Le sénateur Helios ravala bruyamment sa salive. Cronos, de son coté, avait pris son parti. Voyant que la troupe s’agitait de plus en plus, au point d’injurier leur chef ; il s’avança vers une pile de caisses, et s’en servit d’estrade pour prendre la parole.

 

   - Légionnaires ! Pour la première fois depuis bien des années dans notre glorieuse histoire, nous avons été battus ! Après des heures d’une longue lutte, l’ennemi a eu raison de nous ! Pourquoi ? est-ce qu’un seul d’entre vous a manqué de bravoure ?

 

Les hommes se regardèrent, mais évidemment aucun n’avait l’impression d’avoir manqué à son devoir. Le sénateur Cronos poursuivit.

 

    - Non messieurs, vous n’avez pas été battus loyalement ! Vous avez subi cette défaite car dès le début, celui en qui nous avions placé notre confiance, gonflé d’orgeuil, a refusé de demander des renforts au moment de nous envoyer au combat ! Nous avons perdu, car notre chef, dans le tournant de la bataille, a cessé de nous guider ! Parce qu’il a abandonné son poste, parce qu’il nous a abandonné tous !

 

Devant ces accusations, le sénateur Ouranos resta insolemment de marbre. Nul ne put dire ce qui pouvait lui traverser l’esprit, mais son silence était perçu comme une insulte. Les légionnaires, eux, reprirent de plus belle leurs invectives, et certains se mirent même à jeter des pierres en direction du Dux, qui se tenait toujours droit sur son cheval.

 

   - Si un seul d’entre vous avait abandonné son poste, nous l’aurions châtié avec toute la sévérité qui fait la force de notre armée ! Si vous aviez désobéi à ses ordres, lui n’aurait pas hésité à vous mettre à mort, car la mort est le seul châtiment des traitres ! La mort est l’expiation des lâches ! La mort !

Cria le sénateur Cronos.

 

Et le cri, qui traduisait le sentiment profond de tous les soldats, fut repris en chœur. « A mort » se répandit sur toute la ligne, et plus rien ne contint les soldats.

 

Un centurion, qui avait été blessé dans le combat, se rua vers le Dux Ouranos, et l’arracha à sa selle. Il jeta son honorable chef sur le sol comme un vulgaire esclave pris entrain de voler, et le molesta du pied. Il fut rejoint par des dizaines de soldats, qui se laissèrent aller au massacre de leur chef, déversant sur lui leur haine et leur frustration. Les coups tombèrent sur lui comme une mousson avec une violence rare, et il expira finalement sous les semelles de ses propres hommes.

 

Le sénateur Cronos, de son coté, regarda la scène avec un air passif qui cachait mal ses dessins et ses ambitions. Helios, lui, était simplement écœuré. Une seule défaite avait changé ses fiers soldats en vulgaires bandits, qui n’avaient pas hésité une seconde à massacrer leur chef. Et son compagnon, le sénateur Cronos, n’avait pas hésité à vendre son supérieur et camarade contre la promesse de le remplacer. Cette journée était un cauchemar qui n’en finissait vraiment plus.

 

Et les choses s’empirèrent alors. Sur les dunes, une sentinelle hurla :

 

   - Ils arrivent ! Il y en a des milliers !

 

Et tous, rappelés à la brutale réalité et à l’urgence de leur situation, délaissèrent la dépouille de leur chef pour se ruer vers les navires.

La débandade fut totale. Les chaloupes ayant été remontées sur les ponts des bateaux, c’est à la nage qu’il leur fallut regagner le bord, abandonnant sur le sable leurs armes et leurs armures. Dans le tumulte de la fuite, nombre d’entre eux se noyèrent, ajoutant au chaos de la scène. 25 000 hommes tentaient en même temps de sauver leurs vies, alors que derrière les buttes de sable qui cachaient la vue de la plaine, des tambours se faisaient déjà entendre.

 

Les deux divisions de la garde lancées à leur poursuite avaient doublé l’allure et étaient maintenant à quelques encablures de la plage, aussi les généraux firent-ils donner l’ordre aux tambours de battre la charge, pour annoncer à l’ennemi que l’heure du trépas était venue.

Pour aller plus vite, le maréchal Zorn avait même rallié aux colonnes les cinq régiments de cavalerie qui se trouvaient dans la plaine, à savoir les dragons, chevau-légers, hussards, éclaireurs et grenadiers à cheval ; qui vinrent s’adjoindre aux deux régiments de cavalerie de bataille de la division étrangère.

 

Un bruit de cavalcade roula bientôt derrière la dune, annonçant l’arrivée prochaine de la cavalerie de la garde, ce qui provoqua sur le sable une panique plus grande encore. Puis, voyant leurs adversaires désarmés, les cavaliers se mirent à la besogne.

 

Ils chargèrent plusieurs fois, en ordre relâché, sur les arrières des fuyards. De véritables nuées de chevaux parcouraient la plage de sable ensanglanté, de long en large, dans des va-et-vient mortels. Ils sabrèrent tous ceux qui, isolés ou coincés derrière la masse, étaient à portée de leurs armes. Certains légionnaires, ramassant des arquebuses et des glaives dans le sable, essayèrent bien de se défendre ; mais sans un feu nourri par salves, leurs tentatives étaient bien inutiles. Quelques gardes tombèrent bien blessés ou morts, mais sans commune mesure avec les pertes subies par les envahisseurs, qui faisaient de leur mieux pour quitter la terre sainte.

 

Enfin, vers seize-heures, les cavaliers se retirèrent pour laisser la place aux fantassins des divisions Ney et Rollet, à savoir les soldats de 6e, 9e, 13e, 14e et 22e régiments d’infanterie de ligne et des 1er, 2e, 3e et 4e régiments étrangers ; soutenus par le 1er régiment de tirailleurs.

Il va sans dire qu’une fois les compagnies mises en ligne, la fusillade devint infernale. N’ayant pas combattus à la « Butte du diable », ces gardes là ne manquaient pas de cartouches, et ils firent pleuvoir un feu volcanique sur leurs ennemis.

 

Pour la 2e fois de la journée, un brouillard se leva sur la plage, s’échappant à grands panaches de la bouche des mousquets. L’affaire dura encore deux heures, jusqu’à dix-huit heures, ou il ne restait plus rien de vivant sur la rive.

La mer repoussait sur la plage ses vagues à l’écume écarlate, qui vinrent éclabousser les corps sans vie dont déjà les corbeaux et les vautours se repaissaient.

 

Au large, les navires abandonnèrent un à un la côte, laissant sur le sable encore 5 000 hommes sans vie, ajoutant au bilan funeste de cette journée. Malgré les efforts de la garde, 20 000 ennemis échappaient toutefois à ses forces terrestres. Mais sur les mers, un autre danger guettait les ennemis éreintés, un danger dont ils allaient bientôt faire la connaissance.

 

Quand vint la nuit sur la plaine de Birak’Heim, le maréchal Zorn fit réunir les 1ère et 2e division d’infanterie qui formaient le 1er corps, ainsi que la division de la garde consulaire et la division étrangère. Les généraux furent invités à faire le compte de leurs hommes et à venir en faire rapport à leur commandant en chef, qui réfléchissait déjà à la suite de la guerre.

En outre, la générale Wendy avait rejoint les troupes avec l’état-major de campagne, que le maréchal avait fait rassembler avant son départ précipité avec la garde consulaire.

 

Les officiers firent les comptes au sein de leurs compagnies, de leurs bataillons, des régiments eux-mêmes, et on envoya des ordonnances compter les morts que l’on avait déjà commencé à enterrer dans la plaine. Le chirurgien en chef, le colonel Pierrot, envoya de son coté la liste des blessés connus, afin de compléter ce premier état des lieux des forces en présence.

 

Les généraux se réunirent alors autour du maréchal Zorn, de la générale Wendy et du général Jihair, qui devait tenir le lit à cause de ses blessures. Comme attendu, les nouvelles étaient terribles :

La 1ère division, fierté de la garde, avait été très durement éprouvée et comptait le plus de pertes, avec plus de 1 500 morts et de nombreux blessés. La garde consulaire, elle, avait eu près de 300 pertes, tandis que la 2e division et la division étrangère n’accusaient respectivement que 100 et 75 tués. La mort de tous ces braves était un déchirement, d’autant plus que la garde était un cercle où l’on connaissait toujours quelqu’un dans un régiment. Le général Jihair, en particulier, avait perdu là son fidèle officier d’ordonnance, le capitaine Godaille, qui était sergent à Kel’Daer et lui avait sauvé la mise à bien des occasions.

 

Quand les comptes furent faits, le maréchal Zorn s’assit sur une malle, l’air songeur. Retirant son bicorne, il expira longuement.

 

   - Qu’est-ce que tu as ?

Lui demanda la générale Wendy.

 

Le maréchal resta un instant silencieux, le regard posé sur l’encrier de voyage qui était posé auprès de lui et sur la pile de papier vierge que lui avait déposé son lieutenant d’ordonnance. Puis, s’avançant vers sa camarade, il se répondit simplement :

 

   - Il va falloir que je raconte tout ça à Pencroff.

 

 

 

CHAPITRE 5 – Novi libérée

JOUR 5 (matin)

 

Au matin où les premiers envahisseurs débarquaient au sud de Birak’Heim, les messagers envoyés en urgence par le général Jihair pour mander l’assistance du général Darkalne arrivèrent à Novi.

Il devait être 7 heures, aussi le soleil était-il déjà levé depuis bien longtemps, et les troupes des trois divisions présentes dans la ville étaient-elles déjà sur le pied de guerre. L’action de la nuit, sur les montagnes, avait permis de déloger les mercenaires qui y tenaient le siège de la forteresse divisionnaire ; et l’on s’apprêtait déjà à se lancer à la poursuite de l’ennemi en déroute.

 

Mais alors que, dans la maison où il avait rassemblé son état-major, le général Darkalne s’apprêtait à donner ses ordres ; on vint lui présenter l’ordonnance du général Jihair, épuisé, qui lui portait la nouvelle du débarquement et de l’appel à l’aide de la 1ère division.

 

Pour l’état-major du 3e corps d’armée, la surprise fut de taille, mais elle ne venait que confirmer le mauvais présage qu’avait eu le maréchal Zorn. La situation était néanmoins préoccupante, car la 1ère division était restée seule pour faire face dans la plaine, à plus de 6 heures de marche de Novi. Pire, elle s’était départie de la 2e division qui était venue prêter main forte au 3e Corps : Novi concentrait donc en son sein non moins de trois divisions.

 

Le général Darkalne savait que les assaillants de Novi, qui se repliaient à présent à l’est, étaient en faible effectif. Mais il pouvait encore s’agir d’une ruse visant à attirer ses forces vers un piège. Il fallait donc qu’il entame la poursuite de ces troupes sans tarder mais avec un effectif suffisant pour faire face à un éventuel combat de rencontre. Il fallait également qu’il envoie immédiatement des renforts au général Jihair, à commencer par la 2e division que ce dernier lui avait envoyée, et qu’il convenait de lui rendre sur-le-champ pour qu’elle prête main-forte à sa jumelle. Mais ce renfort allait-il suffire ?

 

Le général Darkalne comptait déjà emporter avec lui la 5e division issue de son propre corps, pour se lancer à la poursuite des mercenaires. Il comptait également renvoyer la 2e division en renfort de la 1ère, qui était aux prises avec un ennemi en surnombre. Il restait donc une division en réserve : la division étrangère. Mais où l’envoyer ?

La question ne se posa pas longtemps, aussi le général ordonna que cette dernière se joigne à la colonne qui partait pour birak’Heim.

 

Les ordres fusèrent, suivant mécaniquement les canaux savamment rodés de la chaine de commandement ; et moins d’une heure plus tard la troupe se mit en marche, volant au secours du général Jihair. Il ne faisait nul doute que le gros de la partie se jouerait sans doute dans les plaines du sud, aussi ne pouvait-on qu’espérer que ce front nouvellement ouvert tienne le temps que les renforts n’arrivent.

De son coté, le général Darkalne avait une autre mission à laquelle s’atteler : poursuivre, rattraper et anéantir les agresseurs de Novi, débusquer leurs commanditaires, et s’assurer que la menace était abolie comme l’exigeaient les préceptes de la Garde.

Il ne comptait pour cela que sur la 5e division d’infanterie et sur la 3e brigade de cavalerie ainsi que sur les éléments organiques de son corps d’armée, avec lesquels il allait devoir faire campagne seul, du moins en l’attente de renforts.

Ainsi, vers 10 heures, une heure après le départ des renforts de Birak’heim, le 3e corps se mit en marche vers l’est de Novi, laissant derrière lui 5 bataillons de réserve formés des 3e bataillons des 7e, 12e, 16e, 17e et 18e régiments d’infanterie.

Amputé de sa division étrangère, le corps ne comptait plus que sur une seule division d’infanterie et deux régiments de cavalerie, mais les soldats de la garde étaient réputés pour en valoir plus d’un, aussi partait-on confiants. L’échelon divisionnaire avait longtemps été utilisé comme base stratégique dans les campagnes de la garde avant la création des corps d’armée, et le général Darkalne avait pour lui de s’être particulièrement illustré dans la conduite d’opérations lointaines par des effectifs réduits ; lui qui avait eu l’honneur de servir dans les bataillons d’exploration.

Dans cette campagne singulière, le général semblait s’élancer avec bien du retard, puisque les mercenaires avaient sans doute pris la fuite dans la nuit, et devaient à présent être à plusieurs heures de marche sur ses avants. Mais il n’avait aucune intention de les traquer, attendu qu’il avait un avantage de taille : celui de connaitre leur destination. Il était en effet déjà connu que le marquis de Vaulbandt, dont le fief se trouvait justement à un jour de marche de Novi, était à l’origine de cet assaut sur les hauteurs de la ville. Si l’on ne connaissait encore rien de ses motivations, il semblait évident que le traitre s’était parjuré et avait pris le parti de soutenir quelque puissance étrangère dans sa tentative d’invasion.

Par le passé déjà, la duplicité évidente du marquis n’avait pas échappé aux oreilles attentives de la gendarmerie d’élite de la garde, qui assurait le renseignement au profit de l’état-major. Sa collusion avec les contrebandiers les moins recommandables du monde était un secret de polichinelle, et la ville fortifiée d’Harneim passait sans mal pour un repère de rebus de la société et de marchands peu scrupuleux. Au milieu de cette antichambre de pénitencier, les seuls innocents étaient des malheureux qui étaient trop pauvres pour vivre ailleurs, ou que la vie avait envoyé s’échouer sur ces murailles, souvent à regret.

Si le double-jeu du marquis avait jusqu’alors échappé à tout châtiment, c’était parce qu’il avait été jugé préférable de conserver à Herneim un marché noir prospère qu’il serait aisé de surveiller. Ces dernières années, de nombreuses affaires criminelles avaient en effet été résolues grâce aux réseaux de renseignements qui s’y étaient tissés, et il était hors de question de balayer ce nid qui n’aurait fait que s’éparpiller, dispersant dans la nature son lot de hors-la-loi qu’il serait alors bien difficile de traquer. Malheureusement, ce parti-pris avait eu pour conséquence un sentiment de relative impunité au sein du marquisat, qui avait conduit le seigneur du fief à se détourner définitivement de ses devoirs nobiliaires pour épouser la cause d’un pays étranger ; en échange sans doute de quelque fortune ou du titre de duc qu’il convoitait ouvertement.

Le général Darkalne, comme tout officier d’état-major de la garde, était très au courant de cet état de fait. Mais il n’était à présent plus question de préserver ce nid de brigands et de parjurés pour y surveiller quelque marché noir : Le marquisat avait trahi, et abritait à présent des mercenaires en nombre qui avaient pris les armes contre l’empire. L’issue de cette campagne était donc déjà claire : La mort pour les traitres, la guerre pour les ennemis de l’empire.

Pour cela, le général emportait avec lui 6 250 fantassins, 1 280 cavaliers et non moins de 3 batteries d’artillerie. Les effectifs de l’ennemi était encore inconnu, mais il ne s’agissait que de mercenaires, et il semblait évident à en juger par le tournant pris par la campagne que le 3e corps ne devait pas s’attendre à être renforcé avant plusieurs jours. Il allait falloir composer avec les moyens qu’ils avaient, mais cela n’avait rien d’impossible pour des gardes.

Après plusieurs heures de marche, la colonne s’extirpa enfin des montagnes du grand saint-bernard, dont la chaine à elle seule représentait le principal obstacle entre Novi et Vaulbandt. Midi était passé depuis longtemps déjà, et le soleil radouci de l’après-midi entamait sa longue descente vers l’horizon. Il allait sans doute rester au moins quatre, sinon six heures de marche pour que les troupes n’arrivent aux portes d’Harneim, mais poursuivre à cet instant aurait fait arriver le corps aux pieds des murailles de la ville peu après la fin du jour, ce que le général préférait éviter, afin de ne pas tomber dans quelque embuche sous le couvert de la nuit. Après réflexion, il fit donc reconnaitre et désigner une plaine, et y fit ordonner le bivouac.

Les hommes, las de leur longue marche entre les montagnes, ne se firent pas prier pour poser leurs sacs et mettre leurs fusils en rameaux. Puisque la nuit ne s’annonçait pas particulièrement fraiche et ne promettait ni pluie ni vent, ordre fut également donné de ne pas monter de tentes et de dormir à la belle étoile, par pelotons. On autorisa également les feux de camp, l’effet de surprise n’étant pas particulièrement recherché ; la ville ne risquant pas de s’enfuir.

Puis, quand finalement vint le crépuscule, l’ordinaire fut distribué par les soldats de corvée, et les soldats du 3e corps soupèrent ainsi, assis dans l’herbe, parsemant la vaste plaine de taches bleues et blanches. Au milieu de ce champ vivant de gaillards et de camarades, le général Darkalne déjeunait en compagnie de son petit état-major ; discutant avec eux du siège à venir. Le départ était prévu à 4 heures du matin, de sorte à arriver entre 8 et 10 heures lorsque le jour serait levé ; ce qui devait laisser le temps aux civils innocents de quitter les murs de la ville. Le corps se séparerait ensuite par régiments et entamerait un encerclement de la citadelle, et l’on chercherait des emplacements ou creuser des redoutes pour les canons ; afin de bombarder la ville.

JOUR 6 (matin)

 

Dans les murs de la ville, et comme l’avaient prévu les troupes de la garde ; la nouvelle de leur arrivée se répandit comme une trainée de poudre et ne manqua pas de semer le désarroi et la panique parmi les âmes innocentes qui, déjà peu gâtées par la vie, se voyaient déjà prises entre deux feux. La nuit passa sous le signe de l’exode, temporaire espérait-on, de tous ces pauvres gens qui n’avaient nulle-part d’autre où aller que cette ville de misère.

La fuite d’une ville par ses habitants est toujours un spectacle tragique, mais il garantissait néanmoins la préservation d’un grand nombre d’innocents ; enlevant au général Darkalne les quelques scrupules qu’il avait à poursuivre sa mission. Tuer des mercenaires et des miliciens était une chose, mais risquer la vie de civils impériaux était au-dessus de ses forces.

Lorsqu’au matin, vers 10 heures, il se présenta aux portes d’Harneim avec la 5e division d’infanterie ; il n’avait plus devant lui qu’une ville à demi-fantôme, en état de siège. Ses plans étaient déjà décidés et les manœuvres de ses régiments avaient été maintes fois revus en entrainement, aussi n’avait-il qu’à donner les ordres d’exécution pour que ses généraux et colonels ne mettent en branle la formidable machine de guerre qui l’accompagnait.

En quelques heures, la 5e batterie d’artillerie à pieds et les 1ère et 11e batteries d’artillerie à cheval virent mettre leurs pièces en position derrière des redoutes de terre que le génie s’était empressé de mettre en place sur les hauteurs qui avoisinaient la ville tandis que les compagnies de voltigeurs des 7e, 12e, 16e, 17e et 18e régiments d’infanterie, soit près de 1 000 hommes, s’empressèrent de reconnaitre les abords des murailles pour en préparer les futurs assauts.

Plus loin, réunis autour de leur chef, les fusiliers, grenadiers et cavaliers du corps établirent un camp que l’on construisait pour durer, équipé de commodités et de prés pour les chevaux, au nez et à la barbe des derniers éclaireurs ennemis à qui l’on laissait ainsi entendre que la garde avait l’intention de prendre son temps.

Quand la nuit tomba, à la fin du 6e jour de cette campagne, le général Darkalne prit ses quartiers dans la tente de commandement du siège ; et félicita ses officiers. Sa mission était bien engagée, aussi ne lui restait-il qu’à éspérer que les renforts qu’il avait envoyé aux troupes du général Jihair avaient pu sauver la 1ère division d’infanterie ; et que les autres théâtres d’opération étaient maitrisés. Pour la première fois depuis longtemps, ne pouvant recevoir d’ordres du GQG, il allait devoir faire campagne seul.

 

CHAPITRE 6 – Les roches de Terre-Morne.

JOUR 3 (matin)

 

Dans l’estuaire de terre-morne que l’aube avait couverte d’un épais brouillard, l’immense citadelle se dressait sous le soleil naissant, comme un vaisseau de pierre qui était au mouillage. Autour de ses murs gigantesques, apparaissant presque comme des maquettes, les frégates et corvettes de la marine de la Garde croisaient, mises en alerte la veille par la missive du maréchal Zorn.

Sur les créneaux comme sur la rive, gendarmes et soldats se pressaient pour prendre leur poste de combat, alors que les bataillons de réserve de Tolwhig se rassemblaient déjà sur le continent, se préparant fébrilement à défendre la région. A cet instant encore, si tous étaient au courant de l’attaque de Novi par des troupes inconnues, on ne savait encore rien des développements de la campagne et des combats du 1er corps d’armée, les nouvelles de Fort Herobrine mettant près de deux jours entiers à parvenir jusqu’à ce territoire.

La veille, juste après avoir reçu les ordres du GQG, le général Thalkion avait ressemblé le 2e corps d’armée et mobilisé le corps de réserve de Tolwhig, et avait immédiatement pris la route avec ses troupes, laissant les réservistes organiser la défense tant de la préfecture que de la citadelle de Terre-morne. Malgré l’urgence, la Garde était reconnue pour ses grandes capacités de mobilisation et d’accélération logistique ; et il avait fallu moins d’une journée pour qu’un corps entier ne quitte ses cantonnements. Le corps de réserve quant à lui, moins aguerri mais animé par la volonté farouche de défendre ses terres, avait mis plus longtemps à se mettre en ordre de bataille, mais n’en était pas moins sur le qui-vive.

Quand le 2e corps d’armée fut parti, il ne resta donc à Tolwhig et Terre-morne qu’un corps de soldats auxiliaires et de conscrits, et quelques compagnies de gendarmes. Mais si le général Thalkion s’était permis de quitter la région avec le gros des forces d’active, c’était parce qu’il savait que ce qu’il laissait derrière lui était plus que suffisant, car cette garnison de supplétifs pouvait compter pour se défendre sur la plus formidable place forte que la garde comptait parmi son vaste réseau de Forteresses.

Terre-morne, depuis sa reconstruction, était à raison jugée imprenable. Ses remparts culminaient à plusieurs dizaines de mètres au-dessus de roches particulièrement escarpées et saillantes, battues inlassablement par les flots que les courants côtiers jetaient avec fracas sur ce formidable brise-lame. Garnissant les murs de la citadelle, de puissants canons de 30 à 40 livres dentaient les créneaux, menaçant toutes les directions de leurs volées de boulets que l’on savait capables de découper une frégate en deux comme une vulgaire feuille de papier. Outre ses crocs et ses griffes, la farouche prison comptait également en son sein plusieurs compagnies de gendarmes, une compagnie de mages, plusieurs batteries d’artilleurs ainsi que sur plusieurs « bataillons de volontaires » du corps de réserve, affectés au remplacement des 3e et 10e régiments d’infanterie partis avec le 2e corps d’armée.

Outre terre-morne, la région voisine de Tolwhig était protégée par non moins de deux forteresses jumelles, Telnitz et Socolnitz, dont les garnisons d’active avaient également été remplacées par des bataillons de volontaires, ainsi que par les troupes des 1er et 2e régiments de gardes préfectoraux. La région était donc sous bonne garde, et pouvait compenser l’inexpérience de ses troupes par la solidité de ses places. Et ces défenses allaient, en ce 3e jour de la campagne, être mises à rude épreuve.

Lorsque le brouillard se leva sur l’estuaire, dégageant la ligne d’horizon, une nouvelle menace se présenta en effet aux vigies des navires de la garde.

Glissant sur les eaux depuis les mers du sud, arrivant toutes voiles déployées depuis le golfe d’Arcahelm, une flotte inconnue semblait prendre le cap au nord, tout droit vers la prison. Cette dernière était, certes, couverte par une flotille de la garde composée d’une dizaine de bâtiments, dont non moins de trois frégates ; mais cela n’allait visiblement pas faire le poids face à l’armada qui s’annonçait. Moins de trente minutes après l’apparition des premières voilures, plus de cinquante vaisseaux de toutes tailles étaient à vue.

Dans la citadelle de Terre-morne, qui allait visiblement se trouver en première ligne ; ce fut l’effervescence. Les étages contenant des prisonniers furent immédiatement scellés, alors que les artilleurs s’affairaient à sortir des dépôts nous les boulets et barils de poudre qui allaient être nécessaires pour repousser l’attaque. On chargea les canons, ferma les herses, et fit monter sur les créneaux le plus d’hommes et de mousquets possibles. Des pigeons furent lancés en direction de Tolwhig et de Fort Herobrine pour les prévenir de l’attaque, alors qu’un dernier messager se jetait sur les routes pour rattraper le 2e corps d’armée parti quelques heures plus tôt.

De leur côté, les navires de la marine de la garde se rangèrent en ordre de bataille, c’est-à-dire en ligne, offrant en direction des navires envahisseurs leurs batteries de canons, toutes bordées prêtes à faire feu. La mobilisation et les alertes du GQG prenaient tout leur sens, et tous se félicitèrent de s’être préparés, plaçant leur destin dans la réputation de la citadelle qu’ils allaient devoir défendre.

Parmi les défenseurs, un homme en particulier dénotait par son calme. Marchant les mains dans le dos d’un pas lent et détaché, il se frayait sans mal un chemin au milieu des soldats qui allaient et venaient, mais qui s’écartaient avec déférence pour le laisser passer, ouvrant devant lui un couloir d’hommes au garde-à-vous avant de retourner à leurs missions. L’homme, qui était plus vraisemblablement un demi-elfe de grande taille, arborait en effet les épaulettes de général de Division, ainsi que trois étoiles d’argent sur les manches de son grand manteau. Portant son grand bicorne en bataille, il jaugeait la flotte ennemie qui faisait route vers lui et sa place forte : il n’était en effet autre que le directeur de la prison, le général Basile Vauthier.

Derrière lui, le commandant Logan, premier officier de la compagnie des mages attaché à la prison ; attendait silencieusement.

- Commandant, combien de mages avez-vous sous la main ?

- Environ cent-vingt mon général. Mais près de la moitié est mobilisée pour maintenir la barrière antimagique autour de la prison, je n’ai donc que soixante hommes disponibles.

- Sera-ce suffisant pour envoyer cette flotte par le fond ?

- Je crains que non, votre excellence. Mais nous pouvons sans doute appuyer les efforts de l’artillerie et incendier une partie de leurs voiles, ce qui devrait suffire à semer le chaos parmi eux. Cependant, ce genre de sorts ne sera praticable qu’à une distance limitée…

 

Le général se retourna alors vers le commandant. Il s’agissait d’un haut-elfe, sans doute d’ascendance noble car de belle stature et d’une digne prestance. Archimage aguerri, il accusait non moins de trois-cents années de pratique, aussi son jugement était-il indiscutablement avisé.

- Dans ce cas, vous ferez disposer ces hommes sur les créneaux les plus bas, et vous veillerez à incendier les navires les plus proches. Je vous laisse à vos préparatifs, j’ai à faire moi aussi. Bonne chance.

Conclut-il finalement, avant de prendre congé de son subalterne.

 

Le général Vauthier se dirigea alors vers la caponnière méridionale de la citadelle, ou déjà l’attendait le colonel adjudant-major de la forteresse. L’endroit offrait en effet un point de vue idéal sur la flotte attaquante, aussi avait-il été décidé d’y installer, à la hâte, le poste de commandement.

Sans dire un mot, le général plongea son regard en direction des navires, qui étaient à présent près de soixante. Parmi eux, on comptait non moins de trente navires de gros tonnage, vingt frégates, ainsi que, chose plus inquiétante, une dizaine de navires de plus faible gabarit que l’on suspectait d’être des brûlots chargés de poudre.

Ce furent ces navires qui, en particulier, furent désignés comme cibles prioritaires dans les ordres que le général Vauthier adressa à l’artillerie de forteresse et aux mages de la moyenne garde. Aussi gros puissent-ils être, les navires de ligne ennemis n’offraient en effet qu’une faible menace, car leurs canons même en surnombre ne pouvaient que rayer l’imposante façade de pierre qui servait de pieds aux remparts de Terre-morne. De plus, pour les artilleurs des murailles, ces imposants vaisseaux n’étaient rien de plus que des cibles faciles pour les nombreuses batteries de canons qui armaient les créneaux et dont les bouches-à-feux accusaient non moins que 36 à 48 livres.

En revanche, ces plus petits marcheurs, vifs et souples, pouvaient espérer passer entre les volées de boulets et aller s’échouer sur les récifs, avant de sauter avec leur cargaison piégée. Bien que les murs de la citadelle ne fussent solides, il était à craindre que ces déflagrations ne fassent effondrer certains créneaux et leurs pans de murs, offrant des brèches exploitables pour les envahisseurs.

Les chances de succès de pareilles entreprises étaient minces, mais le général n’était pas homme à laisser à ses ennemis le bénéfice du hasard. Conformément aux préceptes de la garde, il savait que toute menace devait être abordée avec la même circonspection, aussi insista-t-il pour que l’on ne laisse aucun de ces vaisseaux-suicide approcher, quitte à délaisser le feu sur les plus gros.

Quand cela fut fait, il rédigea ensuite un ordre à l’attention du contre-amiral Lavalette, qui commandait la flottille qui croisait autour de Terre-morne et dont les navires s’étaient temporairement rangés le long du rivage, bordées prêtes à faire feu.

Cet ordre, comme il en était l’usage dans la garde, était fort simple :

« Mon ami, je compte sur votre bravoure et m’en remets à vous pour sécuriser mes flancs et envoyer par le fond autant d’ennemis qu’il vous plaira. Vous aurez à cœur, à cet effet, de poursuivre le combat jusqu’au dernier homme, dussiez-vous périr vous-même couvert d’une gloire dont vos humbles camarades vous seront témoins. Je laisse la tactique à votre discrétion, prenez-garde cependant aux feux de la forteresse. Que l’empire vous garde. Général Vauthier. »

Ce message fut attaché à un pigeon que l’on expédia par-delà des murailles, et qui alla rapidement trouver son destinataire sur le pont de la frégate « l’impétueuse », sur laquelle nous reviendrons au moment opportun.

Quand cette missive fut envoyée, le général et son adjudant-commandant se retirèrent de la caponnière, et prirent l’escalier qui menait à la redoute la plus proche. Quatre canons de 36 livres et deux pièces de 48 attendaient sur cet emplacement, la gueule remplie de poudre et du boulet de fonte que l’on s’apprêtait à envoyer au large.

Près des pièces, un jeune sous-lieutenant mâchait nerveusement une pipe de bois, avant de se mettre au garde-à-vous à la vue du commandant de la citadelle. Ce dernier lui rendit son salut, et s’enquit d’un simple mouvement de tête de son rapport de situation.

- Mon général, l’ennemi sera à portée de tir d’ici quelques minutes. Nos pièces sont en batteries, nos barils de poudre sont pleins et nos alvéoles sont pleines de boulets. Le vent porte vers le sud en direction de l’ennemi et ne déviera que très peu la course des projectiles. Tous mes hommes sont à leur poste, nous attendons vos ordres.

A ces mots, le général esquissa un geste approbateur, et fit signe au lieutenant de reprendre ses observations. Tout était fin prêt, il ne restait plus qu’à attendre l’ouverture du bal.

Dix minutes passèrent ainsi, sous un silence qui alla croissant, à mesure que les hommes eurent fini de rejoindre leur poste et ne commencent leur attente fébrile.

Puis, finalement, comme après une éternité, le moment vint.

 

Sur le poste d’observation d’un des plus hauts créneaux, juché par-dessus la balustrade, le colonel qui commandait l’artillerie de la place souffla à pleins poumons dans son sifflet. L’ennemi était entré dans la zone rouge, zone de mort ou l’on n’attendait plus que lui, et où nombre de ses soldats allaient connaitre leur fin dans cette féroce attaque de la citadelle.

 

Alors, dans une réaction en chaîne, tous les officiers d’artillerie donnèrent l’ordre comme un seul homme, et la citadelle de Terre-Morne entra en éruption.

 

Plusieurs dizaines de canons de fort calibre firent feu dans un tonnerre assourdissant, et autant de boulets fendirent l’espace en direction du sud. Quand l’air et la gravité firent sur ces projectiles leur part de la besogne, les boulets retombèrent lourdement vers la mer, et les navires qui avaient le malheur de naviguer dessus.

 

A cause de la distance, il avait fallu que les artilleurs de la garde visent haut, pour s’assurer d’avoir la portée nécessaire pour atteindre les vaisseaux ennemis. Aussi, lorsqu’ils arrivèrent sur les navires, les boulets avaient-il achevé leur courbe elliptique et tombaient en diagonale, ce que les artilleurs ont coutume de nommer « tir indirect ».

Plusieurs de ces bolides tombèrent donc directement sur les ponts, qu’ils traversèrent comme autant de feuilles de papier, avant d’aller éventrer les coques.

 

Bien qu’ils fussent impressionnants, un seul impact ne suffisait cependant pas à couler un gros bâtiment. Mais en traversant ainsi les ponts et en perçant le ventre des navires, un unique tir pouvait créer de sérieux dégâts et menacer l’intégrité du vaisseau, sans parler des morts et blessés qu’il avait fait sur sa route, et de la voie d’eau qu’il fallait colmater au plus vite.

 

Il était difficile, depuis les murs de Terre-morne, et malgré les lunettes, de voir clairement ce qu’il se passait sur les navires ennemis et si les boulets faisaient mouche. En revanche, on vit rapidement plusieurs frégates remonter leurs voiles et faire halte, voir même demi-tour, sans doute après avoir subi quelques violentes avaries.

 

Les navires en approche restaient cependant trop nombreux, mais à mesure qu’ils s’approchaient, les tirs des artilleurs se faisaient de plus en plus précis, et les coups commencèrent à se voir sur les plus gros vaisseaux. Quant aux brulots, plus rapides, qui avaient devancé la flotte pour se jeter sur les rives de la forteresse ; ils n’eurent pas le temps d’être allumés qu’ils furent accueillis par des feux de batteries anti-navires de 24 livres, tirant à boulets chainés.

En quelques minutes, cinq des dix esquifs démâtèrent, et un sixième rebroussa chemin la coque fracassée.

 

Dans ce premier acte des combats, les défenseurs jouissaient d’un avantage certain. Puisqu’ils faisaient cap vers la prison, aucun des bateaux ennemis n’était en position d’utiliser ses bordées, et les assaillants ne pouvaient donc rendre les coups qu’on leur portait. Ce laps de temps pendant lequel ils offraient leur proue aux boulets dura de longues minutes qui suffirent à mettre à mal leur flotte, mais sans avoir raison d’un seul des trente vaisseaux, pourtant bien meurtris.

 

Bientôt, certains de ces géants de bois arrivèrent aux abords des fortes enceintes de la citadelle, et une nouvelle partie de cette bataille de titans débuta.

 

En effet, lorsqu’ils se furent suffisamment approchés, certains navires ennemis se retrouvèrent hors de portée des canons situés au plus haut des murailles, et dont la capacité de dépression n’était pas suffisante pour viser si bas. Les feux de ces canons se concentrèrent donc sur l’arrière de la flotte, laissant saufs pendant un temps les vaisseaux ennemis qui semblaient déjà approcher des murs.

 

Plusieurs des trente galions gagnèrent ainsi les eaux environnant la citadelle, sans toutefois s’approcher au plus près, tenus en respect par les lames de roche qui déchiraient les vagues aux pieds de l’édifice. Une fois abrités dans cette zone, les galions jetèrent l’ancre et replièrent leurs voiles, et adoptèrent autour de la prison une position défensive ; une bordée orientée vers les murailles, et l’autre bordée vers le large où se tenait la flottille de la garde.

 

En effet, les dix bâtiments de l’amiral Lavalette avaient entre-temps pris une position d’attente, en ligne, bordée ouverte en direction de leurs adversaires. Les deux flottes s’observaient sans faire feu, car la houle empêchait, à la distance qui les séparait, d’utiliser efficacement leurs pièces. L’amiral de la garde pouvait donc manœuvrer assez près de ses ennemis sans subir de contrefeux, mais il ne pouvait également pas engager le combat, à moins de se risquer dans une lutte à un contre cinq.

 

Il espérait ainsi trouver une faille dans le dispositif adverse dans laquelle il pourrait se jeter, à condition que le jeu en vaille la chandelle. Mais la flotte ennemie, qui se rangeait à présent au plus près de l’ile fortifiée, pouvait aisément contrecarrer ses ambitions. Alors que les trente galions adoptaient lentement une position de mouillage, une dizaine de frégates, celles encore en état après la phase d’approche de la citadelle, vint se ranger entre la flotte de l’amiral et celle de l’envahisseur. Pire, ces dix frégates adoptèrent une posture d’attaque, qui força la marine de la garde à serrer les rangs, se préparant à recevoir son adversaire.

 

Mais alors qu’une véritable bataille navale menaçait de se livrer dans l’estuaire, l’attention de tous fut brusquement captée par une formidable explosion, qui secoua tout le théâtre des opérations et fit frémir les eaux. Un fracassant bruis d’éboulement suivit aussitôt le choc, alors que les masses d’eau soulevées par la déflagration retombaient en bruine sur la face nord de la citadelle : Le pont de pierre qui reliait l’édifice à la terre ferme venait de s’écrouler.

 

Un des quatre brulots ennemis qui étaient passés entre les rafales de boulets lors de leur approche s’était en effet placé sous l’ouvrage et avait mis le feu à sa cale remplie de poudre, emportant avec lui tout son équipage qui s’était sacrifié pour couper la garnison de la forteresse de tout renfort. Pire encore : les trois brulots restants s’étaient à présent regroupés sous la muraille Est, et s’apprêtaient également à se faire sauter, espérant avoir raison des remparts par leurs trois cargaisons d’explosifs combinées.

 

Sur le parapet, comprenant la manœuvre, soldats et artilleurs quittèrent leurs pièces et leurs postes ; et se ruèrent à l’intérieur de l’édifice. Plusieurs braves toutefois, des gendarmes pour la plupart, restèrent à découvert pour tenter d’empêcher la mise à feu des esquifs piégés en contrebas. Parmi les plus hardis des défenseurs, un sergent-major, un vétéran de la ligne passé à la gendarmerie, encourageait ses camarades ; debout sur les créneaux. Les coups de feu claquaient autour de lui, cherchant à tuer les marins ennemis qui grouillaient encore sur les ponts des brulots. Partout, les balles tombaient sèchement sur le parterre de bois, crevant cranes et épaules, tentant désespérément d’empêcher l’inévitable.

 

Malheureusement, leurs efforts furent vains, et une épaisse fumée s’échappa bientôt du brulot central, alors que les membres de son équipage se jetaient déjà à l’eau. Les gendarmes comprirent qu’ils ne pouvaient plus rien faire, sinon attendre, et tous gagnèrent l’intérieur de la forteresse.

De longues secondes, quelques minutes même, passèrent ainsi, dans l’attente muette que ne dérangeait que le bruit des canons, qui poursuivaient leur besogne sur les face Nord et Est. 

 

Puis, fatalement, un nouveau choc ébranla la citadelle.

Cette fois, alimentée par les cales des trois brulots en même temps, l’explosion fut réellement abominable. Une gigantesque gerbe d’eau et de flammes s’éleva jusqu’au-dessus de la forteresse, rompant portes et fenêtres et inondant des couloirs qui se trouvaient pourtant à plus de trente mètres de la surface marine. Un souffle terrible résonna dans les épais murs de pierre, perçant les tympans et sonnant les défenseurs, alors que la structure toute entière sembla un instant suspendue dans le vide, comme si ses pierres n’étaient plus solidaires les unes des autres.

 

Le souffle fut si puissant qu’il fit démâter plusieurs des galions qui moullaient dans les environs, et coucha les herbes jusque sur la côte, à plusieurs centaines de mètres de là. Cette fois, le champignon de vapeur et de fumée se leva si haut qu’il fut visible depuis Tolwhig, ajoutant à l’angoisse que la canonnade lointaine avait provoqué chez les habitants.

 

Immédiatement après l’explosion, un moment de flottement sembla suspendre les combats, alors que les belligérants des deux camps se remettaient du choc. Sur les ponts de leurs navires, les envahisseurs n’avaient pas été épargnés par le souffle, et plusieurs hommes étaient même tombés à la mer. Nombre de navires ennemis avaient été gravement endommagés, surpris par la puissance de leur propre bombe, et il fallut plusieurs minutes pour que la fumée se dissipe et que les deux camps puissent observer le résultat du sacrifice des brulots.

 

Quand le voile de vapeur et de poudre se leva, l’émotion fut grande, dans les deux camps.

Du coté de la garde, ce fut l’euphorie : Contre toute attente mais suivant pourtant les lois les plus évidentes de la physique, la muraille extérieure était presque intacte, et seuls les créneaux et une partie minime des remparts avaient cédés. Quoi que cela puisse sembler surprenant au regard de la violence de l’explosion, cette résistance du mur tenait pourtant d’un principe simple : L’Energie déployée par une déflagration cherchera toujours à se libérer par le chemin offrant le moins de résistance, aussi s’était-elle intégralement dirigée vers le large et le ciel, l’épais mur de la citadelle étant adossé aux parois rocheuses, et étant trop lisse pour offrir une prise importante malgré le souffle. Pour faire sauter le mur, il eut fallu creuser à sa base une sape afin d’y nicher les explosifs, mais l’empressement des assaillants les avaient trahis.

 

Du coté de la flotte ennemie donc, ce fut la douche froide, tant métaphoriquement que par la bruine qui continuait à retomber sur eux avec les débris des brulots.

L’explosion n’avait causé aucun dégât assez significatif pour compromettre les défenses de la citadelle, et pire encore, de nombreux marins et combattants étaient à présent hors combat.

Enfin, ajoutant à la confusion et aux déconvenues qui les frappaient à présent, plusieurs des trente galions avaient perdu leur gréement et étaient à présent incapables de manœuvrer, et se retrouvaient piégés devant le mastodonte de pierre.

 

Dans la citadelle, le général Vauthier, bien qu’il fut lui-même commotionné par le choc qui venait de secouer l’édifice, comprit rapidement que la situation pouvait tourner à son avantage. A peine fut-il debout qu’il quitta la pièce, suivi de près par son chef d’état-major. Une fois sur les créneaux Est, il constata par lui-même les dégâts, qu’il jugea minimes, et pressa le pas pour rejoindre une des plateformes supérieures où déjà, titubant mais hardis, s’affairaient des artilleurs. Devant eux, placés en grappes, se trouvaient plusieurs « mortiers de forteresse », sorte de canons très courts et dirigés vers le ciel ; arme idéale pour atteindre les navires qui étaient rangés hors de portée des canons à tir direct.

 

La batterie, qui comptait une dizaine de pièces, avait été la dernière à se mettre en ordre de combat et n’avait pu entrer en action avant l’explosion des brulots. De plus, après la seconde déflagration, sa position dégagée l’avait exposée aux retombées de débris, qui avaient fait plusieurs victimes chez les artilleurs encore sonnés par le souffle.

 

Mais le choc passé, les artilleurs avaient rapidement repris leur besogne, sachant mieux que quiconque que leurs pièces étaient désormais les seules à pouvoir atteindre les galions. Marchant entre les débris de mâts et de coque, et les nombreux corps des victimes ; le général héla un adjudant qui semblait coordonner les efforts des artilleurs.

Ce dernier, blessé au crâne, se tourna vers son chef, qu’il salua aussitôt.

 

- Mes devoirs mon général !

- Repos. Qui commande par ici ?

- C’est moi, mon général.

- Plus d’officier dans la batterie ?

- Le capitaine Bertrand et le sous-lieutenant Maisne ont été tués, le lieutenant Coly a la jambe brisée et a dû se faire évacuer, mon général.

- Bon. Félicitation mon adjudant, vous êtes chef de batterie maintenant. Je vous nomme aspirant avec effet immédiat. Maintenant, faites-moi cracher ces mortiers voulez-vous ?

- A vos ordres, monsieur !

Répondit l’homme, qui retourna à son commandement.

 

Il fallut alors quelques ajustements pour que les pièces n’entament leur affaire, mais les premiers coups tonnèrent enfin, moins de dix minutes après l’explosion des brûlots.

Les tirs en cloche, très hauts, des mortiers leurs permettaient de faire pleuvoir leurs boulets à une distance très réduite de leur point de départ. Ainsi, en quelques minutes, de nombreux boulets de fort calibre commencèrent à tomber du ciel sur la flotte impuissante, toujours piégée aux pieds de la forteresse.

 

Sur les navires, bien que les boulets fussent encore peu nombreux à atteindre leur cible, l’incapacité de se mouvoir et de s’extraire de ce mauvais pas provoqua un mouvement de panique au sein des équipages, et la flotte toute entière commença à perdre sa cohésion. Plusieurs vaisseaux, bien que démâtés, levèrent l’ancre se mirent immédiatement à dériver, poussés vers la côte par la marée montante. De la grappe de galions qui encerclait la citadelle, un premier navire se décrocha, puis deux, puis six ; tant et si bien que des pans entiers du blocus se desserraient.

 

Évidemment, pour les navires qui n’avaient plus de gréement, toute manœuvre était impossible et, s’éloignant des remparts, ils redevinrent vite des cibles de choix pour les artilleurs de la garnison qui reprirent de plus belle leurs tirs de boulets de 36 et 48 livres. La citadelle entra de nouveau en éruption, au grand malheur des marins en perdition.

 

Puis, pour la première fois depuis le début de cette formidable bataille, les forces de la garde assénèrent un coup fatal à un des trente galions ennemis. Alors qu’il dérivait vers la côte, gitant sur bâbord où son mât brisé pendait dans l’eau, un des vaisseaux fut lynché de plein fouet par une salve de boulets de 36, dont l’un vint frapper la réserve de poudre. Immédiatement le navire fut éventré par une explosion et se brisa en deux, avant de sombrer dans les eaux tourmentées de la baie.

 

Plusieurs centaines d’hommes, marins et soldats, tentèrent de gagner le rivage à la nage ; mais nombre d’entre eux se noyèrent avant de pouvoir s’éloigner de restes de l’épave. Un autre galion, qui avait encore son mat, tenta de se rapprocher pour venir au secours des naufragés ; mais il fut également pris pour cible et criblé de boulets, et fut contraint de s’éloigner toutes voiles dehors.

 

Du ciel, les boulets continuaient de tomber comme autant de météores sur les ponts des navires, et bientôt l’idée même d’une capture de la forteresse de Terre-morne sembla impossible. Un ordre sembla passer, par l’intermédiaire de signaux, entre les navires de la flotte ennemie ; et l’étau se desserra. Des trente galions, ceux qui pouvaient encore manœuvrer, soit une vingtaine, se réunirent en ligne et mirent le cap au nord, rasant les murs de l’édifice gigantesque et prenant la direction du rivage. Derrière eux, les frégates qui avaient retenu la flotte de l’amiral Lavalette couvraient leur repli, tenant tant bien que mal les navires de la garde qui engagèrent la poursuite.

 

Malheureusement pour les envahisseurs, leurs frégates endommagées et alourdies par un surplus d’hommes et de cargaison furent considérablement moins vives que leur équivalent impérial, que l’amiral de la garde maniait à présent avec toute l’aisance requise. En effet, les vaisseaux de ligne de la garde, dont la plupart étaient presque neufs, jouissaient de lignes et d’une légèreté parfaite pour la chasse en mer ; et la marine rattrapa sans effort les fuyards. Dépassant bateaux ennemis, les équipages de la garde firent feu de toutes leurs bordées sur les malheureuses dix esquifs, qui se séparèrent en désordre et furent coulées sans ménagement. La garde laissa toutefois dans l’escarmouche trois de ses dix vaisseaux, mais l’arrière-garde ennemie était anéantie.

 

Au même instant, sur les murs de la prison, on observait encore le balai des galions qui, en contrebas des murs, se pressaient de quitter les rives de l’ile pour leur préférer les plages de la côte au nord.

Bien que la levée du siège, aussi court ait-il été, fut accueillie avec soulagement par la garnison ; on s’y inquiéta immédiatement d’un imminent débarquement ennemi sur les saintes terres de Stendel, et en particulier dans la région de Tolwhig que le consulat de la garde avait charge de protéger.

Certes, l’on savait que le corps de réserve y avait été mobilisé et que les bataillons de volontaires s’attendaient à se défendre, mais le nombre de navires de transports et leur fort tonnage laissait augurer d’une force de plusieurs milliers d’hommes, sans doute professionnels.

 

Sur les créneaux, le général Vauthier eut alors une idée, saugrenue certes mais qui allait peut-être permettre de limiter le nombre des ennemis qui allaient plus tard fouler la terre. Froidement, il se retourna vers son chef d’état-major, qui semblait déjà attendre ses ordres.

 

- Colonel, où est le commandant Ragenaud ?

- Il a été blessé par un éboulement sur les créneaux, mon général.

- Qui commande l’artillerie à présent ?

- Je crois que c’est le capitaine Monbrin, son adjudant-major, qui a repris la main.

- Bien. Qu’il rassemble des barils de poudre, un quart de nos réserves, qui qu’il les fasse porter au plus vite sur le premier niveau de créneaux de la face Est. Que ses hommes lancent les barils par-dessus le parapet, et que les mages se chargent de les incendier au passage des navires ennemis !

- A vos ordres, mon général !

Répondit le colonel, qui écrivait déjà les ordres du capitaine Monbrin et du commandant Logan.

 

Deux sergents d’ordonnance se chargèrent de porter les missives, et il ne fallut pas plus de vingt minutes pour que les premiers artilleurs n’arrivent sur les créneaux indiqués, chargés des précieux barils. Les mages, eux, se tenaient déjà prêts à lancer leur sortilèges, qu’ils ne manquaient pas d’user sur les navires à leur portée en attendant de pouvoir mettre le feu aux poudres.

 

Certes, le temps que ce plan soit mis en place, la plupart des galions avaient déjà pu se mettre hors d’atteinte. Mais il restait tout de même une demi-douzaine de navires dans les parages directs de la citadelle, et les gardes étaient prêts à se contenter d’un seul coup au but, pour peu qu’ils n’envoient par le fond au moins quelques-uns de leurs adversaires.

 

Les premiers barils dégringolèrent alors des murs et percutèrent la surface de l’eau. Plusieurs d’entre eux se brisèrent, tant au contact trop brutal de la mer que sur les roches escarpées qui y déchiraient les vagues ; mais un bon nombre de tonneaux, à moitiés pleins, revinrent flotter intacts à la surface. Sur les murailles, parmi les mages, tous attendirent le moment fatidique ou la coque d’un malheureux galion allait frôler une de ces mines ; aussi n’eurent-ils pas à attendre longtemps.

 

Plusieurs des six galions restants se retrouvèrent effectivement dangereusement près des barils, que les mages s’empressèrent de faire détonner. Plusieurs boules de feu s’élevèrent çà et là ; arrachant des pans de coque et brisant des mâts, incendiant le bois et les voiles, et tuant nombre de marins et de soldats ennemis. Dans le chaos, avant que la flotte ne quitte définitivement la zone, un second galion sauta finalement, l’explosion d’un baril ayant mis feu à sa propre réserve de poudre.

 

Quand le dernier bateau quitta les rives de Terre-morne, les eaux entourant la prison et sur lesquelles se concentra l’attention des gardes victorieux témoignaient de la violence de la lutte qui s’y était disputée. Sur toute la côte Nord-est, la mer était jonchée de corps sans vie et de débris divers, et des vagues d’écume rose venaient faire rougir les pierres ou la mer accumulait les cadavres, comme des feuilles mortes sur les rivages d’un étang.

Au loin, approchant en désordre des rivages de Tolwhig, la flotte ennemie se rassemblait tant bien que mal, et se préparait à débarquer.

 

 

CHAPITRE 7 – Le débarquement de Fayaise-Tolwhig

JOUR 3 (après-midi)

 

Après le désastre qu’avait été sa vaine tentative de capture de la citadelle de Terre-morne, la flotte ennemie avait changé ses plans. Sur le pont d’un des galions que les dieux avaient visiblement protégé des pires avaries, la sénatrice Cornelia Hephaistos, Senatoris legatus de la IV légion de l’armée des Titanides ; ne décolérait pas.

 

Marchant d’un bout à l’autre du pont, elle fustigeait les marins, qui restaient silencieux. Ses tribuns et centurions, partagés entre l’inquiétude de voir la situation leur échapper et la colère qu’ils partageaient avec elle, se tournèrent vers le navire amiral de leur flotte, à leur flanc babord ; où se trouvait celui que tous considéraient comme le responsable de ce fiasco : L’amiral Lowe, commandant de la Marine du royaume de Victoria, pays allié de la république des titanides.

 

Car si la légate-sénatrice avait le commandement des troupes de débarquement et, plus globalement, de l’invasion de la région par les forces de la coalition ; c’était bien l’amiral qui avait eu la charge d’assurer les opérations maritimes, qui avaient vraisemblablement prises une tournure catastrophique. Pour ne rien arranger à la colère de ses alliés, le vaisseau-mère se montrait à présent très avare en signaux, comme si l’amiral souhaitait éviter de correspondre avec la légate, préférant donner de vagues ordres aux navires qui se préparaient à présent à faire débarquer leurs troupes restantes.

 

Ce silence coupable ne faisait qu’accroitre la rage de la sénatrice Cornelia, qui maudissait également son propre gouvernement d’avoir fait appel à un allié si incompétent, et visiblement couard.

Enfin, un de ses subalternes vint mettre fin à sa tourmente : l’heure était venue de sauver ce qui pouvait l’être de cette invasion des terres du sud : les opérations terrestres allaient pouvoir commencer.

- Dès que nous serons à portée de la plage, vous ferez débarquer mes troupes en priorité. Une fois la IVe légion débarquée avec mes 5000 soldats, vous ferez mettre pied à terre à la IIe légion auxiliaire du légat Melios avec ses 7000 hommes. Vous ferez ensuite débarquer les 2000 soldats du royaume de Jade, et enfin seulement vous autoriserez ces imbéciles de victoriens à faire sortir leurs 4000 pouilleux de leurs navires.

Ordonna-elle à son primus tribunus, qui se dépêcha de prendre ses ordres en notes.

 

- A vos ordres, excellence. Doit-on fortifier notre position une fois sur terre ?

- Non, ce sera inutile. Nous sommes encore trop près de la forteresse, et il y a fort à parier que les impériaux aient déjà des renforts en route. Si nous voulons avoir une chance, nous devons capturer la ville de Tolwhig, au nord de notre position, pour profiter de son enceinte fortifiée et des vivres déjà accumulés par la population. Ensuite seulement, nous débuterons notre jonction avec les VIIe et Ixe légions.

- C’est noté, excellence. Doit-on envoyer les auxiliaires en avant des troupes le temps de débarquer tous les effectifs ?

- Oui, faites donc. Que la légion du légat Melios avance vers le Nord-est, et qu’elle y garde le village de Saulême. Comme vous pouvez le voir, ce petit bourg se situe à la croisée de deux routes impériales allant de l’est à l’ouest et vers le nord ; autant dire que le carrefour y est stratégique. Si des troupes doivent venir à notre rencontre, elles devront sans doute y passer, alors autant prendre les devants.

Termina la légate.

 

Ainsi, quand les galions se furent assez rapprochés des terres et furent rangés en épis le long de la côte, le débarquement débuta.

 

Des immenses cales des galions meurtris sortirent alors, par centuries, les soldats de l’armée d’invasion. Évidemment, sur les effectifs théoriques mentionnés par la légate, il y avait eu bien des pertes dans les bombardements et les naufrages qui avaient suivi l’assaut raté sur terre-morne. En tout, ce furent donc près de 14 000 soldats qui eurent débarqués au soir, lorsque la nuit vint empêcher les défenseurs de la prison de terre-morne d’observer plus avant les opérations.

 

Sur les créneaux, le général Vauthier avait en effet suivi la manœuvre ennemie avec attention et en avait fait un rapport détaillé qu’il escomptait faire parvenir aussi rapidement que possible à Fort Herobrine pour alerter l’état-major général de la menace qui pesait sur Tolwhig. Malheureusement, le pont détruit et les envahisseurs rôdant sur la côte et les routes, il ne pouvait compter que sur ses pigeons voyageurs. Impossible donc d’envoyer une ordonnance trouver le IIe corps d’armée du général Thalkion, qui devait déjà se trouver à plusieurs dizaines de kilomètres de la région.

 

Le IIe corps parti, le général savait que la préfecture de Tolwhig ne pourrait compter que sur elle-même et sur son corps de réserve, heureusement rappelé sous les drapeaux dès la première alerte de l’état-major qui avait été reçue la veille. Certes, le corps tout entier n’était pas encore en ordre de bataille, mais ses troupes avaient pour elles de jouer à domicile, avec l’avantage moral de défendre leurs propres terres.

 

Le corps de réserve de Tolwhig était, dans la garde, une arme quelque peu singulière. Mobilisable en temps de guerre, il se composait de huit demi-brigades d’infanterie à défaut de régiments, qui étaient formées de l’amalgame entre un « bataillon d’appelés » et un « bataillon de volontaires ». Le premier était composé de jeunes soldats qui faisaient leur service militaire, et le second était composé d’anciens appelés remobilisés sous les armes. La cavalerie y était assurée par trois escadrons de chasseurs-à-cheval, sorte de cavalerie légère de réserve formée d’élèves de l’école de cavalerie et de notables sachant monter ; et le corps était dépourvu d’artillerie de campagne ou de siège, et armait simplement quelques batteries défensives autour de la ville de Tolwhig.

En somme, le corps tout entier était garni par de jeunes soldats en herbe et par des paysans de tous âges, formés durant leur service au maniement des armes mais quelque peu rouillés. Les cavaliers étaient des cadets ou des palefreniers novices dans les manœuvres équestres ; bien qu’à cet égard les défenseurs tolwhigiens allaient pouvoir jouir d’une circonstance favorable.

 

En effet, si le IIe corps d’armée et ses régiments avaient été mobilisés et étaient partis, le corps de cavalerie du maréchal Pencroff n’avait pas reçu d’ordres en l’absence de ce dernier. Ainsi, dans la forteresse de Socolnitz au nord de Tolwhig se trouvaient encore toute une brigade de cuirassiers mise à disposition du commandant du corps de réserve.

 

Quant au commandant du corps de réserve lui-même, les réservistes avaient également pour eux d’être commandés par un officier de légende au sein de la garde : Le général de division Dumesnil. Héros de Kel’daer, Asayaka et Filranmel, amputé d’une jambe pendant la campagne de la Maur’ya et mis au repos dans la région de Tolwhig avec sa troisième étoile sur les manches, ce brave venait d’être désigné comme chef de la défense Tolwhigienne par ordre du 1er consul Zorn dans la missive qui avait donné l’alerte la veille.

 

Au matin des évènements de Tolwhig, après le départ du général Thalkion, le général Dumesnil avait d’ores et déjà débuté ses manœuvres défensives. Il avait séparé son corps en deux divisions formées de deux brigades de deux demi-brigades chacune, pour un total de huit demi-brigades qu’il avait fait répartir sur tout le territoire. L’état-major et la réserve de cavalerie cantonnaient au centre de la région, tandis que la première division couvrait le nord de Tolwhig et la seconde division couvrait le sud du territoire.

 

Quand la flotte des titanides et de leurs alliés avait, au matin, attaqué la citadelle de Terre-morne ; la terrible canonnade avait donc été entendue par des éclaireurs de la deuxième division, qui avaient donné l’alerte. La 8e demi-brigade d’infanterie fut dépêchée auprès des côtes tandis que la 7e fut chargée de tenir le bourg de saulême, en attendant le renfort des première et deuxième brigades en marche depuis le nord et de latroisième brigade en marche depuis le sud-ouest. Plusieurs messagers furent également lancés sur les routes pour tenter de joindre le IIe corps du général Thalkion, dans l’espoir de recevoir son renfort avant le lendemain.

 

Alors que le débarquement ennemi se poursuivait sous les yeux attentifs d’une poignée d’éclaireurs, les nouvelles furent mauvaises pour les impériaux. On comptait déjà sur les plages plus de 10 000 envahisseurs réunis en masse, face à seulement quatre des huit demi-brigades du corps. Les troupes de la première division étant encore en marche depuis le nord, les troisième et quatrième brigades étaient donc encore seules pour défendre le sud de Tolwhig et les abords de saulême, avec environ 4000 soldats.

 

Le général Hoche, qui commandait le front sud, fit réunir en urgence les lieutenants-colonels qui commandaient ses quatre demi-brigades. Puisqu’il semblait impossible d’affronter l’ennemi de front, il était nécessaire de ralentir au maximum sa progression en perdant le moins de forces possible. Il fallait donc s’avancer vers la côte pour rétrograder en tirailleurs et, si possible, cristalliser la progression ennemie sur des points de résistance. Les ordres du général Dumesnil, arrivés juste à temps, étaient clairs :

 

« La seconde division interdira à l’ennemi la route de Tolwhig. Une garnison se tiendra à Saulême pour y défendre le croisement des routes impériales. J’envoie la réserve de cavalerie appuyer vos flancs. Vous serez renforcés dans la nuit. ».

Pour le général Hoche, l’objectif était donc d’empêcher que les envahisseurs ne se rendent maitres de la route de Tolwhig avant la nuit, durant laquelle il serait renforcé. Il fallait également tenir le village de Saulême, qui était encore en ruines mais offrait un bon ancrage défensif au milieu des plaines et des vallons du sud-est de la région.

Il disposait pour accomplir tout cela de quatre demi-brigades, et allait bientôt être renforcé de deux régiments de cuirassiers et trois escadrons de chasseurs à cheval. En outre, la journée était bien avancée et le crépuscule n’allait plus tarder.

 

Mais alors qu’il réfléchissait encore à un plan, un messager du groupe d’éclaireurs vint déranger la réunion. L’homme, un aspirant de l’école de cavalerie qui servait au sein du premier escadron de chasseurs à cheval en qualité de chef de peloton, salua brièvement et interpella son général.

 

- Mon général, l’ennemi fait mouvement. Nous venons de voir partir une cohorte de plusieurs milliers d’hommes, en route vers le nord-est.

 

Les gardes l’ignoraient encore, mais le groupe qu’avaient observés les éclaireurs n’était autre que la légion auxiliaire du légat Melios, avec ses 7000 fantassins, en partance pour la route de Saulême.

Le général Hoche, comprenant que l’ennemi prenait l’initiative, accéléra le pas.

 

- Messieurs, nous n’avons plus le temps. Je veux que la 5e et la 6e demi-brigade foncent vers le sud-est et prennent de flanc la colonne ennemie. Inutile de former la ligne, vous vous déploierez en tirailleurs et profiterez du couvert des champs qui bordent la route impériale. L’ennemi y sera sous peu, allez-y à marche forcée. Que la 7e demi-brigade reste dans le village de Saulême et s’y barricade. Qu’on barre les routes et qu’on défende le bourg jusqu’au dernier homme, mais que personne n’y passe. Quant à la 8e demi-brigade qui est la plus proche de l’ennemi, allez l’alerter au plus vite, qu’elle retrograde vers le nord dans les bosquets pour y tendre des embuscades sur le bord de la route qu’emploiera l’ennemi. J’enverrai bientôt la brigade de cuirassiers de De Pontmercy appuyer vos arrières, veillez à ce que l’ennemi ne progresse pas de la nuit, et profitez de l’obscurité pour lui faire escarmouche !

 

Et, à ces mots, les officiers quittèrent leur général pour rejoindre leurs hommes.

 

La 8e demi-brigade, bien qu’elle eut été en bonne position pour attaquer la légion de Melios, parvint à se replier avant d’être vue, grâce au relief du terrain qu’offre le sud de la région tolwhigienne. Elle gagna en moins d’une demi-heure la petite vallée qui lui avait été désignée par le général hoche, par laquelle passait la route du nord, bordée de nombreux arbustes forts communs dans ces régions tempérées du sud Stendelien et non loin des champs de blés ou allaient attendre les 5e et 6e demi-brigades d’infanterie. A l’horizon, le soleil semblait déjà caresser la bordure du monde, et la lumière tendait déjà à décroitre, à l’avantage des volontaires.

 

Du coté des 5e et 6e demi-brigades, il avait fallu que les hommes marchant au pas redoublé pour gagner leur position dans les vastes champs de blés qui allaient border l’ouest de la trajectoire que l’ennemi semblait emprunter. Les hommes se répartirent alors dans les hautes tiges des cultures et s’y tapirent en tirailleurs. Les deux groupes occupaient à présent les champs à l’ouest de la route, et la 8e demi-brigade attendait de pied ferme dans les bosquets qui s’étendaient au nord ; le piège était tendu. Enfin, sur la route, marchant depuis la côte à pas lent ; l’ennemi arriva.

 

La légion du légat Melios était une troupe auxiliaire composée de 7000 soldats à pieds répartis en 14 cohortes de 500 hommes. Tous étaient originaires de la république des titanides, mais étaient des citoyens de second ordre. Le prestige militaire qu’offrait un service de plusieurs années dans la légion leur assurait une citoyenneté complète, ce qui avait motivé nombre de ces braves à s’enrôler. Bien qu’ils fussent auxiliaires, ils avaient donc déjà combattu à de nombreuses occasions et étaient des soldats aguerris. Leur chef, L’auxiliaris Legatus Melios, n’était pas sénateur comme l’étaient les Légats des légions principales. Lui-même fils d’un légat auxiliaire, il ambitionnait un jour d’entrer au Sénat par le prestige des armes, et avait passé sa carrière à attendre la campagne qui lui offrirait ses lauriers et la reconnaissance de ses pairs.

 

A cet égard, la mission d’avant-garde que lui avait confié la sénatrice Cornelia Hephaistos était une occasion unique. Marchant au-devant de l’armée d’invasion, il allait avoir l’honneur de combattre en premier et se voyait déjà vaincre les défenseurs de la région qu’il savait en infériorité numérique. Après le fiasco qu’avait été la vaine tentative de capture de la citadelle le matin même, une victoire terrestre en fin de journée n’en serait que d’autant plus éclatante qu’elle serait sans doute mise en avant par sa supérieure pour masquer ses échecs de la matinée.

Il ne lui fallait donc qu’une occasion de contacter ses ennemis, et il n’avait pour cela qu’à assaillir puis capturer le bourg de Saulême, double victoire.

 

Mais alors qu’il chevauchait au-devant de ses hommes, progressant sur la route impériale qui conduisait vers le nord, il fut pris d’un étrange sentiment. La nuit déjà avait presque englouti de sa nappe noire toute la région, et seul un halo rougeoyant éclairait encore la ligne d’horizon à l’ouest. La campagne était silencieuse, mais une étrange et oppressante sensation lui serra la gorge.

Pour autant, rien ne se passa.

 

Enfin, après une demi-heure de marche, au bout de la route ; le village de Saulême se dévoila. Cette fois, l’impression étrange avait disparue et laissait place à l’excitation dans l’esprit du jeune légat : ses adversaires étaient bien là, comme en témoignaient les lumières des torches et des lampes à huile qui s’agitaient derrière les murs et les barricades, et aux fenêtres des piteuses maisons. Des défenses de fortunes et redoutes de terre avaient été construites, par-dessus lesquelles on apercevait déjà de nombreuses têtes coiffées de tricornes.

 

D’un signe de main, le légat Mélios ordonna à ses premières cohortes de se déployer en colonnes dans la plaine qui bordait le village, et de se préparer à prendre d’assaut la voie principale. De toute évidence, les défenseurs ne devaient pas être plus de mille dans ce petit bourg que les légionnaires étaient plus de sept-mille à attaquer. En outre, aucun canon n’avait encore tonné, ce qui laissait à comprendre que les hommes qui garnissaient le village ne disposaient pas d’artillerie.

 

Quand les cinq premières cohortes furent en position, sans attendre, le légat les lança en avant au pas de charge. Bien qu’il eût pour lui l’avantage du nombre, il ne disposait en effet que d’un espace limité pour se déployer et ne pouvait mettre en ordre de marche que cinq cohortes à la fois, les autres étant contraintes d’attendre sur la route, à l’arrière.

Enfin, quand les premiers légionnaires se furent suffisamment approchés du bourg, la mousquetade débuta.

 

Une première salve, partie du bourg, frappa de plein fouet les premiers rangs des centuries. Plusieurs légionnaires tombèrent, fauchés, et furent enjambés par les suivants. L’assaut continua sans que les soldats du légat Melios, l’arme au bras, ne répliquent. Il eut fallu pour cela qu’ils ne s’arrêtent pour épauler leurs lourdes arquebuses, ce qui aurait enrayé l’attaque ; risque inutile dans un assaut à sept contre un.

Une seconde salve de mousquets vint arracher aux cohortes plusieurs de leurs soldats, sans qu’encore l’assaut ne s’arrête. Bientôt, les assaillants se trouvèrent aux abords directs du village, aux pieds des barricades.

 

La fusillade n’en devint que d’autant plus intense, et les troupes des deux camps pouvaient à présent se regarder dans le blanc des yeux.

Pour les assaillants, la partie devenait néanmoins compliquée : les soldats de la garde avaient, dans leur préparation des défenses du village, fait de la belle besogne.

La moindre rue ou ruelle avait été barrée et encombrée de meubles et de sacs de sable, et les fenêtres de toutes les maisons étaient garnies de fusiliers qui se relayaient pour offrir un feu nourri et continu. Les soldats de la 7e demi-brigade s’accrochaient à Saulême comme des damnés, et les légionnaires des cinq cohortes, foudroyés de près, perdaient leur élan.

 

Plusieurs d’entre eux se mirent à couvert pour faire usage de leurs armes et commencèrent à arquebuser les gardes les plus exposés aux fenêtres, mais ceux qui y tombaient étaient immédiatement remplacés. Derrière les barricades, montées sur une estrade et protégées par les sacs de sable, plusieurs lignes de feu se relayaient également et tiraient face à elles, abattant tous ceux qui approchaient par la route impériale. Le bourg, devenu un roc, retenait pour l’instant toute la masse de l’attaque.

 

Dans le village, le lieutenant-colonel Tesselier encourageait ses hommes. Lui qui, après une longue carrière de sous-officier puis d’officier subalterne, se voyait encore prendre une retraite bien méritée dans la campagne Tolwhigienne se retrouvait de nouveau dans la fournaise.

Dans ce duel pour la sauvegarde ou la capture de Saulême, le vieil officier passait de peloton en peloton, dans chaque compagnie, à chaque poste de combat, suivi de près par le jeune et frêle « bleuet » qui faisait office de porte-drapeau.

Partout où la situation semblait devenir critique, sa présence et celle de l’étendard redonnaient du cœur aux hommes, qui voyaient dans l’œil de leur chef l’étincelle des vieux soldats.

Et quand enfin, accablés par le nombre, certains commençaient à perdre espoir ; le vieux colonel se mettait à répéter inlassablement la même formule ;

 

- Reculez le chien ! Ouvrez le bassinet ! Déchirez la cartouche ! Remplissez le bassinet ! Fermez le bassinet ! La poudre dans le canon ! Enfoncez la balle ! Armez le chien ! En joue ! Feu !

 

Et les hommes, comme un cantique, reprenaient en cœur cette étrange poésie apprises pendant leurs classes ; celle de la charge en dix temps.

Alors, par mimétisme et, sans doute, par obnubilation ; chaque soldat concentrait son esprit sur son arme, et le groupe synchronisait ses feux.

Ainsi unie, concentrée et galvanisée, la 7e demi-brigade tenait ferme.

 

Devant le bourg, le légat Melios ne tarda pas à s’impatienter.

Pensant que ses cinq premières cohortes auraient vite raison des premiers défenseurs, ce dernier avait d’ailleurs fait avancer dans la plaine les cinq cohortes suivantes, croyant pouvoir les lancer à l’assaut sans attendre. Mais l’attaque sur le village piétinant, cette manœuvre avait verrouillé le peu d’espace dont il disposait pour faire mouvement et coupé la retraite des premières unités, qui se trouvaient prises entre les murs de Saulême et leurs propres alliés. Pire, cet encombrement plaçait la plupart de ses effectifs dans la plaine et compliquait une éventuelle retraite par la route, qui se refermait tel un goulot entre les champs de blés.

Hors de ces champs de blé justement arrivaient, tapies dans les hautes tiges et couvertes par l’obscurité, les 5e et 6e demi-brigades.

 

Arrivées trop tard pour flanquer la légion sur la route, elles s’étaient rangées de sorte à en couvrir les deux côtés, et avaient suivi de loin la troupe du légat Melios.

 

Une fois la nuit tombée, leurs colonels avaient attendu une occasion propice pour attaquer de dos leurs adversaires, une fois que ceux-ci se seraient embourbés autour du village.

Ce moment, justement, était venu.

 

Des arrières de la légion, prenant pour cible les quatre cohortes qui formaient la queue de la troupe et qui attendaient encore en colonne sur la route, une formidable fusillade éclata.

Parmi la clameur des combats du village, ces premiers coups de feu passèrent inaperçus du légat. Malheureusement pour ce dernier, ces premières salves furent également les plus dévastatrices, cueillant par surprise des ennemis debout au centre de ce véritable tir croisé, incapables de répondre. Enfin, comprenant qu’elles étaient prises dans un étau de feu et de fer, les cohortes se mirent d’elle-même en posture de combat et répondirent à la fusillade à l’aveugle, arquebusant en direction des champs de blé qui bordaient la route d’est en ouest.

 

Ce déploiement soudain de ses arrières et le bruit grandissant de l’escarmouche attira finalement l’attention du légat, mais il était trop tard. Cinq de ses cohortes étaient encore bloquées autour du village et ne pouvaient pas être rappelées à cause des cinq cohortes suivantes, qui elles-mêmes ne pouvaient manœuvrer ni en avant ni en arrière, bloquées par les cohortes qui fermaient la route et se faisaient faucher. En d’autres mots, la légion auxiliaire du légat Melios était prise au piège, et bien qu’elle fût en large supériorité numérique, elle était assaillie de toutes parts.

 

Le jeune chef, se voyant pris en étau, ne se laissa pas décontenancer pour autant. Sa victoire dans ce combat n’était pas une option, et il serait bien ridicule qu’il ne soit défait avec près de 7000 soldats en rase campagne. Sans attendre, il héla son Primus tribunus qui arrivait au galop depuis l’arrière des lignes, et se renseigna sur sa situation exacte.

 

- Qu’est-ce qu’il se passe à l’arrière ? Nous auraient-ils contournés ?

Demanda-t-il

 

- Non excellence, je crois que les impériaux viennent de recevoir des renforts.

- Combien sont-ils derrière nous ?

- Impossible à dire excellence, ils sont à l’abri des blés, des deux côtés de la route. Doit-on abandonner l’assaut ?

- Jamais ! Que les cinq premières cohortes poursuivent l’attaque sur le village. Nous avons cinq cohortes en réserve dans la plaine, je veux que quatre d’entre elles se jettent dans les champs et débusquent nos adversaires. Qu’elles les fassent au moins reculer pour posséder les champs et dégager nos quatre cohortes de queue.

- A vos ordres, excellence.

 

Et le Premier tribun de la légion, investi de ses ordres, piqua son cheval en direction des cinq cohortes de la plaine, sous les yeux du légat.

Ce dernier, enfin, conscient du danger qui pesait sur ses arrières ; galopa en direction du bourg où combattaient encore 2500 de ses hommes.

Le calcul qu’il fit était simple : s’il ne connaissait pas le nombre de ses adversaires dans les champs, il était hasardeux de se risquer à y faire retraite, au péril de voir la garnison du bourg s’ajouter aux poursuivants. L’option la plus simple et la plus sûre qui se présentait à lui était donc de temporiser sur ses arrières et de s’emparer du bourg dont il pouvait estimer le nombre des défenseurs, qu’il savait déjà rudement éprouvés.

 

Le légat Melios se lança donc dans un bond en avant pour se rendre maitre du village et se retourner contre les troupes qui l’escarmouchaient depuis les champs, s’assurant ainsi la victoire et une position plus enviable que celle qu’il occupait actuellement.

 

Il ne lui fallut que quelques minutes pour s’approcher du bourg et de la masse de ses hommes qui essayaient, en vain, d’y pénétrer. La fusillade durait depuis un moment déjà et la plupart des légionnaires s’étaient repliés derrières des ruines de fermes et des murets de pierre pour éviter les salves. Entre eux et les barricades s’était formé une zone morte de près de trente mètres de large sur tout le front de long, jonchée de corps sans vie et de mourants. Tous ceux qui tentaient, par petits groupes, de franchir ce mince découvert étaient copieusement fusillés, aussi le mouvement offensif s’était-il tari faute d’ouverture.

 

Constatant le piétinement des opérations, le légat prit les choses en main. Démontant de son cheval, il se dirigea vers un de ses tribuns, qui se dissimulait avec une de ses centuries derrière le remblai d’un chemin. L’homme, à la vue de son chef, tressaillit et se redressa à demi, restant courbé pour ne pas être fauché par les balles qui sifflaient ça et là.

 

- Tribun Titus vos ordres, excellence !

- Silence ! Qu’est-ce que vous faites terrés ici, au lieu de me prendre ce village ?

- Excellence, deux de mes centuries ont déjà été décimées sans avoir pu toucher les barricades ! Nous attendons ici que les défenseurs gaspillent leurs munitions avant de tenter un nouvel assaut !

- Foutaises ! Prenez les trois centuries qui vous restent, et jetez-vous en bloc sur la rue principale !

 

Les hommes, à ces mots, se regardèrent. Bien qu’aucun d’entre eux n’ait eu de velléités suicidaires, tous savaient que la désobéissance à un supérieur pouvait leur coûter bien plus cher qu’une mort rapide au combat. Les légions titanides trainaient derrière elles une longue tradition de châtiments corporels en tous genres, publics de surcroit, qui décourageaient sans mal toute indiscipline.

 

Ainsi, après un moment de flottement, le tribun se lança-t-il en avant de ses hommes, essayant autant d’inspirer ses troupes par sa bravoure personnelle que de montrer à son chef qu’il n’était pas un pleutre. Le mouvement, enfin, reprit.

Derrière lui, les trois centuries se levèrent d’un bond, et tentèrent à nouveau de monter à l’assaut de la rue principale. Marchant au-devant des hommes, les centurions, reconnaissables par la crète qui ornait leurs casques et leurs capes rouges, suivirent le pas du tribun et s’exposèrent également à la première volée venue.

 

Et cette volée, partant de la barricade, ne se fit pas attendre.

Debout sur l’estrade, au milieu de ses hommes, le lieutenant-colonel Tesselier était venu remplacer le brave capitaine de la compagnie qui était tombé au combat. Armé d’un mousquet trouvé sur le corps sans vie d’un des conscrits, le brave officier avait pris part à la ligne de feu, et donnait la mesure. Voyant arriver sur sa position cette nouvelle vague de légionnaires, il ne se démonta pas, et cria de nouveau comme si sa vie en dépendait :

 

- Reculez le chien ! Ouvrez le bassinet ! Déchirez la cartouche ! Remplissez le bassinet ! Fermez le bassinet ! La poudre dans le canon ! Enfoncez la balle ! Armez le chien ! En joue ! Feu !

 

Et de la barricade de la rue principale, partant de la herse de baïonnette qui garnissait le maigre rempart, la salve partit.

 

Les coups crépitèrent, allumant le bout des mousquets de grandes gerbes d’étincelles et de fumée. En face, dans les cohortes, le choc fut violent. Le tribun titus, marchant devant la masse d’hommes, fut étrangement épargné par les projectiles. Mais derrière lui deux des centurions furent tués roide, et tombèrent face contre terre avant d’être piétinés par leurs hommes. Le mouvement ne s’en arrêta pas pour autant, mais il fallut enjamber les corps des légionnaires fauchés, et les suivants se préparèrent déjà à recevoir la prochaine salve.

 

Encore une fois, elle ne se fit pas attendre. Le crépitement sinistre se répéta, et déchira les premiers rangs de légionnaires qui, cette fois, s’arrêtèrent dans leur élan.

Déjà entendaient-ils, entre les cris des blessés et les tressaillements des morts, le bruit des tiges de métal que les gardes utilisaient pour fourrer les balles dans leurs mousquets. Persévérer dans cette attaque, de front sur la partie la mieux défendue du village, était suicidaire. Mais avaient-ils le choix ?

 

Derrière eux, près du muret de pierre, le légat Melios les regardaient. Derrière lui, une autre cohorte se mettait en position pour venir soutenir l’élan et pousser derrière eux. Le tribun Titus, bien que secoué, cria une dernière fois :

 

- On y est presque ! Prenez-moi ce village !

 

Et les hommes, galvanisés par leur chef, et comme pour conjurer la peur, crièrent ensemble le cri de guerre des légions Titanides:

 

- Legio ! Legio ! Legio !

 

Et tous, d’un bond, se jetèrent en avant. Les trois centuries de tribun Titus, suivies des cinq centuries de la cohorte du tribun Leron, foncèrent tête baissée vers l’entrée du village.

Bien sûr, si il ne s’était agi que de cela, les gardes auraient sûrement repoussé cet énième assaut comme ils l’avaient fait pour les précédents. Mais la bataille allant, ils avaient eux même subis de nombreuses pertes, et voyaient leurs gibernes se vider à vue d’œil.

Le ravitaillement s’effectuait sporadiquement et avec difficulté, et les hommes étaient déjà exténués de ce combat qui s’éternisait.

 

Les salves qui partaient du village, bien que meurtrières, devenaient moins consistantes ; alors que l’ennemi semblait de moins en moins craindre la mort. Le lieutenant-colonel Tesselier, sachant que ses forces diminuaient, ne pouvait que s’en remettre aux 5e et 6e demi-brigades, qui bataillaient dans les champs au sud de sa position.

 

Qui des gardes ou des légionnaires, de Tesselier ou de Melios, allaient perdre pied en premier ?

Le village allait-il tomber sous l’emprise de la légion ? Les gardes bataillant dans les champs allaient-ils réussir à faire plier l’arrière des cohortes ?

 

Dans les épis, la mousquetade redoublait en tout cas d’intensité. Les coups fusaient de toutes parts sur les quatre cohortes toujours coincées sur la route, laissant sur le chemin de nombreux corps déchiquetés que les gardes semblaient vouloir tuer plusieurs fois.

Les légionnaires, sachant leurs ennemis à seulement quelques pas d’eux dans les cultures, se risquèrent parfois à avancer au contact. Plusieurs d’entre eux, glaive en main, s’aventurèrent dans la nuit noire au milieu des blés, pour ne jamais revenir. Partout où des malheureux s’aventuraient, un cri d’effroi ou de douleur venait informer les autres de son échec.

 

Les gardes, en effet, attendaient de pied ferme que l’on vienne les chercher. Baïonnette au canon, accroupis ou couchés, ils vidaient inlassablement leurs gibernes en direction de la route dans un véritable tir-croisé. Les hommes se tenaient par groupe de deux, afin qu’un homme recharge et que l’autre puisse tirer, où se défendre à coup d’arme blanche. Quand un légionnaire importun faisait irruption dans la ligne, il avait immédiatement une lame dans les côtes ou un canon sur la poitrine, aussi les 5e et 6e demi-brigades commencèrent-elles à prendre l’avantage.

 

Si elles parvenaient, par bonheur, à faire débander les cohortes prises sur la route ; le légat Melios se retrouverait sans arrière-garde et pris de revers, avec ses cohortes avant engagées dans le combat du village. En bref, il serait mis en échec, et contraint de se retirer. Mais alors que dans le village, les hommes du lieutenant-colonel Tesselier tenaient comme des diables sur la barricade, et que dans les champs les deux demi-brigades gagnaient du terrain vers leur ennemi ; la légion rabattît les cartes d’un tour de main, et fit changer le cours de la bataille.

 

Rampant sur le bord de la route jusqu’aux blés, jouant le tout pour le tout, un centurion d’une des cohortes prise au piège alluma de sa torche plusieurs épis de blé. Le feu, soutenu par un vent d’est, se propagea rapidement vers l’ouest où se trouvait la 5e demi-brigade. En quelques minutes, une portion toute entière du champ s’embrasa, chassant les gardes et dégarnissant le bord Ouest de la route. Le brasier gagna en ampleur et malgré le vent, l’air devint rapidement irrespirable tant pour les gardes que pour les légionnaires. Ces derniers, libérés sur un de leurs flancs, entreprirent alors un grand mouvement offensif en direction de l’est de la route, vers le 6e demi-brigade qui se retrouvait coupée de son alliée.

 

L’assaut fut brutal, mais les gardes tinrent bon. De violents combats au corps-à-corps à la lisière du champ permirent de contenir les légionnaires, pendant que la 5e brigade, marchant au sud pour contourner la route, tentait de gagner l’est pour soutenir sa jumelle.

 

Dans le village, la 7e demi-brigade bataillait toujours pour la défense de la rue principale. Mais, les munitions et les défenseurs décroissant, l’ennemi parvenait à gagner du terrain vers la barricade, sur laquelle venaient déjà s’empiler les corps des légionnaires les plus hardis.

Le combat gagnait en intensité à mesure qu’il s’éternisait, et l’incendie des champs au sud ne laissait rien augurer de bon pour les gardes. Pire, le vent qui avait tourné vers le nord-ouest rabattait à présent une partie de la fumée et de ses tourbillons de braises vers le bourg, ajoutant au chaos et limitant le champ de vision des lignes de feu.

 

La situation devenait intenable, quand un cri d’alarme résonna dans Saulême.

 

- Ils nous contournent ! Ils essaient de passer par les maisons !

 

A ce cri, le lieutenant-colonel Tesselier quitta la barricade et se rua vers le point d’où venait l’alerte. S’arrêtant net, un effroyable frisson lui traversa l’échine quand il se trouva face à un légionnaire, dans l’enceinte du village.

Un coup de mousquet sauva l’officier, mais l’ennemi était bien là : ils avaient réussi à entrer.

 

Auprès du colonel, le jeune porte-drapeau partageait au centuple l’angoisse de ce dernier. Le vieux chef s’en rendit compte et parvint à se ressaisir, autour de lui déjà, le peu de gardes qui n’étaient pas tenus sur les barricades s’étaient réunis.

 

- Messieurs ! L’ennemi est dans nos murs ! Baïonnette au canon !

Cria-t-il.

 

Puis, saisissant l’étendard, il planta sa hampe au centre de la place avant de reprendre :

 

- Comme l’a dit un jour un très grand homme, la garde meurt mais ne se rend pas ! Nous défendrons ce village, dussions-nous n’être jamais relevés ! La garde nous en a été confiée jusqu’au matin, tâchons de n’être morts qu’au lever du jour !

 

Et, du groupe croissant qui s’était réuni autour du vieux chef naquirent de vifs « Hourras » qui furent entendus jusque dans la plaine.

 

La plupart des fusiliers étant toujours retenus sur les barricades pour repousser l’ennemi qui en faisait le siège, la contre-attaque de la percée ennemie se fit donc avec ce qu’il restait d’hommes : Blessés valides, maigres effectifs de réserve, membres de l’état-major… Seul le chirurgien restait sans combattre, sa présence auprès des blessés les plus graves étant obligatoire.

 

La maigre troupe se rua vers la bâtisse en bordure du bourg dont l’ennemi s’était emparé, et dans laquelle plusieurs légionnaires avaient déjà pris leurs postes de tir en direction de la place. Les coups d’arquebuse claquèrent, et fauchèrent dans leur élan plusieurs des gardes ; dont le jeune bleuet.

 

Voyant leur plus jeune soldat tomber, face contre terre, fauché en pleine course à l’aube de sa vie ; la rage gagna le cœur des hommes, et plus singulièrement encore celui du vieux chef. Tous redoublèrent de hardiesse dans les derniers mètres qui les séparaient de la bâtisse. Comme des enragés, ils s’engouffrèrent dans le rez-de chaussée comme autant de piranhas dans un bocal de poissons rouges, et massacrèrent à la baïonnette et au couteau tous les légionnaires qui s’y trouvaient. Le lieutenant-colonel Tesselier, le sabre dans une main et son pistolet dans l’autre, se rua vers l’escalier qui menait à l’étage pendant que ses hommes se rendaient maitres de la base de la maison. Arrivant en haut des marches, il fut accueilli par une vive mousquetade qui lui ôta son bicorne et manqua de le tuer, et à laquelle il répondit en déchargeant son pistolet sur le premier légionnaire qu’il vit.

 

Les autres, glaives en main, se jetèrent vers le vieil homme ; qui répondit de son sabre. Un véritable duel débuta dans le tintement des lames, alors que plusieurs gardes rejoignaient déjà leur chef à l’étage. Par les fenêtres, l’épaisse fumée de l’incendie envahissait la demeure et asphyxiait à demi les combattants des deux camps, qui s’écharpaient les yeux dans les yeux.

Pris au piège, les légionnaires tombèrent un à un, et les cris des gardes au rez-de-chaussée laissèrent entendre que les défenseurs s’étaient rendus maitres de la brèche.

Mais alors qu’il poussait un soupir de soulagement, une salve d’arquebuses déchira les fins murs de la maison, criblant la pièce de balles, et emportant plusieurs des gardes.

 

Un vif pincement au flanc fit tressaillir le colonel, qui tomba à genoux. Baissant les yeux sur la main qu’il venait de porter à l’endroit où il avait reçu le coup, il vit son gant blanc se couvrir de sang pourpre, et une tâche se former sur le plancher. Le vieil homme, de guerre las, n’eut pas de peine à reconnaître sa blessure : une balle dans le foie, irrécupérable.

 

Alors, mourant, il ramassa son sabre et se hissa sur ses jambes. Autour de lui, tous les hommes étaient morts ; et sa propre vie s’échappait par sa plaie béante. Oubliant la douleur qui lui déchirait les côtes, il se traina vers une fenêtre qui donnait sur la place et, surtout, sur la toiture.

Dans un ultime effort, il passa l’encadrement de l’ouverture et se retrouva sur les tuiles, qu’il escalada tant bien que mal pour dominer, enfin, la maison.

Là, du haut de son perchoir, son sang rouge imbibant lentement son pantalon blanc, il cria à l’attention de ses hommes en contrebas :

 

- Ils arrivent ! Vive l’empire ! De grâce, vive la terre sainte de Stendel !

 

Puis, ses forces l’abandonnant, il tomba assis sur le toit, prêt à se laisser mourir. Son souffle saccadé commença à ralentir, et l’étreinte de sa main sur la plaie, déjà, se désserait.

Mais alors que le vieil homme, ayant accepté son sort, était sur le point de succomber ; le destin lui fit pour dernier hommage un cadeau inespéré.

 

Au loin dans la fumée, au-delà des champs, comme l’avais promis le général Dumesnil ; un clairon raisonna.

 

- La relève… c’est pas trop tôt.

Sur ces mots, le lieutenant-colonel Tesselier expira.

 

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CHAPITRE 8 – Saulême l’irréductible

JOUR 4 (nuit/matin)

 

Le jour était encore à quelques heures de se lever, et la situation était devenue des plus chaotique pour les deux camps. Dans le village, désormais privé de son chef, la 7e demi-brigade se débattait comme une diablesse pour tenir et reprendre chaque maison et chaque ruelle à l’ennemi qui l’assaillait en surnombre. Dans les champs, l’incendie avait noyé le champ de bataille de sa fumée et les flammes avaient poussé la 5e demi-brigade au repli, laissant la 6e demi-brigade recevoir de plein fouet la contre-attaque des arrières de la légion de Melios.

 

Partout, d’âpres combats se disputaient, échappant complètement à la maitrise des deux camps.

Revenu dans la plaine au milieu de ses hommes, le légat Melios cherchait à redonner un semblant d’ordre à sa légion, tiraillée entre les combats sur ses avants et ses arrières. L’avantage était toujours de son côté cependant, et il savait que le village ne tiendrait plus longtemps.

Encore un petit effort et la victoire serait à lui, chèrement acquise certes ; mais il n’aurait qu’à exagérer le nombre des défenseurs dans son rapport et compter sur les bravades de ses soldats, qui ne se feraient pas prier pour se vanter de s’être battus à 3 contre 1 bien que la réalité tendît plutôt à l’inverse.

 

Mais alors que le légat, pensif, observait les cohortes qui partaient à l’assaut du village, un bruit étrange résonna derrière lui, vers les champs en flamme. Dans le lointain, une sorte de trompette sonna une petite mélodie, courte, comme un appel.

Était-ce ainsi que les gardes communiquaient leurs ordres ?

 

Avant qu’il puisse poursuivre ce raisonnement, il fut interpellé par une clameur, reprise par ses hommes, et qui s’élevait de la route.

 

- Ils reculent ! Les impériaux se débinent !

 

Alors, dans l’esprit du jeune légat, la connexion fut vite faite : cette petite sonnerie, c’était un appel à la retraite ! Les défenseurs, repoussés par le feu et le nombre dans les champs, se repliaient enfin. La menace qui pesait sur ses arrières se levait, juste à l’instant où ses cohortes à l’avant allaient se rendre maitresses du village. Il ne fallait cependant pas manquer l’occasion de disperser les gardes en fuite, aussi Melios héla-t-il un de ses tribuns, qui vint recevoir ses ordres.

 

- Le bruit qui court derrière nous est fondé ?

Demanda-t-il d’abord, par prudence.

 

- Oui, excellence. L’ennemi qui nous talonnait recule partout vers l’Est. Ceux que l’incendie a chassé sont repartis vers le sud, nous avons le champ libre !

- Parfait, ne leur laissons pas le temps de se regrouper. Faites avancer deux colonnes vers la plaine, et ordonnez aux deux autres de pourchasser les fuyards !

 

Mais alors que le légat donnait ses ordres, le bruit de trompette retentit de nouveau, sa source toujours masquée par l’écran de flammes et de fumée.

Cette fois, il fut repris en plusieurs endroits, toujours masqués par la fumée, vers l’ouest.

 

- Attendez tribun, je pensais que l’ennemi à l’ouest avait rétrogradé vers le sud. N’est-ce pas de l’ouest que viens cette sonnerie ?

Demanda le légat.

 

- Je crois, excellence. Peut-être ont-ils contourné l’incendie ? J’étais pourtant certain de les avoir vus quitter les champs par le sud…

 

A cet instant, un léger frémissement fit hennir les chevaux des deux légionnaires.

Le sol, sous leurs sabots, semblait tressaillir.

 

- Qu’est-ce qu’il se passe enfin ?

- Je n’en sais rien, excellence, peut-être le vent qui ravive l’incendie ?

 

Le frémissement, désormais, leur était perceptible. Dans la plaine et sur la route, tous s’arrêtèrent, en silence. Le sol semblait vibrer à présent, accompagnant un bourdonnement lointain qui se faisait croissant. La nappe de fumée, encore, couvrait de son épais voile l’origine du bruit.

 

En quelques secondes, le bourdonnement devint un véritable grondement, et le sol se mit à trembler tout à fait. Inquiets, les légionnaires se tournèrent vers leurs centurions, qui restèrent béats, immobiles, aussi interloqués qu’eux.

Quelque chose de formidable, de terrible, semblait sur le point de déferler sur eux comme une vague scélérate sur un frêle esquif.

Alors, instinctivement, les plus aguerris des hommes rompirent les rangs et cherchèrent à rejoindre un abri ; mais pour beaucoup, il était trop tard.

 

Derrière la fumée, le clairon sonna une derrière fois, immédiatement suivi par un cri unique sorti de mille poumons à la fois :

 

- Chaaaaaaaargeeeeez !

 

Rompant le brouillard comme une balle à travers une vitre ; le général De Pontmercy sortit de la fumée, l’épée en main. Derrière lui, sabre au clair, une brigade toute entière, deux régiments, 1 200 cuirassiers, apparurent entre les braises et les flammèches.

- Cavalerie !

Hurla un légionnaire sur la route, dans la trajectoire de la charge.

 

- Tous à couvert, derrière le talus !

Hurla un autre.

 

Mais les cuirassiers, lancés au galop de charge à brides abattues, furent sur eux en quelques secondes. Les fantassins de la garde ayant fait retraite, il ne restait devant ces derniers que les cohortes du légat Melios, complètement désordonnées par les longs combats de la nuit. Les légionnaires tentèrent, en vain, de se regrouper en petits ilots d’hommes pour faire face au torrent de cavaliers qui déferlait, mais rien n’y fit.

 

Derrière le général De Pontmercy, les cuirassiers étaient rangés en colonnes par escadrons, le 3e régiment à droite et le 4e à gauche, sur plusieurs rangs de profondeur. Tous ceux qui survivaient au passage des deux premières compagnies étaient fauchés par les deux suivantes ou par les deux dernières ; la charge fit sur la route l’effet d’un ouragan.

 

Traversant le terrain d’Ouest en Est, balayant la voie et les champs, il ne fallut que quelques minutes à la brigade pour passer et anéantir tout l’arrière de la légion, soit quatre cohortes sur les quatorze. Alors, seulement, les cuirassiers prirent le chemin du sud et quittèrent la zone, avant même que les légionnaires puissent répondre.

 

- Excellence ! Nos cohortes d’arrière-garde se sont évaporées ! L’ennemi se regroupe, que fait-on ?

Demanda le tribun, paniqué.

 

- Reprenez-vous ! Il ne faut pas rester dans la plaine, tous en avant sur le village ! Laissez-tomber la formation, battez l’assaut général !

 

Aux mots du légat, l’ordre passa dans les cohortes qui se ruèrent vers l’entrée du village. Les hommes, bien plus pour y trouver un abri que pour capturer la place, assaillirent les barricades avec la force du désespoir, et passèrent finalement.

 

Mais au moment où la légion entrait dans Saulême avec les 4 000 hommes qui lui restait, les quelques 600 défenseurs survivants reçurent un second renfort inéspéré. Alors qu’on était sans nouvelle d’elle depuis le début des combats et qu’on la pensait postée dans les sous-bois à plusieurs kilomètres du village, la 8e demi-brigade d’infanterie abordait le champ de bataille par le Nord-Est.

La brave colonne, entendant le fracas des combats, avait quitté son poste et marché au canon.

 

Au sud, enfin, les 5e et 6e demi-brigades s’étaient ralliées et avaient été rejointes par les 3e et 4e régiments de cuirassiers. La colonne, galvanisée, marchait vers le nord et apparaissait déjà à la vue des légionnaires. Les combats dans le village redoublèrent d’intensité sans la moindre cohérence, le bourg étant bien trop peu étendu pour servir d’arène aux presque 8 000 hommes de tous camps qui s’y ruaient pour s’y écharper.

 

Le légat Melios, au milieu de ses hommes, passa enfin la barricade et entra dans la place. Certes, comme il l’avait prévu, il avait réussi à entrer dans le village avant le lever du jour. Mais sa légion, épuisée et exsangue, s’y retrouvait désormais assiégée. Pire, bien qu’ils aient pu prendre les rues, les légionnaires se faisaient à présent arquebuser par les fenêtres des maisons ou s’étaient barricadé les derniers survivants de la 7e demi-brigade.

Sur l’horizon, un léger halo rougeâtre fit son apparition, laissant entendre que le soleil allait bientôt poindre. Pour les gardes comme pour les légionnaires, le jour devenait le dernier espoir :

Pour les uns, il devait accompagner l’arrivée des renforts promis par le général Dumesnil avec les 1ère, 2e, 3e et 4e demi-brigades d’infanterie et la cavalerie de réserve ;

Pour les autres, il laissait espérer l’arrivée de la IV Légion de la sénatrice Hephaistos et des troupes de Jade et de Victoria.

En somme, avec le jour, les gardes attendaient le renfort de quelques 4 500 hommes. Les légionnaires, eux, en attendaient 11 000.

 

Le général Hoche, qui avait commandé tant bien que mal les offensives des 5e et 6e demi-brigades pendant la nuit, s’approcha du général De Pontmercy.

 

- Bien, nous avons tenu jusqu’au jour. Que doit-on faire à présent ?

 

- Dumesnil m’a donné ses ordres. Achevons cette colonne sur Saulême, et regroupons-nous plus au nord. Ce bourg ne les arrêtera pas une seconde fois, mais nous pourrons profiter des champs et des sous-bois pour les embusquer sur la route de Tolwhig, et là-bas, nous aurons des feux à leur opposer.

 

- Bien reçu. Je fais marcher mes demi-brigades sur les talons de l’ennemi, je compte sur vos cuirassiers pour sabrer tout ce qui est entre nous !

 

Et, sur, ces mots, les deux généraux et leurs troupes se mirent en marche vers le village, tambour battant, pour donner le coup de grâce.

Dans la plaine au sud de Saulême, les derniers légionnaires à n’être pas encore entrés dans le bourg virent se rapprocher cette colonne, et se pressèrent davantage pour s’abriter entre les logis. Mais la masse de leurs camarades, jetés en désordre dans les rues, obstruait les rares points d’accès.

 

Pire encore : la 8e demi-brigade, marchant au pas redoublé, se présentait par la porte Nord du village, baïonnette au canon et en bon ordre. Les légionnaires, pressés sur leurs arrières, allaient devoir se battre sur leurs avants, le tout sous la fusillade constante des maisons qui avaient été barricadées et dont les fenêtres étaient devenues de véritables meurtrières.

 

Partout, cherchant à faire taire cette résistance qui les empêchait de se réorganiser, les légionnaires frappaient aux portes et aux fenêtres, cherchant à enfoncer les accès et à prendre les bâtisses.

Ceux qui, après force lutte, parvenaient à entrer se faisaient immédiatement abattre à coups de mousquet, de baïonnette, voire de pics, de hache et de pioche.

Les défenseurs, acculés, jouaient dans cette lutte plus que leur survie ; et bien que la 7e demi-brigade ait volé en éclat, tous ses hommes séparés en petits groupes se battaient comme dix.

 

A l’étage d’une des maisons, en haut de l’escalier encombré sous un éboulis de meubles, un sergent et un caporal avaient regroupé leurs hommes autour de leur sous-lieutenant mortellement atteint, qui poussait devant eux son dernier soupir.

 

- Prenez mon épée et les lettre dans la poche de mon veston. Prenez ma montre aussi, vous la donnerez à ma mère. Bonne chance messieurs…

Dit simplement le jeune officier en expirant.

 

Le sergent, agenouillé près de lui, préleva sur sa dépouille la montre et les lettres.

Puis, se relevant, il salua.

 

- Le p’tit lieutenant est mort, on l’a pas connu longtemps mais c’était un chic type. Maintenant qu’il nous regarde de là-haut, évitons de le faire rougir !

Déclara-t-il, pour seul éloge funèbre.

 

Les gardes se découvrirent un instant, sans mot dire. Puis, la guerre ne permettant pas de plus longues funérailles, ils se tournèrent vers leur chef.

 

- Qu’est-ce qu’on fait maintenant, sergent ?

Demanda le caporal Thibaut.

 

- Balancez vos sacs et vos chapeaux dans le coin de la pièce. Coincez vos couteaux dans votre ceinture et gardez votre giberne ouverte. Deux hommes restent en arrière et rechargent les fusils des morts, on en a bien assez. Les autres se servent dans le tas, tirent leur coup et changent de fusil. Vous, caporal, prenez quatre hommes et allez tenir l’escalier ; veillez à ce que personne n’y monte. Les autres, aux fenêtres avec moi !

Ordonna le sergent.

 

Et tous, unanimement, s’exécutèrent. Les soldats, qui étaient tous des appelés, savaient en effet que leur chef saurait les tirer de ce mauvais pas, et pour cause : il était leur instructeur.

Le sergent Swan était un vétéran de la garde volontaire, qui avait été affecté à la formation des réservistes de Tolwhig après une longue carrière au 4e de ligne. Vétéran d’Asayaka et de la première campagne verte, il s’était forgé une solide réputation de meneur en tant que caporal puis sergent de fusiliers. Peu intéressé par l’avancement, il avait finalement refusé une promotion de sergent-major dans son régiment pour lui préférer une retraite plus paisible à former des jeunes dans la campagne Tolwhigienne, avec sa femme et sa fille.

 

- Visez les plus costauds et ceux qui ont des outils en premier ! Ceux qui ont des capes ont l’air d’être leurs chefs, descendez tous ceux qui passent et faites attention à pas trop vous montrer aux fenêtres si vous voulez pas en prendre une !

Cria le sergent à ses hommes.

 

Les légionnaires, dehors, affluaient de toutes parts en grand nombre. Il n’était pas nécessaire de faire de savants calculs pour comprendre qu’ils étaient bien plus nombreux que les défenseurs n’avaient de cartouches dans toutes leurs gibernes réunies, mais qu’importe. Les baïonnettes, elles, ne tomberaient pas à cours de munitions.

 

En haut de l’escalier d’ailleurs, le caporal Thibaut préparait ses hommes à se battre au corps à corps, les bruits de coups sur la porte du rez-de-chaussée se faisant de plus en plus pressants.

 

- Tirez votre cartouche sur le premier qui se pointe en bas des marches ! Un seul de vous tire, les autres se font les prochains. Si ils sont trop nombreux à se montrer, savonnez-les à la baïonnette ! Et dès qu’ils sont trop proches, surinez-les au couteau !

Cria-t-il.

 

Dans la pièce d’à côté, la mousquetade se poursuivait à une cadence effrénée. Une fois le coup tiré, les fusiliers aux fenêtres jetaient leur arme sur les deux hommes chargés de rechercher les mousquets, et saisissaient une nouvelle arme.

Partout, l’on entendait le crépitement des balles ennemies sur les murs de la bicoque, fort heureusement assez épais. Parfois, un coup passait tout de même par les parties les plus fines ou par les fenêtres, et venait blesser ou emporter un homme.

 

- Le blond est mort sergent !

Cria un des jeunes soldats, paniqué.

 

- Serre les dents le jeune !

Rétorqua le sergent. Puis, se retournant vers la porte du couloir,

 

- Caporal Thibaut, qu’est-ce que ça donne de votre côté ?!

- Ils vont pas tarder à entrer en bas, sergent !

 

Les légionnaires, en effet, étaient sur le point de rompre la barricade qui bloquait la porte d’entrée.

Mais alors que l’attention du groupe se portait vers l’escalier, un cri d’effroi alerta le vieux chef.

 

- Sergent ! ils foutent le feu aux barraques !

 

Dehors, visibles depuis les fenêtres, des légionnaires s’approchaient en effet des maisons ou s’étaient retranchés les autres défenseurs pour y mettre le feu, espérant ainsi faire taire définitivement toute résistance.

Le sergent, comprenant la manœuvre, saisit un mousquet chargé.

 

- Crevez tous ceux qui ont des torches, oubliez les autres !

Cria-t-il

 

Et la fusillade, encore, redoubla d’intensité.

 

Dehors, dans la mêlée d’hommes de sa propre légion, le légat Melios avançait avec grand mal. Encombré de sa cape écarlate et son plastron doré, il essayait tant bien que mal de donner des ordres à ses hommes. Mais ces derniers, harcelés de toutes parts, incapables de s’abriter et trop occupés à survivre et à assiéger les maisons, ne semblaient pas porter la moindre attention à leur chef. Pressé sur ses arrières et son avant par les troupes de la garde pourtant inférieures en nombre mais pourvues de cavalerie lourde ; il savait que ses colonnes étaient au bord de la débandade, et qu’il devait rapidement reprendre le contrôle de la situation.

 

Son attention se porta alors sur un socle de pierre qui trônait au centre de la place, et qui semblait autrefois avoir supporté une statue. Un piédestal, quel meilleur moyen d’attirer l’attention de ses troupes ? Le légat, décidé, se fraya un chemin vers cette tribune.

Malgré son rang et les très ostentatoires attributs de son grade, il dut lutter vivement pour arriver à son but, chahuté par ses soldats et ses centurions qui se pressaient en tous sens. Épuisé, il y arriva enfin, et se hissa sur le socle.

 

Là, debout au-dessus de la mêlée, la cape dans le vent, plusieurs de ses soldats se tournèrent finalement vers lui. Enfin, il arrivait à attirer leur attention, et allait pouvoir donner ses ordres pour faire changer le cours de la bataille. Les hommes semblaient en effet attendre des instructions de sa part, à lui, le chef, pour se sortir de ce guêpier.

 

Des instructions, des ordres, une idée… mais quoi ? Melios, debout sur son roc, restait muet. Ses hommes avaient spontanément assiégé les maisons, et avaient même eu l’idée d’y mettre le feu. L’initiative individuelle avait pris le pas sur le commandement, et le légat ne reconnaissait plus personne à qui donner d’instruction, pour peu qu’il eût su quoi dire. Les hommes, qui attendaient devant lui qu’il ne leur fasse part d’une idée au moins, se lassèrent de son silence et repartirent chercher un couvert pour ne pas être les prochains à tomber sous les balles des défenseurs.

 

Une balle, justement, vint ricocher sur le socle à ses pieds. Une seconde perça sa cape, et une troisième emporta une partie de la frange qui trônait sur son casque.

Comprenant que son uniforme, trop criard, faisait de lui une cible privilégiée et stupidement exposée sur ce surplomb de pierre, le légat se jeta dans la foule et tomba au milieu des corps et de la boue sanglante. La guerre, qui n’avait été pour lui qu’un moyen de se hisser en politique, prenait tout à coup une tournure violente, brutale.

 

Dans la maison ou tenaient tant bien que mal le sergent Swan et ses hommes, le vieux vétéran aperçut de loin ce manège. De sa fenêtre, il vit le légat tituber dans les cadavres, se prenant les pieds dans sa cape ; bringuebalant dans son armure trop grande pour lui.

Comprenant à son accoutrement que l’homme était important, il siffla un de ses soldats.

 

- « cartouche » ! Viens par ici !

- A vos ordres, sergent !

- Tu vois l’asticot là-bas, avec le rideau bariolé sur les épaules et le casque à frange ?

- Je l’vois sergent !

- Tu penses pouvoir le toucher ?

- Dans les 50 mètres ? pas simple, je vais essayer.

 

Et, sans autre cérémonie, le soldat pointa son arme en direction du légat.

Une fois son tir ajusté, il inspira profondément, soupira ; et brûla sa cartouche.

 

Le coup claqua sèchement, une gerbe de fumée s’échappa de l’arme, et la messe fut dite. Déjà, le sergent s’en était allé aider un autre soldat, et le 1ère classe « cartouche » avait changé de cible.

 

Sur la place, le légat Melios regardait, incrédule, le petit trou qui venait de se percer dans son plastron finement moulé en forme musculaires. Dans la bataille, il n’avait même pas entendu le coup, ni même vraiment senti. Son souffle s’était juste bêtement coupé, et il n’arrivait plus à le reprendre. De l’orifice, un mince filet de sang commença à couler, accompagné d’une petite écume rose. Son souffle, lui, ne revenait pas.

 

Une larme coula sur sa joue quand il comprit qu’il avait été touché au poumon. Il tomba face contre terre sans un mot, et sans un regard de ses hommes, définitivement déroutés.

 

Dans les rues de Saulême, la bataille se jouait toujours pour la conquête des maisons, changés en ilots de résistance. Plusieurs de ces foyers où s’étaient terré les survivants de la 7e demi-brigade étaient déjà tombés, aussi n’en restait-il qu’une poignée, dont la maison qu’occupaient le sergent Swan et ses hommes.

 

Ces derniers, qui étaient encore une douzaine après la mort de leur officier, n’étaient à présent plus que huit, dont le sergent Swan, le caporal Thibaut, et le soldat « cartouche ».

La mort du légat Melios n’avait rien changé à leur situation, aussi bien qu’ils en fussent à l’origine elle leur était passée totalement inaperçue.

- ça y est sergent, ils entrent en bas !

Cria le caporal, en déchargeant son mousquet sur un légionnaire qui venait de paraitre en bas des marches.

 

En quelques minutes, le rez-de-chaussée fut entièrement envahi. Les légionnaires, armés de leurs arquebuses, firent feu sur le plafond, perforant le plancher sur lequel marchaient les défenseurs.

La première salve, heureusement, ne toucha personne.

Mais la seconde, tirée sous la pièce d’où faisaient feu les hommes du sergent Swan, tua sur le coup le soldat Sylvestre, qui tomba sur le parquet.

 

- Merde ! Ils nous avoinent par le plancher ! Qu’est-ce qu’on fait sergent ?

- Trouve une poutre et reste au-dessus !

- J’en ai ma claque, ça fout les jetons !

- Boucle-là fusilier ! Utilise ta bouche pour mordre les cartouches !

 

Dans le couloir, les hommes du caporal Thibaut repoussaient désespérément les assaillants qui tentaient de désencombrer les marches. Les coups claquaient des deux côtés, avec un léger avantage pour le caporal et ses compagnons. Les corps s’entassaient en contrebas des escaliers, ce qui n’empêchait pas les légionnaires de revenir encore et toujours, libérant un peu plus le passage à chaque fois.

 

- Crevez-les à la baïonnette ! Ils sont presque là !

Cria le caporal, en enfonçant sa propre baïonnette dans l’œil d’un soldat ennemi.

 

Une véritable foule, à présent, s’engageait vers l’étage, l’arme en main.

La situation était devenue dramatique, et l’issue, pour la poignée de gardes, semblait funeste.

Mais alors que tous avaient accepté leur sort, et s’apprêtaient à mener la lutte ultime pour emporter avec eux le plus d’envahisseurs possible ; le sort sembla tourner en leur faveur, et leur salut se fit entendre. Dans la rue, à peine perceptible dans la fusillade, le roulement d’une caisse et le battement d’un tambour parvinrent aux oreilles des forcenés.

 

- Vous entendez les gars ? C’est « On va leur percer le flanc ! »

Cria le sergent.

 

- Les renforts !

hurla un des soldats.

 

Dans la rue principale, ayant finalement réussi à forcer le passage par le nord, la 8e demi-brigade toute entière s’engageait en colonne d’assaut. L’arme au bras, épaule contre épaule, rangés en ligne impeccables, les fantassins de réserve faisaient reculer les légionnaires dont l’ordre et la discipline étaient déjà rompus.

Puis, au sud, un autre son de tambour se fit entendre.

Dans la plaine, les 3e et 4e régiments de cuirassiers avaient fait place nette, et les 5e et 6e demi-brigades abordaient Saulême du même pas.

 

La légion de Melios, partout, se débandait, Désemparée.

Comprenant qu’ils étaient sur le point d’être pris en étaux, plusieurs dizaines de légionnaires tentèrent de fuir par les ruelles à l’Ouest de la ville, dans l’espoir d’y atteindre les champs et de s’y dissimuler pour fuir. La panique se répandit comme une trainée de poudre dans la troupe qui se jeta bientôt toute entière par les rares issues encore possible.

 

Grand mal leur en fit : tous ceux qui quittèrent le village furent immédiatement pris en chasse par les mille cuirassiers de Pontmercy, qui traquèrent et sabrèrent méthodiquement tous ceux qu’ils trouvèrent.

 

Alors que les cavaliers s’adonnaient à leur besogne, le jour acheva de se lever, et éclairait à présent tout le champ de bataille de sa lumière.

La route du sud couverte de cadavres, les champs calcinés, la plaine parsemée de morts et de blessés, et le bourg en proie aux flammes et dépeuplé de vivants.

 

Pour la garde, bien que le prix fût terrible, la victoire était consommée.

 

Le général Hoche, sans attendre que le village soit entièrement sécurisé, galopa vers la place centrale. Alors que les soldats de la 8e demi-brigade fouillaient encore caves et greniers à la recherche de soldats ennemis, les survivants de la 7e avaient commencé à se réunir et à rassembler leurs blessés.

 

En tout et pour tout, des mille hommes qui composaient la brave 7e au début des combats, il n’en restait que 106 en vie, dont moitié moins de valides. Saulême leur devait son salut, de même que le corps de réserve tout entier, qui aurait été aisément dérouté si un temps précieux n’avait pas été gagné dans cette bataille.

 

Le général, toujours monté sur son destrier, s’approcha du groupe de survivants.

 

- Soldats de la 7e, vous avez remporté cette nuit une des plus formidables victoires qu’il m’ait été donné de voir. Vous avez payé, pour cela, un lourd tribut. C’est de votre sang et de celui de vos camarades qu’est venu notre salut à tous. Vous avez mérité le repos et la gloire ; mais je crains de ne pouvoir vous offrir ni l’un ni l’autre pour l’instant. Nous nous replions séance-tenante sur la ville de Tolwhig, qui nous attend pour la défendre. Vous aurez l’honneur, pour ce qu’il vaut, d’y entrer les premiers !

 

A cet instant, le sergent Swan, qui avait ramassé l’étendard au centre de la place, le leva en l’air.

De vifs « hourras » suivirent son geste, et vinrent conclure cette formidable bataille.

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE 9 – Le col de pont-d’arc

JOUR 4 (midi)

 

Une journée entière était déjà passées depuis le départ du 2e corps d’armée de la préfecture de Tolwhig. Les hommes, encore frais, marchaient au pas redoublé au son des tambours qui battaient « Le régiment des volontaires ». La colonne filait bon-train, et l’on espérait à ce rythme atteindre Fort Herobrine dans les cinq jours. Il était également question de retrouver le 4e corps d’armée sur la route, ce qui était prévu pour le quatrième jour de marche. Tous, à cet instant, ignoraient que la préfecture de Tolwhig était attaquée à ce moment précis. Le corps, inconscient du danger, poursuivait sa route pour renforcer Fort Herobrine que l’on savait déjà bien gardé.

 

Pour être sûr de ne pas passer à côté des troupes du général Suljii, le général Thalkion avait fait déployer le 1er régiment de hussards sur son flanc nord, avec pour consigne de trouver l’avant-garde du 4e corps. Le reste de sa cavalerie, composé du 3e chevau-légers et du 5e dragons, chevauchait derrière son état-major.

 

Le général lui-même avait profité du calme et de l’ambiance bon-enfant de la marche pour rejoindre dans son avant-garde un de ses vieux amis, le colonel Von Lusset, commandant du 7e régiment d’infanterie et vétéran de Kel’Daer.

 

- Sur la route, encore. Je commençais à prendre racine à Tolwhig.

Commença le général.

 

- Je te croyais reparti à Rousset, et nous revoilà sur les sentiers de la guerre. D’ailleurs, que sait-on de cette attaque sur Novi ?

Demanda le colonel.

 

- Pour l’instant, bien peu de choses je le crains. Le message de Zorn était assez vague, mais je le connais depuis allez longtemps pour savoir qu’il se fait du mouron et, pire, qu’il a sans doute des raisons de s’en faire.

- Tu es inquiet toi aussi ?

- Non. J’ai 13 000 fantassins et presque 2 000 cavaliers, 28 canons et dix jours de munitions avec moi. En revanche, je me demande sur quoi nous allons tomber.

Termina le général.

 

A cet instant, un cavalier porta sa monture à hauteur des deux hommes, et salua.

 

- Mes respects, mon général. Je vous apporte la carte mise à jour, et le rapport des éclaireurs.

- Merci, capitaine.

 

Et le général, saisissant la carte et les documents, en fit la lecture.

D’après les cartographes, le corps était en avance sur ses prévisions, et devait aborder en milieu d’après-midi les montagnes qui bordaient par le Nord le territoire de Merel. La route, à cet endroit, allait devenir plus étroite et ralentir la marche ; mais cette voie restait plus directe vers Fort herobrine qu’un détour par le nord.

Quant aux rapports des hussards, ils n’auguraient rien d’alarmant, et annonçaient la reconnaissance prochaine du « col de Pont d’arc », seul passage praticable dans la montagne.

 

- Tu vas voir que nous allons encore bouchonner à l’entrée de ce fichu col !

Grommela le général.

 

- C’est toi qui as voulu passer par là !

Répliqua le colonel.

 

- J’éspère que Zorn a eu le nez creux, et qu’on va se battre ! Ces longues balades ont bien du charme, mais en cette saison c’est bien triste.

 

Derrière les deux hommes, sur la route, formant une longue colonne de près d’un kilomètre, le 2e corps d’armée continuait sa progression. Le 7e régiment d’infanterie ouvrait la marche, suivi par le 18e de ligne et les régiments des 6e, 7e et 8e brigades d’infanteries. Les cavaliers eux, chevauchaient avec l’état-major, et les canons suivaient à l’arrière de la troupe.

Dans la précipitation, le corps n’avait pas pu mobiliser ses bataillons de réserve, et ses régiments faisaient donc la route avec deux bataillons seulement. Ce furent donc près de 15 000 hommes qui marchaient en cadence à la suite de leur chef.

 

Deux heures passèrent ainsi, sans encombre, le long de la petite route et au gré des fermes et des champs. On eut peine à croire, en les voyant passer, que ces soldats partaient en guerre, une guerre dont on ne savait rien, n’ayant été mis au courant ni du débarquement de Birak’heim, ni de celui du Tolwhig, ni des opérations sur Novi. Pensant encore avoir affaire à une petite troupe de fanatiques rapidement déroutable par la garnison de Fort Herobrine, tous pensaient arriver trop tard pour se battre et rentrer bredouille ; mais une toute autre réalité allait bientôt s’imposer à eux.

 

Vers le milieu de l’après-midi, passant directement à coté de l’état-major, un hussard du 1er régiment se porta en direction du général Thalkion. Le jeune homme, aux galons fraichement cousus de brigadier, salua en toute hâte et interpella son chef.

 

- Mon général ! Un rapport urgent des patrouilles sur nos avants !

Déclara-t-il.

 

- Faites-moi voir ça !

 

Le rapport, écrit à la va-vite sur une feuille volante, était aussi éloquent que succinct :

« Contact hostile sur nos avants, troupes inconnues circulant dans le col de Pont d’arc. Accrochage avec des cavaliers ennemis, devons replier. Serons sans doute poursuivis, allons tâcher de les perdre. Déployez-vous en toute hâte. »

 

- Qu’est-ce que ça raconte ?

Demanda le colonel Von Lusset.

 

Mais le général, déjà, piquait son cheval pour rejoindre son état-major.

Arrivant auprès de ses officiers, il ne leur laissa le temps que de saisir leur sabretache et de noter ses ordres, qui se succédèrent en flot continu.

 

- Halte toute ! Ici et maintenant ! La 3e division à gauche de la route, la 4e division à droite ! Je veux voir la 11e batterie d’artillerie à pieds entre les 5e et 6e brigades et la 4e batterie entre les 7e et 8e brigades ! Les lanciers sur l’aile droite, les dragons à gauche ; les 4e et 10e batteries d’artillerie à cheval vers le centre et en réserve ! Je veux voir le 5e régiment d’infanterie en arrière pour jouer la réserve, un bataillon de chaque coté de la route, et fixe tout le monde !

 

En quelques minutes, les officiers se ruèrent dans les divisions et les brigades pour faire stopper la marche et répartir les troupes. Il fallut néanmoins près de quarante minutes pour que le corps tout entier ne se déploie entièrement, sans encore que l’on ne sache contre qui il fallait se battre. Les hommes, décontenancés, suivirent cependant les instructions avec soin, habitués aux imprévus de la guerre. Enfin, vers 16 heures, de nouveaux messagers vinrent faire leur rapport au général Thalkion, qui les attendait de pied ferme.

 

Avant même que les hommes n’aient pu saluer, le général coupa net.

 

- Allez droit au but messieurs, qu’est-ce qu’il se passe devant nous ?

- Une armée toute entière, mon général ! Elle vient du sud, et semble s’engager dans le col de Pont d’arc que nous devions emprunter !

- Mais qui diable peuvent-ils bien être, ces gus ? Et combien en avez-vous compté ?

- Ils portent une livrée rouge que nous n’avons pas reconnu. Nous avons estimé leur nombre à 10 000, mais tous ne sont pas sortis du col, impossible de savoir combien ils sont. De plus, ils nous ont pris en chasse dès que nous avons été repérés, et il y a fort à parier qu’ils vont venir reconnaître cette zone !

 

Le général, à ces mots, resta pensif un instant.

Le message du maréchal Zorn avait bel et bien annoncé une attaque, mais d’une troupe nettement inférieure, et sur Novi qui plus est. Avait-on à faire à une opération conjointe ? Dans tous les cas, qui que pouvaient être ces troupes, elles étaient vraisemblablement hostiles, et nombreuses.

 

- Dites-moi, à combien de temps de marche sont-ils ?

- Environ deux heures à pieds, mon général.

- Bien. Messieurs, la garde n’attend pas qu’on l’assiège. Défendre c’est subir, alors attaquons les !

Cria le général.

 

Alors, sur cet ordre, les tambours reprirent leurs roulements, et le corps se mit en marche, toujours déployé en ordre de bataille.

 

La marche, dans cette disposition, était évidemment plus lente, car elle obligeait les hommes à subir les reliefs du terrain. Mais il était beaucoup plus aisé pour les gardes de marcher au-devant de l’ennemi que de rester immobiles à attendre et appréhender une attaque.

L’initiative, dans la guerre, était la clef de bien des victoires.

 

Pendant cette progression lente vers le col, plusieurs groupes de hussards rallièrent le corps, ne laissant en avant que quelques patrouilles qui devaient informer le général des mouvements ennemis. Une heure passa ainsi, sans qu’on ait de nouvelles de ces sentinelles.

Enfin, surgissant du haut d’une colline, un groupe de hussards galopa en direction des lignes.

 

Le général Thalkion, voyant ces cavaliers, crût d’abord qu’il s’agissait d’une des patrouilles venant faire son rapport. Mais quelques secondes après leur apparition, un second groupe de cavaliers arriva à leur suite en haut du relief, et s’arrêta net.

 

- Cavalerie ennemie !

Crièrent les hussards, qui arrivèrent au galop vers l’état-major.

 

Sur la crète, au même instant, le petit groupe de cavaliers hostiles fut rejoint par une ligne toute entière, de près de cinq-cent hommes.

 

- on dirait des cuirassiers !

S’exclama un des officiers de l’état-major.

 

Le groupe, qui était issu de la VIIe légion des Titanides du légat Tiberius Ouranos ; jaugea pendant plusieurs minutes les troupes du 2e corps. Puis, devant la supériorité numérique évidente des gardes, les cavaliers ennemis se replièrent en hate.

 

- Est-ce qu’on lance les dragons derrière eux mon général ?

- Non, c’est trop risqué. Ils savent où nous trouver maintenant, alors ne les faisons pas attendre. Doublez le pas, en avant, marche !

Répondit Thalkion, en piquant son cheval d’un coup d’éperons.

 

Les soldats du corps, ayant tous vu les cavaliers sur la colline, se ragaillardirent à l’idée de se battre. Les tambours battirent le pas-redoublé, et les lignes se mirent en marche.

 

Du coté de l’ennemi, l’apparition impromptue d’un corps de la garde n’avait pas été préparée, et survenait dans le pire instant possible. L’armée d’invasion, qui avait débarqué au sud de Merel la veille, était à demi-engagée dans le col de Pont d’arc, et se trouvait menacée sur ses arrières par non moins de 15 000 gardes à en juger d’après les estimations de ses cavaliers.

Elle comptait, pour leur faire face, un nombre de soldats pourtant bien supérieur avec près de 20 000 hommes, mais dont la moitié était encore engouffrée dans les montagnes.

 

Les rangs de cette armée étaient composés de deux légions de la république des Titanides, la VII légion du légat Tiberius Ouranos et la IXe légion du légat Publimus. En outre, elle comptait également quelques 7 000 mercenaires du royaume de Jade et 2 500 conscrits du duché de Telnitz.

De ces troupes, elle disposait de 18 000 fantassins et 3 000 cavaliers. Enfin, le commandement de toute cette armée avait été confié à Tiberius, fils du sénateur Julius Ouranos.

 

Le légat Tiberius, qui avait aperçu les hussards de la garde, avait cru à cet instant n’avoir en face de lui que des gendarmes ou miliciens en patrouille, et avait lancé derrière eux une de ses cohortes de cavalerie. Il savait que sa présence dans le Sud Stendelien ne passerait pas inaperçue très longtemps et se moquait que l’alerte soit donnée, mais il ne se doutait pas qu’il allait tomber, par hasard, sur un adversaire de cette envergure.

 

Quand ses cavaliers lui revinrent, ils lui rapportèrent en détail leurs observations : Une armée toute entière, 15 000 hommes environs, marchait vers lui en ordre de bataille.

 

Le légat, comprenant l’urgence de la situation, ordonna que toute l’armée fasse demi-tour et se déploie à la sortie du col. A son grand désarroi, il avait envoyé la IX légion en avant-garde dans le passage, suivie des conscrits de Telnitz ; et n’allait pouvoir compter dans un premier temps que sur ses 5 000 hommes de la VIIe légion et sur les 7 000 mercenaires de Jade.

 

Sans perdre un instant, il ordonna à ces troupes de se déployer en ligne sans toutefois se permettre de bond en avant. Il savait que les gardes marchaient vers lui, aussi devait-il gagner du temps pour que ses alliés puissent sortir du défilé.

 

Il fallut encore une heure au général Thalkion et au 2e corps d’armée pour parvenir, finalement, en vue du col. Les gardes, toujours déployés en ligne, pouvaient enfin voir leurs adversaires.

Devant l’embouchure de Pont d’arc, formant plusieurs lignes de feu, les légionnaires et les mercenaires de l’armée d’invasion semblaient les attendre, alors que leurs renforts continuaient d’affluer des montagnes.

 

Le soleil, dans le ciel, approchait doucement de l’horizon, et le jour commençait à décroitre.

Profitant d’un plateau qui lui offrait une vue dégagée sur son futur champ de bataille, le général Thalkion fit arrêter ses troupes, et ordonna que l’on prépare le bivouac sur les hauteurs.

 

Il savait que, la nuit tombant, l’ennemi dont les rangs étaient encore incomplets ne se risquerait pas à attaquer une position surélevée. Il savait également qu’ayant marché toute la journée, ses hommes avaient besoin de se reposer avant de pouvoir engager un combat au plein de leurs capacités. En outre, un temps-mort d’une nuit pouvait être l’occasion d’envoyer des messagers quérir des renforts, ce dont il n’allait pas se priver. Il savait, entre autres, que le 4e corps d’armée devait le rejoindre plus à l’Est par-delà le col dans les prochains jours, et que le maréchal Pencroff devait également arriver par le nord avec une division de cavalerie.

 

Certes, le 4e corps était sans doute encore trop éloigné pour recevoir à temps un appel à l’aide et venir prêter main forte, mais il devait au moins être possible de détourner sa marche vers les montagnes de Merel et rétrograder sur lui si le combat devenait trop incertain. Il était également possible de tomber sur le maréchal Pencroff et ses 3 000 cavaliers, qui pourraient offrir un appui salutaire, le corps ne disposant que de 1 800 soldats à cheval.

 

Dans tous les cas, il fallait tenter le coup, aussi le général Thalkion fit-il copier son appel à plusieurs escouades de hussards, qu’il envoya au 4e corps du général Suljii, aux dragons du maréchal Pencroff, et à l’état-major général de la garde commandé par la générale Wendy.

 

Quand ce fut fait, le jour déclinant tout à fait, il donna ses ordres pour le lendemain, bien décidé à prendre l’initiative. 

 

 

 

CHAPITRE 10 – De roc et de feu

JOUR 5 (matin)

 

La nuit, sur la colline, fut courte. Les hommes ne se firent pas prier pour dormir, ce que beaucoup firent dès 22 heures. Le réveil, lui, sonna vers 4 heures du matin. Le général Thalkion, frileux à l’idée de perdre l’initiative, désirait en effet remettre ses troupes sur le pied de guerre avant le lever du jour de sorte à pouvoir mener ses assauts dès que possible et, dans le pire des cas, faire face à ses ennemis si ils emportaient la décision.

 

Quand le soleil découvrit, vers 6 heures, le futur terrain ou allaient se dérouler les combats, les deux camps se dévoilèrent l’un à l’autre, dans la formation avec laquelle ils allaient donner le coup d’envoi.

 

Le 2e corps, sur sa colline, avait adopté un déploiement hybride entre ordre mince et ordre profond typique de la Garde Volontaire. L’avant-garde était occupée par une myriade de voltigeurs déployés en désordre, au-devant de lignes de feu sur trois rangs composés de toutes les compagnies de fusiliers. Derrière ces longues lignes, dans les interstices entre certains bataillons, les compagnies de grenadiers avaient été regroupées en colonnes d’assaut, de sorte à pouvoir enfoncer des points faibles du dispositif adverse. La cavalerie avait été répartie sur les bords des ailes droite et gauche par groupes d’escadrons de lanciers et de dragons, couvrant ainsi les flancs et prévenant tout débordement, et l’artillerie, enfin, s’était déployée sur un promontoire à l’exception de deux batteries à cheval destinées à se rapprocher avec le reste du corps quand le combat serait engagé.

 

L’armée coalisée, dans la pleine qui devançait le col de Pont d’arc, avait fini pendant la nuit de se rassembler. Elle faisait à présent étalage de ses 20 000 hommes, répartis en plusieurs carrés pleins de 100 à 500 hommes. Ces carrés étaient disposés en un damier presque parfait, de sorte que les unités restent mobiles sans se gêner, et se laissent mutuellement la place de se déployer ou de rétrograder. Comme la garde, l’ennemi avait disposé sa cavalerie sur ses ailes pour se couvrir de tout débordement, aussi pouvait-on compter environ 2 000 cavaliers dans ses rangs. Ses canons, enfin, qui semblaient d’un calibre assez moyen et fort maniable, étaient disposés derrière les carrés vers les premiers reliefs des montagnes, tirant habilement parti du terrain.

 

De toute évidence, la formation des envahisseurs laissait à penser qu’ils allaient profiter de leur avantage numérique pour faire mouvement. Avec près de 5 000 hommes en plus, ce choix pouvait sembler logique, mais il fallait prendre en compte le fait que le corps d’armée du général Thalkion dominait le champ de bataille depuis un plateau, qu’il faudrait assaillir en montée.

Le général justement, comptait tirer parti de sa position, sans toutefois s’interdire de monter à l’offensive si la possibilité s’offrait à lui.

 

Pendant près d’une heure, ajustant les derniers préparatifs aux observations qu’ils firent l’un de l’autre, les deux camps se contentèrent de se jauger, sans combattre. Puis, comme pour s’annoncer qu’elles étaient prêtes toutes les deux, les deux armées se saluèrent au canon.

Le 2e corps d’armée, fort de sa hauteur, campa sur ses positions, mais avança ses batteries. Les envahisseurs, eux, se lancèrent en avant, IXe légion du sénateur Publimus en tête.

 

Cette légion, crée par la république des titanides peu de temps avant qu’ils ne se lancent dans l’invasion des terres du sud, était composée en majorité de jeunes soldats particulièrement vifs et avides d’aventure. Elle montra beaucoup d’entrain dans les premiers instants de son assaut, formée en colonnes carrées par centuries dans un motif parfaitement symétrique. Cette synchronisation presque mécanique des mouvements ne manquait pas de superbe et impressionna beaucoup dans les rangs des défenseurs, qui reconnurent devant eux un ennemi bien entrainé.

 

Malheureusement, cette belle parade de « carrés pleins » cachait un vice que les légats ne pouvaient prévoir. Dans ses guerres précédentes, l’armée des Titanides avait souvent combattu contre des peuplades à demi barbares, et ne s’était que rarement mesurée à des armées régulières. De fait, les retours d’expériences tactiques s’étaient surtout concentrés sur des moyens efficaces de contrer des attaques frontales d’infanterie et des assauts de cavalerie. De ces besoins étaient nés les formations en groupes compacts répartis en damier ; qui ne prenaient absolument pas en compte les risques liés à une artillerie nombreuse et bien maniée.

 

Or la garde volontaire, justement, avait toujours mis l’accent grave sur le développement de cette arme et avait toujours veillé à ce que ses unités en soient bien pourvu. Le 2e corps d’armée ne dérogeait pas à cette règle et alignait non moins de 20 canons et 8 obusiers répartis en quatre batteries, servies par quelques 353 artilleurs de métier.

Et ces artilleurs, à commencer par ceux des 4e et 11e batteries à pied, se régalaient déjà de voir venir vers eux ces grappes d’hommes inconscients, au pas de course.

 

Chevauchant derrière ses canons, la lorgnette vissée à l’œil, le capitaine Dumas en était d’ailleurs extatique. Quelques mètres encore, et il lui tardait de voir combien d’hommes il allait pouvoir emporter pour un seul boulet.

 

- C’est fou ! Dix pour le prix d’un ! Artilleurs, à vos pièces !

Cria-t-il, juste avant que l’ennemi ne rentre dans la zone létale à portée des canons.

 

Les légionnaires, toujours confiants dans leur formation, voyant que les gardes ne bougeaient pas, forcèrent le pas en leur direction. Ils firent, ce faisant, l’erreur terrible de rentrer dans la zone mortelle, et l’enfer se déchaina sur eux.

 

- Tir de barrage, feu !

Cria le capitaine.

 

Et les cinq canons, l’un après l’autre comme un roulement de caisse, firent feu sur les colonnes.

Ils furent suivis, immédiatement après, par les cinq canons de la batterie voisine, puis par les dix canons des deux batteries d’artillerie à cheval qui venaient de se déployer.

 

A peine furent ils arrivés en bas du plateau, les légionnaires reçurent sur eux une mousson de boulets de 8 et 12 livres qui emporta des rangées entières d’hommes, taillant dans les groupes de véritables allées et couvrant les survivants de chair et d’entrailles.

Plusieurs centuries, épargnées par ces premières salves, continuèrent leur mouvement. Mais aussitôt qu’elles se rapprochaient de la ligne, elles devenaient les cibles privilégiées du tir croisé, et étaient taillées en pièces.

 

Ce combat, inégal et terrible, dura moins de vingt minutes. Voyant son attaque inefficace et l’épuisement inutile de ses ressources humaines, le légat Publimus ordonna le repli de ses cohortes restantes, et la IXe légion regagna son point de départ.

Le légat, quand ses hommes eurent rejoint les lignes alliées, accourut auprès de Tiberius qui commandait l’armée.

 

- Les bougres sont bien accrochés là-haut, j’ai perdu des dizaines de soldats ! Impossible de s’approcher avec ces maudits canons.

- J’ai vu, effectivement. J’ai pu observer un peu mieux le reste de leurs lignes, il semble qu’il n’y ait pas grand-chose à tirer d’une attaque frontale…

- Qu’est-ce que tu proposes ?

- Fais rassembler nos canons. Nous allons concentrer leurs feux sur leur aile nord, qui se trouve sur la partie du plateau où la pente est la plus douce. Envoie les auxiliaires de ce côté, avec les mercenaires de Jade. Nous allons faire pression et les forcer à renforcer ce point, et si possible à y envoyer leur artillerie pour contrer la nôtre. Nous les déborderons ensuite par-là pendant que le reste de nos lignes prendra la colline d’assaut. Comme nous sommes plus nombreux, nous devrions pouvoir les forcer à étirer leurs lignes ou à se battre à deux ou trois contre un là où bon nous semblera.

Acheva Tiberius.

 

Sa stratégie était simple, mais efficace : tirer profit du surnombre pour contenir son adversaire, et emporter la décision sur son point le plus faible en employant son excédent de troupes.

Il avait, pour cela, une carte toute désignée à jouer : les mercenaires du royaume de Jade.

Ces soldats sans patrie, payés par la coalition, étaient en effet fiers de nombreuses campagnes victorieuses pour le compte de différentes bannières, et excellaient dans les combats au corps-à-corps où ils pouvaient exploiter pleinement leur masse.

 

Ainsi, après s’être un temps replié, l’armée de Tiberius refit mouvement, se déployant cette fois sur toute la longueur du champ de bataille, et envoyant vers le nord de nombreuses colonnes qui ne passèrent pas inaperçues des gardes volontaires.

Pensant son plan imparable et confiant dans son avantage numérique, le légat ne s’embarrassa pas à dissimuler ses intentions, si bien qu’on eut pu croire ses troupes à la parade.

 

Le général Thalkion, de son coté, n’eut pas grand mal à comprendre ce qu’il se tramait face à lui.

Il savait que l’ennemi allait appuyer sur son aile gauche avec le gros de sa masse, tout en occupant le terrain pour que la garde ne puisse pas dégarnir la moindre parcelle de sa ligne.

Les envahisseurs seraient alors libres de chercher des failles dans le dispositif, avant d’y envoyer leur réserve. Dépassé par le nombre, le 2e corps n’avait lui-même pu conserver sur ses arrières que peu de réserves, ce qui ne laissait pas à son général beaucoup de marge de manœuvre pour se tirer de cette situation. Cependant, nul ne sembla s’inquiéter au sein de l’état-major.

 

Il fallut quelques minutes, tout de même, pour que le général Thalkion ne se décide quant au moyen qu’il allait employer pour contrer ce coup. Quand enfin il sembla satisfait, il appela son premier aide-de-camp, à qui il dicta ses ordres.

 

- Notez, Benjamin. Prévenez le général Davout que sa division va subir d’ici peu une offensive en règle, soutenue par l’artillerie ennemie qui se déplace déjà. Je veux qu’il tienne sans bouger jusqu’à la fin des combats, ou jusqu’à contrordre. Qu’il s’attende à du corps-à-corps.

- C’est noté, mon général.

- Bien. Avertissez maintenant le général Soult, sur l’aile droite, que l’ennemi va sans doute essayer d’étirer sa ligne, voire de le déborder. Qu’il ne s’en inquiète pas et conserve sa position ; je fais déplacer les dragons vers son flanc. Qu’il me laisse également le 5e de ligne en réserve, il interviendra en cas de pépin.

- Bien pris, mon général.

- Parfait. Enfin, faites savoir au colonel Asirpa que ses chevau-légers doivent se tenir en arrière de la 3e division, sur la gauche, prêts à intervenir à la demande de Davout. Si la situation devient critique, ils tâcheront de charger le travers de l’ennemi pour faire baisser la pression.

Acheva Thalkion.

 

Son aide de camp, ses ordres pris, piqua son cheval et alla distribuer les missives aux officiers d’ordonnance. En quelques minutes, les cavaliers virent se poster aux endroits désignés, dragons à droite et chevau-légers à gauche. Les hussards, dont il ne restait que trois compagnies, restèrent en réserve derrière le centre.

 

Le général Thalkion savait que l’ennemi, en concentrant ses forces sur son aile, espérait qu’il dégarnirait sa ligne de ses batteries de canons. Il n’en fit rien, et conserva ses pièces à leur place. En revanche, le fait que ses adversaires déplacent leurs propres bouches-à-feu vers le nord lui avait donné une idée. Estimant qu’il lui restait au moins une demi-heure avant que l’ennemi n’achève son redéploiement, il se tourna vers le général Largentière, qui commandait l’artillerie du corps.

 

- Largentière, vous allez avoir de la besogne. Retirez les obusiers de toutes les batteries et formez-en une nouvelle sur nos arrières, tournée vers le nord. Nous utiliserons ces pièces en tir indirect pour anéantir leurs canons sans trop nous exposer.

 

En somme, le général Thalkion comptait tirer profit du tir elliptique des obusiers pour atteindre les canons des envahisseurs, sans que ceux-ci ne puissent répondre. Il n’y aurait besoin, pour y parvenir, qu’à ajuster les tirs en suivant les corrections d’un observateur, ce qui était un exercice commun pour les artilleurs de la garde.

 

Le général Largentières, ses ordres pris, s’en alla donc former cette nouvelle batterie, et le général Thalkion se rapprocha de l’aile gauche, devant laquelle l’ennemi semblait se concentrer. Il y observa, comme prévu, la concentration des canons ennemis sur un promontoire ; et constata au passage que leur infanterie était presque prête à avancer ; bien que toujours tenus en respect par la 11e batterie d’artillerie à pied de la garde, qui couvrait la 3e division.

 

Enfin, après de longues minutes d’attente durant lesquelles chaque camp acheva ses préparatifs, les troupes d’invasion se remirent en mouvement.

Concentrant cette fois leurs forces en un point précis et plus accessible, et surtout moins facilement couvert par l’artillerie ; ils progressèrent cette fois bien plus vite et plus aisément ; et se trouvèrent finalement à portée des voltigeurs de la garde, toujours déployés en tirailleurs.

 

Une fusillade, disparate encore, éclata sur l’aile droite ; comme un roulement de caisse dont la mesure était donnée par les canons. Les gardes durent les premiers à faire feu sur les assaillants en colonne, mais ces derniers répondirent finalement et se fixèrent ; et le contact fut complet.

 

Contrairement à ce que le légat Tiberius avait prévu, la garde n’avait pas rassemblé ses canons sur le point qu’il eut souhaité. Mais il ne trouva pas à s’en plaindre : deux seules batteries couvraient donc cette zone qu’il attaquait en masse, et qui n’en serait donc que plus facile à prendre. En outre, sa propre artillerie avait achevé de se positionner, et commença sa besogne.

 

Une première salve de boulets, finement ajustée, vint alors s’abattre non pas sur les voltigeurs, mais sur les lignes de fusiliers qui étaient rangées derrières.

Contrairement aux forces des titanides, les troupes de la garde étaient alignées en ordre mince, aussi les boulets qui faisaient mouche emportaient rarement plus de deux hommes ; mais le fait d’être pris pour cible par le canon sans pouvoir réagir n’en était pas moins une expérience terrible pour les soldats, qui ne restèrent stoïques que grâce à leur aguerrissement et à l’encadrement des plus jeunes recrues par les vétérans.

 

Un boulet, justement, vint s’abattre dans les rangs du 10e de ligne ; à quelques mètres d’un bleuet. Le jeune homme, qui ne devait pas avoir dix-sept ans encore, se retrouva couvert de sang, alors que le camarade qui était à ses côtés un instant plutôt venait d’être réduit à néant.

Une paire de brodequins, dont dépassaient deux tibias couverts de guêtres noires, restaient seules à la place du brave qui venait de tomber. Le jeune, abasourdi et effrayé, resta muet. Il fixait les deux jambes décharnées quand une main vint se poser sur son épaule, le tirant de sa prostration.

 

- Regarde pas ça, bleuet. Garde la tête droite ! Concentre-toi, on va bientôt avoir de la visite, il sera plus temps de compter les moutons !

Lui dit un caporal, qui tenait le rang près de lui, de l’autre côté.

 

- Caporal, pourquoi on reste là ? On devrait reculer !

Tenta le soldat.

 

- Si on recule, ils vont nous suivre, et alors c’est pas le dos tourné et le pantalon sur les chevilles qu’on pourra faire grand-chose, couillon. Tiens-bien ton crucifix à ressort, tu vas en avoir besoin quand les autres vont nous tomber dessus !

 

Plusieurs boulets, encore, virent frapper les rangs de la 3e division, emportant leur lot d’hommes. Mais alors que les lignes commencèrent à s’impatienter de subir cette canonnade, plusieurs coups tonnèrent derrière elles, là où le général Largentières avait installé ses obusiers.

 

Passant haut au-dessus des têtes, les boulets retombèrent en direction des canons ennemis, et vinrent « percuter la planète » à seulement quelques pas. Les observateurs rapportèrent immédiatement les corrections à effectuer, alors que les soldats de la garde soupirèrent de soulagement, à l’idée de ne plus subir longtemps l’artillerie ennemie.

 

Le général Davout, observant l’efficacité du tir de contre-batterie, nota également que l’infanterie adverse poursuivait sa marche vers sa position, repoussant peu-à-peu ses voltigeurs.

Puisque les canons, déjà, avaient commencé à se faire leur propre guerre, il allait à présent falloir se charger de résister à l’attaque dont le général Thalkion avait annoncé l’imminence.

 

Puisque l’ennemi était à portée, le Davout fit donc rappeler les voltigeurs, et laissa aux lignes de fusiliers le soin de faire barrage par leurs salves. Cette fois, la fusillade devint tempête, et plusieurs milliers de mousquets se déchargèrent en quelques minutes. Les légionnaires et mercenaires, armés de lourdes arquebuses, s’arrêtèrent et répondirent ; aussi les deux camps se fusillaient-ils complètement, sans plus bouger.

La bataille toute entière semblait se jouer sur l’aile gauche, et concentrait sur ce point l’attention de tous, ou presque.

 

Le légat Tiberius, après avoir lancé les hostilités sur ce point et y avoir concentré une partie de ses réserves, s’apprêta à jouer sa deuxième carte. En effet, puisque la garde était à présent fixée et en passe d’être débordée, elle ne prêtait plus attention à sa droite et n’avait, de toutes manières, pas assez de réserves pour y installer une résistance aussi opiniâtre qu’à gauche.

De son point de vue, la 4e division semblait étirée et affaiblie, et donnait l’impression de ne tenir que par son avantage de position. Tout semblait réuni pour permettre une percée de cette partie du front, qui briserait la formation du 2e corps et le mettrait à coup sûr en déroute.

 

Cette percée était, plus que l’assaut sur la gauche, le véritable plan de Tiberius : créer une diversion pour accaparer les réserves et l’attention de son adversaire, et frapper sur un point faible par une attaque éclaire de cavalerie.

Et de cavalerie, justement, l’armée d’invasion disposait d’une force de 3000 hommes en armure, semblables à des cuirassiers. Ces cavaliers étaient répartis en groupes de 500, dont trois furent réunis pour cette attaque de l’aile droite sous le commandement du tribun Alexendre, que le légat Tibérius tenait en haute estime pour être un de ses meilleurs cavaliers.

 

Cette phalange cuirassée, montée sur de grands destriers qui faisaient la fierté des légions titanides, se rangea en ordre de bataille par cohortes, c’est à dire en cinq lignes de cent hommes, suivies de cinq autres lignes, puis des cinq dernières.

 

Il allait falloir, pour attaquer les lignes de la garde, effectuer la charge en montée, sur une partie qui semblait fort abrupte. Il était hors de question de prendre le relief par le travers, au risque de se faire étriller sur le flanc par la mousquetade, aussi allait-il falloir monter la pente de front. Évidemment, le général Thalkion ayant gardé ses canons à leur place, il allait également falloir charger sous les boulets et la mitraille, qui seraient d’autant plus meurtriers si la charge était ralentie.

 

Le tribun Alexendre s’inquiéta de ces conditions, qui ne lui paraissaient pas idéales pour mener un assaut de front. Mais le légat Tiberius, le voyant hésiter, le rassura.

 

- Sois sans crainte, mon ami ; la traversée de la plaine et la montée seront un peu mouvementées, mais une fois arrivé sur leurs lignes il n’y aura qu’à passer ! Ils ne tiennent que sur deux ou trois rangées, et il n’y a presque rien derrière. Passe au travers et remonte leur dispositif vers le centre, j’enverrai une légion dans ton sillage !

 

Et le tribun, dubitatif mais confiant envers son chef, regagna l’avant de la colonne de cavaliers.

 

Du coté des gardes, cette préparation de cavalerie ne passa pas inaperçue, et alarma le général Soult. Il rappela immédiatement les voltigeurs déployés au-devant de ses lignes, et fit passer dans les compagnies de fusiliers l’ordre de se préparer à un contact sévère.

Les lignes par compagnies restèrent en place, attendant que la charge se lance, et tous retinrent leur souffle. Enfin, en bas de la colline, de l’autre côté de la plaine ; les cavaliers s’ébranlèrent.

 

Au pas d’abord, puis au trot, les légionnaires à cheval traversèrent la plaine herbeuse dans un ordre et une discipline parfaite. Plusieurs fois, ils firent sonner des sortes de cors de chasse, plus à destination de leurs adversaires que pour communiquer quelque ordre. Quand ils furent à sa portée, l’artillerie fit pleuvoir sur eux force salves de boulets de 8 et 12 livres, qui fauchèrent dans les rangs plusieurs hommes, sans jamais arrêter le groupe.

Puis, quand ils furent arrivés en bas de la côte, ils prirent le galop de charge.

 

Dans les dernières dizaines de mètres qui les séparaient des gardes, montant avec quelques difficultés la pente qui se dressait comme seul obstacle entre les deux camps, ils furent canonnés à mitraille cette fois, les canons de la garde faisant vomir sur eux de véritables nuages de billes d’acier, qui eurent sur cette fière colonne un impact plus visible que les boulets. Mais rien n’y fit, et la charge ne s’arrêtait pas. Le tribun Alexendre, chevauchant en tête, encourageait ses hommes alors même que la mitraille volait autour de lui, semblant l’éviter à dessin.

 

Mais alors qu’il ne restait plus que quelques instants avant le choc, un cri résonna dans les rangs de la garde. Un colonel, à cheval, appelait les compagnies de son régiment.

 

- Fusiliers ! Formez le carré ! Par compagnies !

 

Et alors que le cri était repris par les officiers, les rangs se mirent en mouvement à l’unisson, dans une synchronisation presque parfaite.

Mécaniquement, suivant une chorégraphie cent fois répétée, les fusiliers abandonnèrent leur formation en ligne pour un formation en carré creux, étendard au centre.

 

Les cavaliers ne comprirent pas, d’abord, à quoi ce soudain changement de disposition pouvait correspondre. Ils poursuivirent leur charge, étrangement simplifiée par le cessez-le-feu provoqué par le redéploiement des gardes.

Quand ils arrivèrent à portée des groupes, en revanche, l’affaire leur sembla soudainement plus compliquée.

 

Disposés ainsi, les fusiliers de la garde pouvaient à présent faire feu tour autour d’eux, d’avant en arrière et sous tous côtés. De plus, avec leurs baïonnette hérissées tel des lances, les chevaux se refusaient à approcher ces herses vivantes, et ne pouvaient que s’engouffrer entre les carrés pour y subir un véritable tir croisé.

 

Traverser la ligne était devenu inutile, puisque les gardes pouvaient à présent couvrir leurs arrières, et tous les cavaliers qui réussissaient à pénétrer les carrés n’arrivaient qu’à s’y faire percer le flanc. Bien sûr, ils arrivèrent à infliger de lourdes pertes aux fusiliers, mais ceux-ci ne se démontaient pas, et l’attaque perdit rapidement son élan.

Le tribun Alexendre, comprenant qu’il risquait de perdre trop d’hommes pour que ce mouvement soit décisif, et se refusant à rester ainsi pris au piège, passa entre deux carrés et ordonna à ses hommes de le suivre. Il espérait ainsi doubler la ligne à défaut de la défaire, et regrouper ses cavaliers derrière la garde pour, au moins, pouvoir prendre à partie ses canons et son état-major.

 

Mais quand les légionnaires, traversant la mousquetade à grand peine, se trouvèrent sur les arrières des fusiliers, ils furent immédiatement accueillis par le 5e régiment de dragons, qui les chargea sans ménagement.

Une véritable bataille de cavalerie secoua alors les arrières de la 4e division, opposant les quelques 600 dragons du colonel Lamarque au millier de cavaliers du tribun Alexendre qui avaient réussi à s’extirper des carrés d’infanterie.

 

Dans un fracas de bruits de sabres et de cris, de hennissements et de ruades ; les soldats des deux camps se livrèrent une lutte sans mercie. Les dragons, de par leur nombre moindre et l’absence de cuirasse pour les protéger, se trouvèrent vite en difficulté. Bien qu’accablés, ils avaient heureusement pour eux de se battre contre un ennemi éprouvé, et parvinrent à les tenir assez longtemps pour renforcés in-extremis par une compagnie de grenadiers qui se détacha de sa colonne pour prêter main forte.

 

Le général Thalkion, ayant assisté à toute la scène, ne manqua pas d’ailleurs d’y réagir. Piquant sa monture pour rejoindre ses compagnies de hussards qui étaient restées en réserve, il leur intima l’ordre de se porter sans attendre au secours de l’aile droite et chevaucha à leur suite.

Les houzards, galopant à la suite du général en chef, furent en quelques minutes sur le point de contact, et engagèrent le combat.

 

Les légionnaires, assaillis de toutes parts, comprirent que le coup était manqué. Alexendre, pris à partie par deux dragons, se tira lui-même de la mêlée avec la plus grande peine, et n’eut d’autre choix que de se lancer à brides abattues vers le sud, en faisant sonner le repli. Ses hommes encore valides le suivirent, certains à deux sur un cheval, plusieurs montures ayant péri sous leur cavalier.

Des 1 500 hommes qui avaient chargé moins de trente minutes auparavant, il ne restait pas plus de 500, réunis autour du tribun.

 

Les dragons de la garde, eux, accusaient environ 200 pertes ; et l’infanterie avait perdu près de 300 hommes sur les carrés. Une fois l’ennemi débandé, il fut un instant question de se lancer à la poursuite des survivants, mais le général Thalkion s’y refusa. Avec encore près de 2 000 cavaliers du côté de l’ennemi, il estimait imprudent de se départir de sa propre cavalerie, aussi campa-t-il sur ses positions. L’aile droite, pour l’instant, était sauve.

 

Du coté gauche du corps, la lutte par mousquetade interposée durait toujours. Les mercenaires de jade et les auxiliaires des titanides brulaient toutes leurs cartouches sur les lignes de la 3e division, qui rendait coup pour coup. Mais, inférieure en nombre, la brave aile gauche essuyait de lourdes pertes. Seule bonne nouvelle : les obusiers du général Largentières avaient, dans le laps de temps qu’avait duré la charge de cavalerie sur l’aile droite, pu oblitérer une bonne partie des canons ennemis. Le légat Tiberius, craignant de perdre le reste de ses pièces, les avaient fait replier.

 

L’artillerie de la garde avait donc le champ libre et besognait sérieusement l’ennemi, rendant la bataille un peu plus égale.

Plusieurs heures passèrent ainsi, sans que l’aile gauche ne cesse de combattre, et que l’aile droite ne puisse bouger. Vers quinze heure, enfin, Tiberius rappela ses troupes ; et les deux camps se retrouvèrent à la même position qu’au début des combats.

 

Il était impossible, alors, d’estimer les pertes subies par la 3e Division du général Davout. Quand le général Thalkion s’approcha de l’aile gauche pour constater les dégâts, il fut peiné de voir tant de morts dans ses rangs, et se demanda bien comment le 2e corps pourrait tenir sur cette position si l’ennemi venait à nouveau à l’assaut.

Une autre idée fixe occupait également son esprit, et le poussa à galoper jusqu’à la parcelle de front tenue par le brave 7e régiment de ligne. Parcourant les rangs à la recherche de l’état-major, il fut soulagé d’y retrouver son ami, le colonel Von Lusset.

 

- Et bien canaille, tu attends la fin de la fête pour venir me voir ? Tu sais qu’on a dansé la carmagnole pourtant, j’aurais aimé t’y voir !

Lui cria le colonel, épuisé mais soulagé.

 

- Va donc, carcasse, j’avais la trouille de te retrouver cané devant ton étendard ! Tu t’en sors à bon compte encore une fois !

Lui répondit le général.

 

- Parles pas de malheur, mon général, j’ai perdu mon second fauché par un boulet au début de la bagarre, et de mes douze compagnies il me manque déjà trois capitaines et une demi-douzaine de lieutenants !

 

Le 7e de ligne, en effet, s’était retrouvé au cœur de l’effort ennemi et avait à lui seul absorbé une grande partie du choc. Des 1 200 soldats qui composaient le régiment quelques heures plus tôt, 200 étaient morts et près de 400 étaient blessés à divers degrés.

Pourtant, bien qu’exsangue, la brave lignarde restait en place ; la bataille n’étant pas encore terminée.

 

Un aide-de-camp, justement, vint se porter auprès du général Thalkion.

 

- Mon général, le général Davout et le général Soult attendent vos ordres !

 

- Reformez la ligne, et faites porter les blessés vers nos arrières !

Répondit Thalkion.

 

Le plus urgent, pour le 2e corps, était de consolider sa formation. Il fallait désencombrer les lignes des blessés, et répartir les munitions entre les unités. Le jour n’était pas près de décroitre encore, et une dernière attaque de l’ennemi était possible.

 

De son coté, le légat Tiberius n’en menait pas plus large. De nombreux blessés affluaient vers ses propres rangs, et il avait perdu la majeure partie de son artillerie.

Le tribun Alexendre, ayant fini par rejoindre la légion, ne revenait qu’avec une fraction de ses cavaliers, et la garde occupait toujours son plateau.

 

En somme, les deux camps se retrouvèrent dans une inconfortable position : celle de devoir irrémédiablement se faire face, cloués sur place par leurs blessés et la présence immédiate de l’adversaire qui ne manquerait pas de profiter du moindre mouvement.

Le jour, finalement, déclina sans que d’autres combats n’aient lieu.

 

 

 

CHAPITRE 11 – Tolwhig assiégée

JOUR 5 (matin)

 

Au matin du cinquième jour, alors même que les hommes du 2e corps d’armée allaient engager leur combat devant le col de Pont d’Arc, les opérations avaient repris dans les environs de Tolwhig.

Suivant les ordres du général Dumesnil, la division du général Hoche avait quitté Saulême et s’était repliée sur la capitale de la préfecture. Elle y avait rallié la division du général Jourdan et la réserve de cavalerie du général Joubert, et se préparait à défendre les murailles de la ville.

 

L’ennemi, arrivé trop tard pour sauver la légion de Melios lors de la bataille de Saulême, avait tout de même pu capturer le bourg, dont les rues étaient encore tapissées de cadavres et de ruines sanglantes. En tout, avec la perte complète de la IIe légion auxiliaire, l’armée d’invasion de la légate Hephaistos accusait un total de 7 000 pertes, morts, blessés et disparus. Il lui restait, pour poursuivre sa marche, quelques 11 000 hommes dont 5 000 légionnaires et 6 000 alliés de la république, issus des royaumes de Jade et de Victoria.

 

Après avoir laissé les 2 000 miliciens de jade à Saulême pour y garder le carrefour, la légate s’était donc mise en marche avec 9 000 hommes pour assiéger Tolwhig, ou l’attendaient 6 900 gardes du corps de réserve. Ces derniers, enfin réunis et le moral gonflé par la nouvelle de leur victoire de la veille ; s’étaient barricadés dans la forte enceinte de la ville, vestige de son passé mouvementé.

Mieux encore : en préparant la défense de la préfecture, les hommes de la 2e demi-brigade avaient trouvé, dans une grange attenante à la ville, une vieille batterie de canons de 6 livres réformés par la garde et en attente d’être refondus. Au total, dix bouches-à-feu étaient donc venu s’ajouter aux défenses, mises en batteries par des vétérans de l’arme qui s’étaient présentés spontanément au général Dumesnil.

 

Ce dernier, justement, avait fait installer son état-major dans le château de la préfecture, depuis les tours duquel il toisait toute la région et pouvait voir efficacement en direction du sud. L’ennemi approchant et l’étau se resserrant autour de sa garnison, il avait fait évacuer tous les bourgs et villages environnant la ville, et avait fait abriter les civils dans son enceinte avec tout ce que l’armée avait pu emporter de vivres, de munitions et de bois. Les ennemis, d’après les éclaireurs, étaient attendus à l’horizon pour le début d’après-midi, aussi se hâta-ton d’en finir, pour clore au plus vite tous les accès.

 

Quand midi sonna, quelques heures encore avant le début des combats, le colonel Le meingre, chef d’état-major du général Dumesnil, se présenta au sommet de la tour, accompagné du sergent Swan.

 

Le général, qui avait fait mander le sous-officier, lui rendit son salut et le fit mettre au repos.

 

- Sergent, le général Hoche m’a fait tout à l’heure l’éloge de votre demi-brigade, en m’apprenant la nouvelle de son sacrifice. J’aimerais honorer comme il se doit votre bravoure, à vos camarades et à vous-même, mais la guerre ne m’en donne pas la liberté à l’instant. Je crains, malheureusement, en être réduit à vous demander une nouvelle fois votre concours, à vous qui en avez déjà tant fait.

Commença le général Dumesnil.

 

- Mon général, nous ne sommes plus que cent sur mille. Mais dussions nous n’être plus que dix, vous pourriez compter sur la 7e demi-brigade pour voler à la mort, si cela pouvait sauver la ville.

Répondit Swan.

 

- Sergent, je n’en attendais pas moins d’un homme de votre trempe. C’est de cela, justement, que je vais avoir le plus besoin. Dites-moi, que reste-il de votre unité ?

 

- Mon général, il ne reste de la 7e que 106 hommes, dont un sous-lieutenant qui a pris le commandement du groupe. Au reste, j’ai compté deux sergents-majors, cinq sergents dont moi, huit caporaux, et quatre-vingt-dix soldats. Quant à mon peloton, il me reste le caporal Thibaut et six hommes, dont trois sont blessés.

 

- Bien, vous avez donc quatre hommes. Ce sera suffisant. Sergent Swan, vous allez prendre ces quatre soldats, des montures que je vais vous fournir, et vous allez rattraper le 2e corps d’armée du général Thalkion. Vous lui donnerez, en main propre, le document que je vais vous fournir. Vous mourrez, sergent, plutôt que de laisser cette missive à des mains ennemis, est-ce clair ?

 

- Très clair, mon général. Dois-je savoir autre chose ?

 

- Oui. Vous n’êtes plus sergent. Je vous nomme sergent-major avec effet immédiat. Dites à votre caporal Thibaut qu’il est sergent à présent, et dites à vos six soudards qu’ils ont gagné leurs chevrons de caporaux. J’aimerais bien vous donner des galons, mais ce sera pour votre retour ! Allez-y !

Acheva le général, en tendant la lettre au sergent-major.

 

Et le sergent Swan, saluant le général, s’empara de la lettre et regagna ses hommes. Dix minutes plus tard, le groupe de cinq survivants quittait la préfecture par la porte nord, et se jetait sur la route par laquelle était parti le 2e corps quelques jours plus tôt.

 

De son coté, le général Dumesnil s’en était retourné à la grande carte d’état-major qui représentait la préfecture et ses environs. Le préfet Fouché, en charge de la région, arriva à cet instant pour prendre le pouls des mesures défensives. Saluant le général et son chef d’état-major, il s’approcha à son tour de la carte, avant de prendre la parole.

 

- Messieurs, la Manoeuvre a été laborieuse, mais je crois que tous les civils ont pu trouver refuge dans les murailles de la ville.

Déclara le préfet.

 

- Excellent. Nous veillerons à les mettre à l’abri dans les rues les plus éloignées du sud, les caves des bâtiments devraient pouvoir suffire pour protéger au moins les femmes et les enfants. D’après nos éclaireurs, nous devrions apercevoir les colonnes ennemies sur l’horizon d’ici peu. Nul besoin de s’inquiéter cependant : les murailles les tiendront à distance, et il y a fort à penser qu’ils tenteront de nous assiéger en attendant d’être renforcés.

Répondit le général Dumesnil.

 

- Mon général, d’après nos estimations nous devrions disposer de moins de quatre jours de vivres… C’est qu’il y a toute la population dans les murs, et il se passera bien cinq jours avant que le corps du général Thalkion soit prévenu et regagne notre position.

Déclara le colonel Le meingre.

 

- Nous passerons en force pour nous ravitailler si il le faut. En attendant, veillez à nourrir les civils en premier lieu, quitte à devoir rationner les soldats à un repas par jour. Notre devoir nous commande de veiller sur le peuple que le consul a mis sous notre garde, nous rougirions de honte si un seul de ces enfants venait à souffrir de la faim.

Reprit le général.

 

Une heure encore passa sur la ville, que les défenseurs passèrent à fortifier ce qui pouvait l’être et à scruter la moindre faille de leur dispositif. On retira les vitres des maisons situées le long des murailles, et on installa dans les étages de véritables redoutes garnies de fantassins. Puis, comme attendu, comme si rendez-vous leur avait été donné, la IVe légion de la sénatrice Hephaistos fut repérée au sud de la ville, en colonnes d’attaque.

 

Bientôt, les cohortes et leurs centuries furent à moins de cinq-cents mètres des murailles. Les canons, pourtant, reçurent ordre de ne pas faire feu pour ne pas gaspiller leurs précieux boulets. Quand l’adversaire se fut assez approché, la légate donna l’ordre à plusieurs cohortes de contourner la ville par l’est, le flanc Ouest de la cité débouchant sur une falaise. L’encerclement débuta alors, utilisant le rempart naturel qui avait jadis fait le salut de la région pour le changer en un mur de prison. Tolwhig, pour la quatrième fois de son histoire, était assiégée.

 

 

 

CHAPITRE 12 – Le cap de Bonaventure

JOUR 6 (matin)

 

Au lendemain de cette terrible cinquième journée de campagne, aux abords du passage de Pont d’arc, le 2e corps d’armée du général Thalkion faisait toujours face aux VIIe et IXe légions des légats Tibérius et Publimus. Dans la nuit, l’armée d’invasion avait, en vain tenté plusieurs incurions sur les abords du plateau sur lequel était juchée la garde, sans succès. Les deux camps s’étaient alors résolus à employer le temps mort offert par le couvert de la nuit pour soigner au mieux leurs blessés, laissant à leurs sentinelles respectives le soin de s’échanger quelques coups de feu par, disons, politesse militaire.

 

Lorsque le soleil, à l’horizon, vint prendre de leurs nouvelles, la situation n’avait donc pas évolué. Deux armées blessées se faisaient face, et leur force équivalente cumulée à leur égal niveau d’épuisement avait provoqué un status-quo de fait, ce qui n’était du goût d’aucun des deux camps.

 

Pour le légat Tibérius, cet état de siège en déploiement complet retardait considérablement la progression de ses colonnes ; et il était à craindre que ses troupes, piégées en ce lieu reculé, n’arrivent à temps pour rejoindre l’armée menée par son père à Birak’heim. En effet, Le pauvre brave ignorait encore que ladite armée, interceptée dès son débarquement, avait été rejetée à la mer avec perte et fracas et que son père lui-même avait péri dans le tumulte. Le temps le pressait donc de faire jonction avec ce qu’il croyait encore être l’armée principale, bien que cette dernière n’existât plus que dans ses espérances.

 

Pour le général Thalkion, gouverné par l’impérieuse nécessité de stopper cette armée ennemie avant qu’elle ne traverse un village pour le ravager et y commettre les plus immondes bassesses, il était également inconcevable de laisser à l’adversaire l’initiative du combat, au risque de voir ce dernier réaliser par quelque pirouette une manœuvre d’évasion lui permettant d’échapper à la destruction totale.

 

L’heure tournait donc, et les deux chefs de guerre, de part et d’autre du champ de bataille ; se hâtaient de réfléchir à leur prochain coup.

Ce fut, finalement, le général Thalkion qui se décida le premier.

 

Son corps d’armée, le 2e, souffrait à son grand désespoir d’une grande lacune : l’absence de régiment d’infanterie légère. Mais la Garde Volontaire aimant, par habitude, assurer ses arrières ; il n’en était pas tout à fait dépourvu de soldats légers.

Chaque régiment de ligne comptait en effet deux compagnies de voltigeurs, ce qui totalisait pour le corps tout entier près de 22 compagnies. En retirant les pertes, le général Thalkion disposait donc de quelques 2000 « pieds légers », aussi héla-t-il sans attendre son aide de camp.

 

- benjamin ! Où es-tu passé ?

- Ici mon général !

- Bien, notes donc : Je veux que l’on rassemble les voltigeurs de tous mes régiments en deux bataillons de 1000 hommes. Le premier, composé des compagnies les plus meurtries par les combats d’hier, restera en réserve assurer la couverture du corps. Le second, composé des compagnies les mieux portantes, se séparera tirailleurs et ira harceler l’aile droite de l’ennemi.

- C’est noté mon général !

- Je veux que ces voltigeurs soient suivis par le 5e régiment de dragons, qui les défendra contre la cavalerie adverse ! Et que l’on rassemble nos grenadiers en colonnes d’assaut sur nos arrières. Les fusiliers tiennent leurs positions coûte que coûte jusqu’au dernier homme, mais qu’elles se préparent à faire mouvement vers le nord !

- Bien pris, mon général !

 

Et l’aide de camp, ses ordres pris, s’éloigna à brides abattues.

 

En quelques dizaines de minutes, les colonnes de voltigeurs se formèrent au-devant du 2e corps d’armée. Le premier bataillon, le plus visible, partagea en effet ses dix compagnies sur le flanc de la colline, prêts à faire mouvement.

Le second, en revanche, se dirigea vers le sud, en ordre distendu.

 

Dans le camp des envahisseurs, comprenant que la garde avait pris l’initiative, on s’inquiéta beaucoup de ce mouvement d’allure incompréhensible. Le légat Publimus, qui commandait la IIVEe légion, porta immédiatement des renforts sur son aile, dégarnissant ses réserves. Mais alors que les voltigeurs du 2e bataillon, toujours dispersés, s’approchèrent ; les légionnaires comprirent la manœuvre. Quand ils voulurent faire feu, les voltigeurs se couchèrent dans l’herbe et se dissimulèrent derrière les replis du terrain. Par leur espacement, les salves d’arquebuses devenaient inefficaces contre eux, qui pouvaient prendre le temps d’ajuster leurs coups.

 

Quand le tribun Alexendre, appelé par Publimus, avança ses cavaliers pour aller déloger ces importuns, il fut stoppé net par la vision des dragons du 5e qui s’étaient avancés à leur tour.

Dès lors, que faire ? Les voltigeurs de la garde étaient trop loin pour être décimés efficacement, tiraient trop juste pour être ignorés, et leur couverture de cavalerie rendait impossible l’envoie des maigres réserves montées de la légion pour les déloger au risque de perdre ce précieux recourt.

 

Alerté par Publimus, le légat Tibérius se porta à son tours vers le sud de son dispositif.

Certes, le rythme auquel les voltigeurs abattaient ses hommes était faible ; mais ces derniers ne pouvaient riposter efficacement et il était à craindre qu’il se débandent ou qu’ils soient complètement décimés avant la fin de la journée.

Plusieurs options s’offraient à lui : Renforcer son aile sud ? Cela revenait à engager sa réserve trop tôt, ou dégarnir ses lignes. Resserrer son dispositif ? Les voltigeurs ne feraient qu’avancer, appuyés par les dragons. Non. En s’arrêtant ici pour combattre le 2e corps, les légionnaires avaient perdu trop de temps, et trop d’hommes. Il fallait vite se désengager de ce combat, et rejoindre l’armée de son père. Tibérius devait trouver une issue.

 

Le plus simple, dans sa situation tactique, était d’effectuer ce que les armées des Titanides appelaient alors un « changement d’axe ». Ses troupes, à présent, étaient disposées en lignes par centuries face à son adversaires. En faisant resserrer les rangs des cohortes pour former des phalanges, et en faisant faire à tous un quart de tour à droite ; il pouvait en un tour de main orienter tous ses hommes vers le nord d’un simple coup de corne, et ordonner la marche forcée.

 

Le temps que les gardes comprennent la manœuvre, et quand bien même ces derniers l’eussent anticipée, il leur faudrait tout de même plusieurs minutes pour combler la distance qui les séparait des légions, et ces dernières auraient gagné sur leurs poursuivants un écart précieux qu’il suffirait de prémunir contre la poursuite de cavalerie. De là, il n’y avait qu’à marcher sans s’arrêter jusqu’à trouver des renforts. L’affaire allait être épuisante, certes, mais c’était la carte de la sécurité.

 

Tibérius ordonna alors qu’on fasse préparer la manœuvre, et qu’on rassemble toute sa cavalerie lourde sur les arrières de l’armée pour assurer son arrière-garde.

 

Quand neuf heures sonnèrent, la corne sonna, et l’armée légionnaire se changea en un long serpent de cohortes qui faisaient face au Nord. Les gardes, voyant enfin l’ennemi se déplacer, saisirent l’occasion.

 

- En avant, marche ! La charge !

Cria le général Thalkion, qui n’attendait plus que cette tentative de repli pour enfin se lancer sur son adversaire.

 

Et les gardes, l’arme au bras, se ruèrent aux pieds de la colline. Les voltigeurs se regroupèrent encore et, sans regagner leurs régiments, se lancèrent immédiatement à la suite des légions.

Mais alors qu’ils semblaient être les plus proches de l’ennemi, ils furent stoppés dans leur progression par les cavaliers de la légion, qui manquèrent de les massacrer si les dragons ne les avaient pas tenus en respect.

 

Comme le général Thalkion l’avait prévu, l’ennemi s’était donc jeté à corps perdu hors du champ de bataille, et commençait déjà à prendre de l’avance. Désorganisées par le lancement chaotique de la poursuite, les gardes avaient perdu un peu de terrain, mais les hussards et les chevau-légers du 2e corps allaient justement combler cette distance, en attendant que les régiments de ligne ne se forment en colonnes plus soudées et plus véloces.

 

Le général savait en effet que, disposés en colonnes de marches, les fantassins de la garde volontaire étaient parmi les armées les plus rapides ; à plus forte raison lorsqu’ils étaient précédés et suivis par des tambours battant le pas cadencé.

Une véritable poursuite s’engagea alors entre les deux armées, la première cherchant à tout prix à regagner ses renforts, et la seconde se ruant à sa suite pour l’avaler tout rond.

 

Cependant, bien que ce mouvement de son adversaire ait été prévu, et même recherché par le général Thalkion ; il était à reconnaître que les légionnaires avaient réussi l’exploit de garder une formation presque parfaite dans ce brusque changement d’ordre, et qu’ils se repliaient à présent avec blessés et bagages beaucoup plus rapidement que l’on ne l’aurait espéré. De fait, les soldats du 2e corps eurent les plus grandes difficultés à combler l’espace qui s’était créé entre les deux masses d’hommes.

 

Plusieurs fois, la cavalerie légère de la garde chatouilla la cavalerie d’arrière-garde des légions ; mais elle fut chaque fous repoussée ; les légionnaires montés étant dotés de cuirasse et de montures plus robustes. Les hussards ne pouvaient alors que voleter autour des trainards comme autant de guêpes, sans faire de pertes significatives.

 

Plusieurs heures s’écoulèrent ainsi, durant lesquelles la garde parvint tout juste à ne plus perdre de terrain, sans toutefois combler les quelques trois kilomètres qui la séparait se sa cible. Bientôt, quinze heures sonnèrent, sans nouveau rebondissement, mais non sans fatigue.

 

Malgré ces déconvenues dans le déroulement de son plan, le général Thalkion ne semblait pourtant pas le moins du monde décontenancé. Le voyant passer à cheval, ses hommes s’étonnèrent même de le voir si serein, alors qu’il portait sa monture après de l’état-major régimentaire du 7e de ligne pour y trouver son ami, le colonel Von Lusset.

 

- Bien mon ami, nous voilà décoincés ! Tu devrais être content !

Commença le général.

 

- Décoincés c’est bien, moi je dirais qu’on est à la traine pourtant.

- Et voilà, encore à grogner. Je te croyais plus malin que ça, grande quille.

- Excuse-moi mon général, mais j’avoue ne pas saisir la manœuvre. Il y a quelques heures on les tenait, et maintenant on leur cavale derrière.

 

Voyant que son ami était pour le moins dubitatif, le général Thalkion sourit.

 

- Qu’ils cavalent si ils veulent, pourvu qu’ils aillent où ça nous arrange.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Dis moi Lusset, sais-tu où nous étions ce matin ?

- Vers le col de Pont d’arc, pas loin de Merel je crois, pourquoi ?

- Réfléchis bourrique, on marche à quel azimut ?

- Plein nord… oh.

 

Le colonel avait compris, le général sourit de plus belle. Droit devant eux, au-delà de la forêt, à quelques heures de marche se trouvaient les deux forteresses d’Otium.

 

Et, comme si le destin avait voulu brusquement dissiper les doutes des soldats, la réponse à leurs questions et la raison de la manœuvre osée du général Thalkion se révéla à eux.

Otium, c’était le point de passage obligé pour toute armée qui serait descendue du nord de Stendel pour gagner Fort Herobrine. Et c’était justement là-bas qu’une des lettres urgentes du GQG était venue trouver, en pleine manœuvre d’entrainement, le maréchal Pencroff.

 

Devant le 2e corps d’armée, les hussards qui ouvraient la voie s’écrièrent alors :

 

- Ils s’arrêtent, l’ennemi s’arrête en rase campagne !

 

Saisissant sa lorgnette, le général Thalkion se jeta en haut d’un promontoire, et chercha du regard la tête de la colonne adverse.

Les deux légions et leurs auxiliaires étaient bien arrêtées, et non contentes de cela elles semblèrent même se déployer de curieuse façon.

Thalkion chercha un instant la raison de cette confusion, et la réponse ne tarda pas à s’offrir à lui exactement là où il s’attendait à la trouver :

Plein nord, à la lisière du bois, de l’autre côté de l’ennemi par rapport à lui, une division de cavalerie toute entière s’était dressée devant les légions.

 

Cette division, c’était la division de dragons du corps de cavalerie appuyée par la 1ère brigade de hussards et par le régiment de Pencroff-cavalerie. Et à la tête de ce dernier, sans aucun doute, le maréchal Pencroff lui-même.

 

Le général Davout, qui était venu chercher des instructions auprès de son chef, se porta à hauteur du général Thalkion. Constatant lui aussi l’arrivée impromptue de renforts en ces lieux reculés, il se tourna avec stupéfaction vers le commandant du 2e corps.

 

- Mon général, comment avez-vous fait ? Nous n’avons eu aucun contact avec l’état-major général depuis notre départ, et le maréchal Pencroff était en manœuvres au Refuge de Pan !

- C’est simple mon ami ; par pigeon messager, le refuge de Pan est à peine plus loin que nous l’étions du GQG. Le corps du maréchal Pencroff n’étant composé de cavalerie, il se déplace plus rapidement qu’un groupe de fantassins, mais doit passer par des points précis, comme Otium, pour nourrir ses montures. En prenant en compte le temps nécessaire pour rallier fort herobrine depuis le Nord Stendelien et la trajectoire la plus plausible, j’étais presque certain de le trouver ici. En outre, connaissant le maréchal, il aura sans doute fait le même raisonnement que moi et ce sera inquiété de ne pas nous trouver hier soir là où naturellement nos routes se seraient croisées ; je suis fort aise de voir qu’il est resté nous attendre.

 

Le général Davout acquiesça. Le sourire lui était revenu, de même qu’au général Soult et au colonel Lusset. L’ennemi était pris au piège entre un corps d’armée et une division de cavalerie, et entravé à l’est par les eaux du lac de Thelos. Exposée sur deux fronts, il était impossible que l’armée ennemie se déploie, aussi ne lui restait-il que la fuite vers l’ouest.

 

Dans les rangs des légionnaires, un vent de panique avait soufflé sur l’échine de chaque homme à la vue de ce nouvel adversaire. La discipline et l’aguerrissement avaient, seuls, évité que la panique ne s’empare des soldats.

Le légat Tibérius, de son coté, comprit rapidement qu’il lui était désormais impossible de gagner les plaines de Birak’heim. Pour rejoindre les terres de l’est, il n’y avait en effet que deux points de passage possibles : le col de Pont d’arc ou la route impériale d’Otium. De là, il ne lui restait plus qu’à poursuivre sa marche forcée vers l’ouest, sous un harcèlement constant de cavaliers.

Il n’y avait pour les légionnaires plus qu’une dernière chance de salut : rejoindre la légate Hephaistos et ses légions à Tolwhig, et le plus vite possible.

 

Le maréchal Pencroff enfin, qui apercevait pour la première fois l’ennemi de cette campagne et ignorait encore tout des débarquements de Tolwhig et de Birak’heim, n’eut pas à se donner le moindre mal quant au choix de la stratégie à aborder. En ce qui le concernait, il n’avait en tête que d’appliquer la vieille doctrine si chère aux cavaliers : charger sans retenue tout ce qui avait le malheur de passer à portée.

 

Alors, accompagné de non moins de cinq régiments de dragons et deux régiments de hussards, soit un total de 4 480 cavaliers ; il se lança à la poursuite des légionnaires.

Et sur la route du sud qui menait à Tolwhig, en cette fin du sixième jour, les deux armées reprirent leur course.

 

 

 

CHAPITRE 13 – Dans les eaux du sud

JOUR 7 (matin)

 

Au matin du septième jour, à Tolwhig, la IVe légion de la légate Hephaistos poursuivait les préparatifs de son siège devant les murailles de la ville.

Comprenant que les gardes qui s’y étaient retranchés ne tenteraient probablement pas de sortie, la légate avait pris le parti de ne pas risquer ses propres forces dans des assauts risqués contre les fortifications, d’autant plus que ses éclaireurs l’avaient avertie de la présence de canons sur les créneaux de la cité.

 

Ainsi, ayant profité du couvert de la nuit pour faire creuser tranchées et redoutes à ses légionnaires, il ne lui restait à présent qu’à prendre les dispositions nécessaires à un séjour prolongé qui, l’espérait-elle, lui permettrait d’affamer et de contraindre à la capitulation la garnison de ses adversaires. Ses troupes étant déployées, la légate se pencha sur les deux aspects suivants dans le déroulement de son plan :

 

Le premier, et le plus important sans doute, était de subvenir aux besoins en vivres de son armée. Le naufrage de nombreux navires dans la baie de Terre-morne avait entrainé la perte d’une quantité non négligeable de réserves, et ce qu’il en restait n’avait pas encore été déchargé des cales des navires qui mouillaient à présent sur les côtes du sud.

Fort heureusement, la campagne de Tolwhig dont ils s’étaient rendus maitres était connue pour sa singulière abondances, et il n’allait pas être difficile, en fouillant les fermes et les greniers des bourgs environnants, de reconstituer des stocks de blé, de viande et de légumes en tous genres.

 

Le second point était tout simplement de trouver le moyen d’accélérer, voire de contraindre, la reddition prévue de la garnison de Tolwhig. Bien qu’elle n’ait pas assisté aux combats qui avaient opposé les troupes de la Garde à la légion auxiliaire de Melios, les quelques très rares survivants l’avaient avertie de l’opiniâtreté farouche des soldats de la garde. Il était donc à craindre que, sans autre pression que le siège lui-même, la garnison ne tienne bon plusieurs jours encore, au risque de la voir être renforcée. Il fallait donc trouver un moyen de les atteindre, même faiblement, mais de sorte à faire peser sur eux une menace permanente.

 

Pour cela, la légate n’eut pas non plus à beaucoup chercher. Comme pour les vivres, la solution à sa problématique résidait dans les cales de ses navires : des canons.

Des centaines de canons, de calibres variant de douze à trente livres, certes dépourvus de châssis propices au transports terrestre, mais qui pourraient toujours être mis en batterie sur des affûts de fortune après avoir été transportés en charrette.

Armée de pièces d’artillerie, la légion pourrait bombarder la ville de boulets de fort calibre, et il y avait bon espoir qu’un matraquage soutenu et méthodique amenuise considérablement les capacités de résistance des assiégés.

 

L’affaire était donc décidée, et dès midi la légate envoya sur la côte une cohorte toute entière de soldats du royaume de Victoria pour récupérer sur les navires une poignée de canons ; avec pour mission de revenir le lendemain au plus tard.

Il devait alors rester, sur les rives du sud, près de vingt galions du royaume de Victoria rangés au mouillage à quelques encablures des terres. Chacun de ces vaisseaux comptait à son bord quarante canons et une réserve conséquente de boulets et de poudre, bien que ces dernières aient déjà été fort entamées par les combats des jours précédents.

 

Il n’était d’ailleurs pas question de démunir complètement un navire de ses réserves, car bien que leur formation de mouillage en ligne leur ait jusqu’alors permis de tenir à distance les frégates de l’amiral Lavalette, il était toujours à craindre que les galions ne soient de nouveau attaqués. Cette raison avait d’ailleurs poussé à ne pas faire débarquer leurs équipages et à laisser le gros des vivres à bord des navires, dans l’éventualité d’un départ précipité de la zone.

 

 Ces mesures préventives, pensées pour pouvoir rapidement rembarquer l’armée d’invasion et quitter les eaux territoriales stendeliennes, allaient pourtant se retourner contre eux.

Car si les légionnaires savaient que les quelques frégates de la flottille de Terre-Morne croisaient encore dans les eaux environnantes, ils ignoraient en revanche qu’une flotte bien plus nombreuse et autrement plus dangereuse arrivait droit sur eux.

 

L’amiral wariow, à bord de son galion le « For Honor », arrivait par la mer du sud accompagné de non moins de quatre autres galions, dix vaisseaux de lignes, et vingt frégates.

Arrivé trop tard pour intercepter la flotte ennemie en fuite à Birak’heim, il avait été envoyé par le maréchal Zorn pour patrouiller le long des côtes du sud Stendelien, afin surprendre de possibles autres tentatives de débarquement. Après deux jours en mer, il avait dépassé Arcahelm, et s’apprêtait alors à faire jonction avec la flottille du contre-amiral Lavalette.

 

Quel ne fut pas le soulagement de ce dernier quand, croisant toujours dans la baie à la recherche d’une opportunité d’attaque, il fut averti par sa vigie de l’arrivée de la flotte amirale.

Il fallut alors encore une heure de navigation pour que les navires des deux hommes se rejoignent, entourés de leurs flottes respectives.

Quand le vaisseau de Lavalette fut à portée de l’amiral Wariow, les deux hommes communiquèrent alors par signes et drapeaux, comme il en est l’usage dans la marine.

Le contre-amiral avisa son supérieur des combats des jours précédents, de l’état des pertes, du débarquement qui avait été opéré sur les terres de Tolwhig par l’ennemi ainsi que de la tentative ratée sur la citadelle de Terre-Morne.

Après ce compte-rendu aussi exhaustif qu’alarmant, le vaisseau amiral resta un instant muet. Pour l’amiral en chef qui ignorait encore tout des combats qui avaient eu lieu dans la région, une évidence s’imposa tout de même : Si l’ennemi avait pu faire débarquer des troupes et avait gardé à disposition sa flotte comme moyen de repli, la première nécessité était de le priver de cette porte de sortie, pour le piéger sur le continent.

Sa réponse à son subordonné fut donc simple :

« Devons détruire leur flotte, croisez à ma droite ».

 

Et l’armada, ainsi réunie, croisa plein nord en direction de la baie.

Sur les murs de Terre-Morne, depuis lesquels on avait suivi avec attention le regroupement des deux flottes, les gardes étaient extatiques, euphoriques. Le général Vauthier lui-même, pourtant peu réputé pour son tempérament chaleureux, se laissa aller à lever son grand chapeau en l’air, en salut lointain à cette escadre libératrice.

Voyant leur chef, de nature si austère, se laisser aller à pareille marque de joie ; tous comprirent que la situation tournait à leur avantage.

 

Bientôt, les vigies des galions du royaume de victoria repérèrent à leur tour l’arrivée de l’amiral Wariow et de sa flotte renforcée.  A la différence des gardes, et pour d’évidentes raisons, cette arrivée impromptue d’un nouvel adversaire entraina bien moins de hourras, et bien plus de cris d’alarme. Le vent du sud gonflait les voiles des navires de la garde, et les légionnaires estimèrent qu’ils avaient moins d’une heure devant eux, avant que le contact ne se fasse.

 

Si cela peut paraître long au néophyte, cette heure semblait pourtant bien courte pour mouvoir les galions dans quelque autre position que la formation en ligne qu’ils avaient adopté pour se défendre. Si cela avait l’avantage d’être une position défensive fort viable, le fait de ne pas en changer aller toutefois laisser à l’amiral wariow la possibilité d’adapter son angle d’attaque, et cela ne manqua pas. Au loin, sur leur approche, les navires de l’amiral effectuèrent un brusque changement de cap vers le Nord-Ouest, avant de virer de bord plein-Est.

 

De cette manière, disposés en une véritable file-indienne, les navires de la garde allaient s’approcher de leurs ennemis par leurs arrières, à un angle qui ne permettrait à ces derniers de tirer qu’au dernier moment. Mais alors que, dans les dernières minutes de leur approche, les premiers vaisseaux de l’amiral Wariow se présentaient par le tribord-arrière des premiers galions de victoria, ils virèrent brutalement vers le sud, tournant sur les arrières de l’ennemi avant de passer sur ses flancs. Cela eut une conséquence fort simple : Les navires ennemis se trouvant à présent non plus devant mais sur le flanc bâbord des navires de la garde ; ces derniers pouvaient déverser sur eux leurs feux d’enfer avant de retourner à la fin de la file, sans que leurs adversaires ne puissent répliquer.

 

C’était, à n’en pas douter, le pire scenario possible pour les légionnaires et les marins de l’amiral Lowe, le commandant de la flotte de Victoria et des Titanides. Très rapidement, le galion qui se trouvait à l’arrière de sa ligne fut criblé de boulets et sauta, emporté par sa réserve de poudre.

 

Ayant prévu cette éventualité, l’amiral Lowe avait ordonné que les gabiers de tous les navires se tiennent prêts à baisser les voiles de leur vaisseau, aussi donna-t-i le signal de rompre la ligne, et de croiser plein sud. Il espérait ainsi forcer le passage, quitte à éperonner sur sa route les frégates de la garde qui, déjà, se glissaient devant ses vaisseaux. Mais cette manœuvre, débutée trop tard et effectuée trop l’entement, n’eut pas l’effet escompté.

La ligne rompue, disposés de manière disparates, les galions de victoria offrirent à la flotte de l’amiral Wariow des cibles honteusement exposées. De plus, si les plus gros vaisseaux de ligne de la garde se contentaient de rester sur le flanc de l’ennemi, ses plus petites frégates purent facilement se faufiler entre les mastodontes, dont la plupart des canons se trouvaient trop haut pour les atteindre.

 

Une bataille navale d’anthologie débuta alors, et se changea vite en étrillage en règle. Dans toute la baie, les navires de la Garde et les galions de l’envahisseur s’affrontèrent dans un chassé-croisé mortel, dans le fracas infernal des bordées de canons et des mâts brisés. L’amiral Wariow, à bord du vaisseau-mère de la flotte, manœuvrait d’un galion à l’autre, prenant toujours grand soin de rester hors de portée des feux ennemis. Ses trois ponts superposés de bouches-à-feu crachèrent tant de boulets que le navire, délesté de ces masses, gagnait en vitesse à vue d’œil. Autour des plus gros vaisseaux, les frégates de la garde, agiles et rapides, passaient sous le gros des tirs des galions et orientaient tous leurs projectiles à l’emplacement supposé des soutes à munitions de leurs adversaires.

 

Plusieurs fois, l’océan sembla se soulever sous l’un ou l’autre des bâtiments ennemis, qui sombrait immédiatement, pulvérisé ou brisé en deux comme une allumette.

La garde, bien qu’elle eût un avantage net, souffrit tout de même de la perte de plusieurs navires de moyen tonnage, et plusieurs de ses frégates durent quitter le combat à cause de graves avaries. Mais si les marins de la garde avaient le luxe de pouvoir prendre de la distance, ce n’était pas le cas des galions de l’adversaire qui, bien trop lourds et peu maniables, luttaient pour leur survie tels des bœufs poursuivis par un essaim de frelons.

 

Trois heures durant, se déplaçant au gré du vent et des courants, la bataille se poursuivit. La canonnade, continue et enragée, fut entendue jusque loin dans les terres ou, marchant encore vers la côte, elle alerta les légionnaires venus chercher les canons.

Dans la citadelle de Terre-Morne, du haut des remparts de l’imprenable forteresse, les gendarmes et les soldats de la garde suivaient avec fascination et angoisse le balai des navires sur les flots.

 

La mer, rapidement, fut couverte de débris de coque, de mâts, de voiles, de barils et de corps sans vie. De large nappes rouges entouraient dans les flots les corps les plus meurtris, alors que les épaves éventrées libéraient, en sombrant, les dépouilles intactes des noyés. Le sang, enfin, attira sur les survivants de nombreux requins, qui firent des malheureux les proies de leur chasse.

Abandonnés, épuisés, des dizaines de marins ennemis hurlaient à plein poumons dans les eaux à qui pourrait les sauver de la noyade, alors même que la marine de la garde achevait près d’eux la mise à mort de leur flotte toute entière.

 

Devant tant de détresse et de misère, le contre-amiral Lavalette, en bon marin, obtint de son supérieur l’autorisation de se détourner des combats avec deux navires pour porter assistance aux naufragés ennemis ; avec pour consigne toutefois de sabre tous ceux qui tenteraient de semer la discorde sur les vaisseaux de leurs sauveurs.

 

Bientôt, quand à l’horizon le soleil vint à décliner, la lutte cessa. Des galions de l’envahisseur, il ne restait rien, rien de plus que des restes pulvérisés et des cadavres. La Garde, elle, accusa la perte d’un vaisseau de ligne, de quatre frégate et de deux goélettes.

Par bonté d’âme cependant, et par le devoir du marin ci-devant le militaire, les hommes de Lavalette avaient tout de même repêché quelques cinq-cents ennemis en perdition, sauvés des eaux et faits prisonniers. Ces derniers, épuisés, souvent blessés et perdus ; ne firent pas la moindre tentative de mutinerie ou d’évasion, n’ayant sur ce continent plus nulle part où aller.

 

Sur la côte, les légionnaires que la légate Hephaistos avait envoyés pour récupérer les canons nécessaires à la rupture du siège, étaient estomaqués. Alertés avant leur arrivée par la canonnade lointaine, ils avaient trouvé leurs précieux galions au large, toutes voiles dehors, partis pour les abandonner sur ce point du monde si lointain de leur pays et qui, finalement ; avaient été tous coulés. Le choc était rude, et la nouvelle terrible :

À présent, ce n’étaient plus les gardes de Tolwhig qui étaient enfermés par eux, c’était eux qui étaient enfermés sur le territoire des gardes.

 

Les légionnaires firent alors demi-tour, peu désireux de rester si éloignés de leur légion maintenant qu’ils étaient coupés de leur retraite ; et accoururent porter la nouvelle à leur commandante.

 

Quand enfin, après une longue marche, ils virent rendre compte à la légate ; celle-ci comprit à l’absence de canons qu’il s’était passé quelque malheur avec la flotte de l’amiral Lowe. Mais la nouvelle de l’anéantissement de l’armada était pire encore que ce à quoi elle s’était attendue, car la destruction des galions ne laissait même pas l’espoir que ces derniers ne reviennent plus tard, quand la situation serait revenue à leur avantage.

 

Après avoir congédié ses hommes, La sénatrice Hephaistos retourna dans sa grande tente de commandement, où le Primus Tribunus Caron, son premier adjoint, l’attendait.

La légate, saisissant une bouteille de vin, s’affala sur lit de campagne.

 

- Dans quel genre de situation sommes-nous ?

Demanda le tribun

 

- La pire. Cet imbécile de Lowe a perdu tous les galions. Et ce corniaud doit nourrir les poissons à l’heure qu’il est.

Répondit la légate.

 

Le tribun, un instant décontenancé, se leva.

 

- Que devons-nous faire, sénatrice ?

- Pour l’instant, temporiser. Si nous tournons les talons, nous pouvons être certains que les maniaques qui ont massacré la légion de Melios nous poursuivront ; et ils jouent à domicile alors que nous… nous ne devons surtout pas donner l’impression d’être en mauvaise posture.

- Et après ça, doit-on essayer de contacter des renforts ?

 

La légate, quittant son lit, s’approcha de la carte qui trônait au centre de la tente.

 

- Aux dernières nouvelles, les troupes du sénateur Julius Ouranos ont débarqué en même temps que nous à quelques huit jours de marche à l’est de notre position. Les troupes de son fils, Tiberius, ont débarquées à seulement deux jours de marche d’ici, toujours à l’est. Si nous envoyons des messagers, nous pouvons espérer être secourus… Dans l’hypothèse où ils n’ont pas eux-mêmes été pris. Nous ne perdons pas grand-chose à essayer, au moins… En attendant, maintenons le siège.

Acheva-t-elle.

 

Ses ordres pris, le tribun Caron salua, et quitta la pièce. Il envoya, ce soir-là, quatre messagers à destination de Merel, ignorant alors qu’à ce moment de la campagne, il n’y restait plus personne.

 

 

CHAPITRE 13 – Tolwhig libérée

JOUR 8 (midi)

 

Deux nuits et un jour s’étaient écoulées depuis que les troupes du légat Tibérius, poursuivies par le général Thalkion et le 2e corps d’armée, avaient croisé la route du maréchal Pencroff et de sa division de cavalerie. Plus de trente heures étaient passées sans que les légionnaires ne puissent cesser leur fuite en avant, en direction de Tolwhig, dans l’espoir d’y trouver des renforts.

 

Derrière eux, maintenant l’allure, les gardes se permettaient une marche plus tempérée. Ils ne craignaient en effet pas de perdre leur proie, car ils connaissaient déjà sa destination, et pour cause : au cours de la nuit précédente, alors que l’armée traversait les plaines, elle avait croisé la route du sergent-major Swan et de ses trois grenadiers avec le message du général Dumesnil.

 

Après avoir été conduits au maréchal Pencroff, les braves lui avaient donc remis la précieuse missive confiée la veille par leur chef et qui disait simplement :

 

« Sommes assiégés dans la préfecture de Tolwhig avec 7000 hommes et la population de la région, disposons de quatre jours de vivres, tiendrons jusqu’au dernier homme mais craignons pour la vie des civils. Avons compté près de 10 000 soldats ennemis, peu d’artillerie, peu de cavalerie. Dumesnil. »

 

Dès lors, la présence d’envahisseurs à Tolwhig étant connue et coïncidant avec l’azimut dans lequel marchaient les ennemis en fuite, il avait semblé évident que ces derniers cherchaient désespérément à rallier cette autre branche de leur armée, pour se retourner contre leurs poursuivants.

 

Le maréchal Pencroff et le général Thalkion, connaissant à présent les ambitions de leurs adversaires, firent alors un simple calcul.

 

L’armée que poursuivait le général Thalkion comptait, dans les grandes lignes, 15 à 20 000 hommes. Ajoutés aux 10 000 hommes qui assiégeaient Tolwhig, cela donnait quelques 25 à 30 000 combattants ennemis, dont la cavalerie semblait peu nombreuse dans un cas comme dans l’autre et dont l’artillerie semblait également déficitaire.

 

De leur côté, les troupes de la Garde comptaient le 2e corps d’armée du général Thalkion avec 15 000 hommes, le corps de réserve avec 7 000 hommes, et la division de cavalerie du maréchal Pencroff avec ses 4500 hommes ; soit un total de quelques 26 500 gardes. En outre, ils disposaient de non moins de 7 batteries de canons pour un total de 48 pièces et d’une très nombreuse cavalerie.

 

En d’autres termes, la situation était plus que favorables aux gardes, qui allaient affronter un ennemi qui lui était égal en nombre mais qui ne disposait presque pas de canons et d’une cavalerie très limitée. Cependant, cet apparent avantage ne devait pas les aveugler, et les deux hommes savaient qu’ils avaient affaire à un ennemi rigoureux, brave et surtout désespéré.

 

Ils troquèrent donc volontiers un peu de terrain à l’ennemi dans la course à Tolwhig contre du temps de repos pour leurs hommes, de sorte à être certains de combattre dans les meilleures conditions, profitant tant que possible de leur inertie pour renverser le siège de la grande Tolwhig et culbuter les troupes ennemies qui allaient s’y agglutiner.

 

Du côté du légat Tibérius et de son armée, un semblant d’espoir semblait renaitre. L’écart avec leurs poursuivants semblait s’agrandir d’heure en heure, et malgré l’épuisement les troupes avaient réussi à conserver une certaine cohésion, tant et si bien qu’à l’approche de Tolwhig le moral remonta en flèche. Quand les légionnaires, le jour s’étant levé depuis plusieurs heures déjà, approchèrent de la ville ; les gardes à leur suite n’étaient plus visibles qu’à l’horizon et les bannières de la IVe légion leurs tendaient les bras.

 

La légate Hephaistos, elle-même, n’en croyait pas ses yeux. Coupée de sa retraite la veille, elle se voyait soudainement renforcée de 20 000 hommes, le double de ses propres effectifs. Chevauchant au-devant de ses troupes, le légat Tibérius fut guidé vers la tente de commandement de la IVe légion, ou l’attendait la sénatrice.

 

Cette dernière, trop prudente encore pour se laisser aller à l’euphorie, se rua vers son camarade.

 

- Tiberius ? Que diable faites-vous ici ? Je vous croyais à Merel, en route vers le nord pour y faire jonction avec votre père !

L’interrogea-t-elle sur le champ.

 

Le légat Tibérius, plus enjoué, démonta de cheval avant de répondre.

 

- Cornelia, moi aussi je suis content de vous voir, mais inutile de nous sauter dessus !

 

Ce trait d’humour, visiblement, ne changea rien à la disposition de la sénatrice. Et l’apparente légèreté de son camarade ne la rassurait en rien.

 

- Cesse de faire le pitre et réponds-moi, tu devrais être à quatre jours de marche d’ici, ton père doit déjà être arrivé au point de rendez-vous !

- Ne t’en fais pas, Cornelia. Ce vieux bougre n’a pas moins de cinq légions avec lui, ce n’est pas la mienne et celle de Publimus qui vont changer grand-chose. Je te parie que d’ici à ce que nous le rejoignons, il aura déjà pris la capitale de ce foutu pays !

 

La légate, déjà, perdait patience. Le légat Tibérius était le fils du sénateur Julius Ouranos. Si son illustre père était indiscutablement un des plus glorieux militaires de la république ; son fils faisait figure de protégé parvenu, et il n’avait aux yeux de la légate dû son mandat de sénateur et le commandement de sa légion qu’aux connections de son père. De fait, elle n’avait une haute opinion de lui par nature, elle qui était une militaire de carrière. Mais le voir délibérément abandonner sa route et promener ses deux légions à son gré ; c’en était trop.

 

- Imbécile, crois-tu pouvoir te balader à ton idée et monopoliser vingt-mille homme dans ta bêtise ? Nous sommes en guerre, le temps presse ! Pourquoi n’as-tu pas suivi le plan ?

 

A cette question, le légat s’approcha de sa camarade. Puis, lui indiquant l’horizon à l’est, il lui montra la colonne de ses poursuivants.

 

- J’aurais bien aimé continuer ma route, vois-tu, mais j’ai été entravé par une armée nomade de quelques quinze ou vingt-mille hommes. Ces importuns m’ont détruit mes canons, et j’ai effrité une partie de mes forces en essayant de forcer le passage. J’ai bien essayé de changer de cap et de forcer vers le Nord, mais j’ai été arrêté par une énorme masse de cavalerie. Il ne me restait plus que toi, ma bonne Cornelia.

 

La légate, à cette révélation, fut sidérée. Dans l’axe que lui indiquait Tibérius, une armée toute entière apparaissait progressivement. Pire encore, cette dernière avait mis deux légions en défaut, et s’était lancée à sa poursuite avec une nombreuse cavalerie ; arme dont les légions étaient relativement lacunaires. Elle qui pensait recevoir des renforts comprit alors que c’est dans l’espoir d’être lui-même soutenu que son camarade s’était tourné vers elle.

 

- Tibérius, écoutes moi. Je t’ai fait envoyer un messager hier pour te prévenir ; mais je suis coincée ici.

- Que veux-tu dire ?

- Cet imbécile de Lowe s’est fait couler avec ses galions dans la baie, au sud d’ici. L’autre quiche de Melios, qui tenait mon avant-garde, a été liquidé avec sept-mille hommes ! Je n’ai avec moi que ma légion et quelques supplétifs de Jade et de Victoria !

 

Aux mots de la légate, Tiberius devint muet. Voyant qu’elle avait son attention, elle poursuivit.

 

- Je n’ai aucun moyen de retourner sur notre continent, et les troupes que j’assiège ne demandent qu’à me tomber dessus si j’ai le malheur de leur tourner le dos pour rallier l’armée principale ! Si l’armée qui te poursuit fait jonction avec eux, nous serons pris entre deux feux !

- Mais que doit-on faire ? Mes hommes sont épuisés !

 

La sénatrice, un instant, s’interrogea elle-même. Puis, décidée, elle reprit d’un ton ferme.

 

- Marchons plein sud. Pars devant, en direction du village de… Saulême je crois, j’y ai laissé une garnison. Je couvre ton repli et je marche sur tes talons. Les assiégés ne pourront pas nous poursuivre tout de suite, et il nous faut prendre de la distance pour nous organiser avant que tes poursuivants arrivent sur nous !

 

Tiberius, à ces mots et devant la détermination de sa camarade, acquiesça. Remontant à cheval, il retourna en toute hâte devant ses troupes, pour leur faire faire cap au sud. Cornelia, quant à elle, fit passer le mot à ses tribuns de se préparer à faire mouvement en arrière.

 

Dans la ville de Tolwhig, et plus précisément dans la haute tour de la préfecture, la scène toute entière n’avait pas échappée à l’attention des défenseurs. Ces derniers, d’abord, furent pris d’un profond désarroi lorsqu’ils virent arriver devant leurs murailles une armée par deux fois supérieur à celle qui les assiégeait.

Mais ce désemparement n’était en rien semblable à la joie et au soulagement qui s’empara des gardes lorsque, du haut de la tour, une sentinelle hurla quelques minutes plus tard :

« Troupes alliées en approche par l’Est ! C’est un corps, un corps entier ! »

La guerre, parfois, provoque d’étranges rebondissements.

 

Toujours était-il que, aussi complexe fut-elle déjà, la situation devenait un peu plus chaotique. L’envahisseur était renforcé, mais les défenseurs aussi.

 

Du coté du 2e corps d’armée, toujours accompagné par la division de cavalerie du maréchal Pencroff, on se réjouit beaucoup d’arriver, enfin, aux frontières de Tolwhig. Les généraux de la garde avaient vu juste : leurs ennemis, fuyant devant eux, les avaient conduits à leurs plus proches alliés ; qui assiégeaient effectivement la préfecture toute entière.

 

Le général Thalkion, qui avait quitté la place quelques jours plus tôt pour se porter au secours de Fort Herobrine, n’en décolérait d’ailleurs pas.

 

- Ah les salopards, ils ont dû se pointer quand j’ai tourné le dos ! Attends un peu que je te les besogne à la sauce barbare.

Grommelait-il.

 

- Tu te fais du mauvais sang, mon vieux. Faisons battre le pas redoublé, je crois qu’ils mettent les bouts ! Rentrons-leur dedans avant qu’ils puissent former leurs rangs.

Répondit le maréchal Pencroff.

 

- Attends, tu veux qu’on leur fonce dessus ? On ne sait même pas combien ils sont en face de nous, mais ils doivent bien être trente-mille. C’est peut-être un peu raide comme technique, non ?

 

- Ils ont trente-mille pétochards, j’ai cinq-mille cavaliers et toi quinze-mille fantassins. En plus il doit y avoir entre cinq et dix-mille volontaires enfermés dans la ville. Si on laisse les ennemis se reformer, on va en avoir pour des heures et perdre du monde. En les prenant de cours, on a une chance de les dérouter ; et de là on aura plus qu’à faucher les fuyards.

 

- Tu es sûr de toi ?

 

Mais le maréchal Pencroff, déjà, piquait d’un coup d’éperons les flancs de son cheval.

 

- Fais marcher tes troupes en colonnes d’assaut, pas redoublé et l’arme au bras ! je vais te faire une percée dans leur défense, t’auras qu’à te jeter dedans !

Cria-t-il simplement en s’éloignant.

 

Et les deux hommes, ainsi, se séparèrent.

Comme l’avait demandé le maréchal, le général Thalkion ordonna alors à ses troupes de se former, tout en marchant, en colonnes d’assaut. Les compagnies de grenadiers, qui marchaient comme le veut la coutume sur la droite des bataillons, prirent alors le pas de course pour se porter au-devant du corps d’armée, en tête de deux monstrueuses colonnes divisionnaires.

 

Deux véritables torrents d’hommes et d’armes se formèrent, alors que les tambours, réunis en bataille, se mirent ensemble à battre le pas redoublé. Partout, dans les régiments, on leva les étendards et on ordonna aux soldats de marcher l’arme au bras, une cartouche dans le canon.

 

Aux abords des murailles où était restée la légate Hephaistos, on se rendit vite compte que l’armée qui approchait la ville avait accéléré son allure. Pire encore, alors qu’elle approchait inexorablement et tambours battant vers son but ; on remarqua également qu’une immense masse de cavaliers s’en séparait, en semblait se former sur ses avants.

 

Le tribun Caron, qui était restée auprès de sa commandante, s’en inquiéta le premier.

 

- Sénatrice, Je crois qu’ils ne comptent pas se mettre en formation… Que doit-on faire ?

 

- Nous devons absolument permettre à Tiberius d’atteindre Saulême. Si ils prennent son armée de dos, elle sera massacrée. Si il arrive dans cette fichue bourgade il devrait pouvoir s’y enfermer et tenir.

 

- Et nous ? Nous n’avons que dix-mille soldats à peine, nous ne résisterons pas à un assaut frontal. De plus il y a fort à parier que la garnison de la ville se ruera sur nous à la seconde où nous serons aux prises avec les assaillants !

 

- Tu me prends pour une buse ? Je sais tout ça. Mais même si tiberius était resté avec nous, quand bien même nous aurions été plus nombreux ici, nous sommes coincés entre leur ville fortifiée et cette colonne qui avance. Impossible de se former proprement et rapidement ici, sur deux fronts, sans se faire massacrer dans ces champs ou leur cavalerie fera ce qu’elle veut de nous. Notre seule chance, c’est d’avoir des murs à tenir, et ces murs sont à Saulême.

 

- mais pourquoi ne battons-nous pas en retraite avec Tiberius dans ce cas ?

 

- Parce que nous sommes la seule chose qui empêche la garnison de sortir maintenant pour nous prendre dans le dos et nous coincer sur place. Nous devons boucher ce trou jusqu’à ce que Tiberius soit assez loin et si nous respirons encore d’ici là, nous tâcherons de le rejoindre.

Acheva la légate, livide mais décidée.

 

Mais alors que le légat Caron, la peur au ventre, observait sa supérieure ; une sonnerie lointaine le tira de sa stupeur, et attira l’attention des deux légionnaires vers l’armée qui s’avançait.

Un frisson glacial, alors, parcourut l’échine du tribun.

 

Face à eux, à moins d’un kilomètre, les cavaliers de la Garde Volontaire s’étaient formés.

 

Dans la plaine, droit devant eux et sans le moindre obstacle pour les entraver dans leur progression, les 1er, 2e, 3e, 4e et 6e régiments de dragons s’étaient rangés en lignes d’échelons par régiments ; c’est-à-dire en longues lignes de trois escadrons de largeur, sur non moins de cinq lignes.

Devant cette impressionnante masse de cavalier, à l’avant-centre de la formation, le maréchal Pencroff s’était posté, entouré d’une compagnie de ses propres cavaliers qui assurait son escorte et qui, reconnaissable dans la tourmente, allait guider le flot toute entier.

 

Cette masse gigantesque, ainsi rangée, venait au coup de clairon de prendre le pas. Botte-à-botte, le sabre encore au fourreau, les hommes s’avançaient dans un silence que seul brisait le bruit des sabots dans la terre meuble.

 

La légate, comprenant que la bataille s’engageait, appela autour d’elle tous les hommes qu’elle put.

 

- Légionnaires ! Cavalerie en approche ! Groupez-vous par centuries en formation compacte ! Séparez les centuries en dents de scie !

 

Et ses soldats, hagards mais confiants dans leur cheffe, s’exécutèrent. La manœuvre dura cependant quelques minutes, et tous les soldats de la légion n’avaient pas encore eu le temps de rallier le reste de leurs troupes. Il avait en effet fallu cesser l’encerclement de la ville, et il allait encore falloir plusieurs minutes pour que les centuries les plus éloignées n’arrivent.

Il était, cependant, trop tard pour espérer faire front avec toutes les forces de la légion, aussi Hephaistos ne s’y attarda pas. Parcourant à cheval les centuries qui se formaient, elle s’époumona en ordres divers, essayant au mieux d’organiser sa défense.

 

La stupeur, bientôt, avait laissé chez elle sa place à une euphorie guerrière ; aussi se mit-elle à sourire à pleine dents, l’épée d’or du sénat dans la main, et son bouclier dans l’autre. Juchée comme elle l’était sur son palefroi de guerre armuré d’or et de fer blanc, sa cape rouge battant derrière elle et la crête écarlate de son casque couronnant son armure ; elle incarna pour ses troupes une sorte de vision guerrière glorieuse et enivrante. Nombre des légionnaires et des centurions répondirent alors à ses appels pour de vifs cris de guerre, galvanisés, prêts à mourir.

Le tribun Caron, à cet instant, comprit que sa légate les conduisait vers leur baroud d’honneur, et une mort certaine.

 

Dans la plaine, une autre sonnerie de clairon résonna au-dessus des bruits de sabots.

- Au trot !

Cria une voix, au moment ou les chevaux accéléraient la cadence.

 

La légate, à ce cri, harangua ses soldats.

- Légionnaires, quelles sont nos couleurs ?!

- Le sang ! Le sang !

Répondirent en chœur les centuries toutes entières.

 

Une nouvelle sonnerie résonna. Une nouvelle voix, dans le groupe du maréchal Pencroff, cria :

- Au galop !

La masse de cavaliers, s’approchant encore, galopait à présent. Le sol, martelé de milliers de sabots, grondait sous leur masse.

 

La légate quitta alors les centuries, et galopa pour se placer au-devant de sa ligne de défense. Extatique, elle hurla encore à ses troupes :

- Légionnaires, quel est notre métier ?!

- La mort ! la mort !

Répondirent encore ses hommes, qui achevaient de serrer leurs rangs.

 

Une dernière sonnerie résonna, suivie cette fois de la voix du maréchal Pencroff en personne.

- Sabre au clair ! Pour l’empire, Chargez !

 

Et alors que le clairon s’époumona à sonner la charge encore et encore, les quelques 4500 dragons sortirent comme un seul homme le sabre de la gaine dans un assourdissant tintement métallique. Puis, redoublant leur allure au galop de charge, le sabre au poing, ils se ruèrent sur la légion.

 

Pendant les quelques secondes qu’il leur fallut pour parcourir l’ultime distance qui les séparait de leur cible, le grondement de leurs sabots était devenu le vrombissement d’un véritable glissement de terrain. Le sol trembla sous les pieds des légionnaires, qui épaulèrent en hate leurs armes, attendant l’ultime signal de leur légate.

 

Cette dernière, seule face à l’avalanche, attendit alors la dernière seconde, sachant pertinemment que ses hommes n’auraient pas le luxe de déverser une seconde salve sur leurs adversaires. Puis, quand le groupe du maréchal Pencroff arriva presque à sa hauteur, elle hurla :

- Feu !

Et à ce cri, une gigantesque salve d’arquebuses fit pleuvoir sur les cavaliers un déluge de feu, qui coucha en une fraction de seconde plusieurs dizaines d’hommes et de chevaux. Savamment délivré à la dernière seconde, ce coup décima les premiers rangs des dragons du maréchal, allant jusqu’à tuer autour de lui plusieurs de ses plus fidèles soldats, et le blessant aux côtes.

 

Mais cette bourrasque, bien que violente, n’arrêta en rien la charge qui déferlait. Enfin, le maréchal Pencroff arriva au galop à hauteur de la légate, et sans autre cérémonie eus égards à son rang, il lui trancha la tête sans même s’arrêter.

Ajustant son sabre ensanglanté, il continua sa route, talonné par l’avalanche.

 

L’enfer, alors, se déversa sur les centuries. Bien que leurs formations serrées les protégeassent tant bien que mal, ces îlots d’hommes s’effritaient à vu d’œil, alors que les cavaliers serpentaient entre eux. De plus, il fallut subir non moins de cinq chocs successifs, alors que les régiments arrivaient ligne par ligne percuter les défenses de la légion.

 

Privés d’arquebuses dont ils avaient brûlé les cartouches et qu’ils n’avaient plus le luxe de recharger, les légionnaires en étaient réduits à combattre au glaive et au bouclier, contre des cavaliers aux longs sabres juchés sur des destriers de haute stature. La lutte, en somme, était très inégale malgré le surnombre des hommes de la légate, et la situation ne cessa de s’empirer.

 

Ayant assisté à la charge depuis la tour de la préfecture, le général Dumesnil, saisissant l’occasion, avait ordonné à sa première division de se ruer hors des murailles.

La manœuvre, qui aurait été hasardeuse si il avait fallu faire sortir tous les hommes par la seule porte de la ville de ce coté du front sous les feux d’une armée de siège, fut alors des plus aisée tant les légionnaires étaient aux prises avec les cavaliers du maréchal. Une à une, les demi-brigades de réserve se ruèrent donc hors de la place, et se scindèrent en deux colonnes.

 

La 1ère et la 2e demi-brigades, mousquet au bras et baïonnettes au canon, se jetèrent sur les centuries avec rage, venant se mêler aux dragons.

Les 3e et 4e demi-brigades, quant à elles, se précipitèrent à la poursuite des deux légions de Tiberius et de Publimus. Elles n’avaient, à quelques 2 000 contre 20 000, pas la moindre chance de vaincre les légions ; mais escomptaient toutefois engager le combat sur leurs arrières le temps d’être renforcées par les 5e, 6e et 8e demi-brigades et par les troupes du 2e corps d’armée.

 

Quant au 2e corps d’armée du général Thalkion justement, il arrivait tout juste sur le champ de bataille, qu’il contourna allègrement. Une rapide observation permit effectivement à son commandant de s’assurer que le maréchal Pencroff et ses cavaliers, renforcés par les volontaires de Tolwhig, allaient se suffire à eux-mêmes pour défaire les restes de cette troupe ennemie.

 

Son objectif était donc tout autre : Passer devant tolwhig, poursuivre les légats Tibérius et Publimus qui le narguaient par leur existence, et achever avant Saulême ce qu’il avait entamé au col de Pont-d’Arc, à savoir l’annihilation totale de leurs forces.

 

Le 2e corps d’armée passa donc en parade par la gauche du champ de bataille, sous les yeux estomaqués des rares légionnaires qui n’étaient pas submergés par les cavaliers.

Cette vision de dédain, enfin, confirma au tribun Caron que la lutte était perdue d’avance. Brisé, extenué, sa nature fière et combative lui interdisait toutefois de se laisser mourir comme un vulgaire mouton que le destin aurait lentement conduit à l’abattoir.

 

Au milieu de la mêlée générale ou il avait, se défendant à corps perdu, déjà occis plusieurs dragons de la garde ; il repéra alors le maréchal Pencroff ; qui galopait d’un escadron à l’autre entouré de son état-major. Ivre de rage, il piqua alors son cheval et se rua vers lui, l’épée en main.

 

Le maréchal, toujours attentif à son environnement, le vit sans mal galoper dans sa direction. Désirant faire honneur à la combativité de son adversaire, il fit alors signe à ses ordonnances et à son escorte de se tenir à distance, et se préparer à combattre.

 

Un choc brutal secoua les deux hommes, à l’instant où leurs lames entrèrent en contact. Dans le hennissement de leurs montures, ils échangèrent alors plusieurs coups et parades, dans une sorte de balai mortel. Croisant le fer jusqu’au dernier homme debout, leur lutte matérialisa l’espace d’un instant la bataille toute entière. Le légionnaire épuisé, la force du désespoir, le sang qui perlait de leurs blessures respectives… et finalement, dans un coup d’estoc au cœur ; la mort de l’assiégeant. Caron, la poitrine percée, expira sur sa selle. Les pieds dans les étriers, l’épée fermement verrouillée dans la main par l’étreinte mortelle, il succomba glorieusement, à cheval.

 

Quand un mouvement de sa monture fit finalement basculer son corps sans vie, le maréchal le soutint, et ordonna à ses hommes :

 

- Voilà un brave. Portez sa dépouille à l’écart, et veillez à ce qu’on l’enterre avec son épée. Trouvez son nom, je refuse que l’histoire oublie pareil soldat.

 

Puis, laissant à deux soldats le soin de transporter le malheureux, il retourna an centre de la lutte.

La bataille, à cet instant, était déjà décidée. Les dragons achevaient, sans plus aucune difficulté à présent, le massacre des légionnaires. Ceux qui fuyaient la danse macabre des cavaliers étaient cueillis par les fantassins de Tolwhig, qui les achevaient à coups de baïonnettes.

 

Le maréchal Pencroff aurait, alors, aisément pu ordonner la fin de ce massacre sordide et la capture des survivants. Mais une règle absolue, capitale, fondamentale devait s’appliquer aux vaincus : Vae Victis. Tous ceux qui, par audace ou par folie, violaient la terre sainte de l’empire devaient être châtiés. Tous ceux qui portaient les armes contre le peuple impérial devaient périr, tous ceux qui s’animaient de griefs à l’égard de l’empire devaient être abolis à jamais.
Ainsi, le massacre continua, sous le regard stoïque et ferme du maréchal.

 

De l’autre coté de la préfecture, à mi-chemin entre la ville de Tolwhig et le bourg de Saulême, le légat Tibérius et son camarade Publimus semblaient être dans une situation plus précaire que jamais auparavant. Les deux demi-brigades de volontaires Tolwhigiens qui s’étaient lancés à leur poursuite avaient, finalement, rattrapé la queue de leur gigantesque colonne.

Les légionnaires, désemparés et épuisés, marchant depuis la veille, n’avaient presque plus la force de se défendre.

 

A présent, les fantassins des demi-brigades de réserve s’étaient déployés en tirailleurs de part et d’autre de la route, suivant de près les deux légions, et égrainant leurs rangs par des tirs disparates et permanents. Les coups de feu claquaient sans cesse, arrachant à presque chaque coup un légionnaire à la colonne, et les balles ricochaient sur les pierres du chemin, ajoutant à l’impression de déroute la pesante atmosphère d’abattoir.

 

Leur calvaire ne faisait pourtant que commencer. Car si ils espéraient encore, à cet instant, trouver refuge au bourg de Saulême, ils allaient bientôt faire face à une désillusion sèche.

 

En effet, quelques heures plus tôt, alors que le 2e corps d’armée achevait encore son approche en direction de Tolwhig, le général Thalkion avait eu la présence d’esprit, par anticipation, de détacher de ses troupes la 5e brigade d’infanterie composée des 7e et 18e régiments de ligne. Il avait alors envoyé ces ceux régiments suivre une route plus méridionale menant à la préfecture et passant, justement, par Saulême.

 

Si ce contournement par la 5e brigade avait pris du temps, elle eut sur la campagne un effet très opportun : Quand les légionnaires, éreintés, se présentèrent par le nord sur les hauteurs qui environnaient le bourg, ils ne purent que constater que la place, toujours tenue par leurs alliés des royaumes de Jade et de Victoria, étaient assaillie par une colonne de la Garde Volontaire.

 

Bien que la brigade qui attaquait Saulême fut peu nombreuse, la présence sur leurs avant de cette force suffit à convaincre les légionnaires des deux légions que leurs adversaires les avaient devancés pour se rendre maitres de leur unique espoir de repli.

Terrorisés à l’idée de perdre le bourg, ils se ruèrent donc vers ses murs en désordre, abandonnant toute cohésion. Ni le légat Tiberius, ni le légat Publimus ne purent les retenir. Pire encore : la maigre cavalerie qui restait aux deux hommes, toujours dirigée par le Tribun Alexendre, déserta toute entière sous l’impulsion de ce dernier.

 

Publimus, alerté, se tourna vers son camarade.

 

- Tiberius ! Alexendre se fait la malle avec nos cavaliers !

- Ah les chiens, les traitres, ils sauvent leur peau ! Ils filent vers l’Ouest !

- Qu’est-ce qu’on fait ?

- Suivons les troupes, on les ralliera une fois dans le bourg ! Si on reste sur la route on est fichus !

 

Mais à cet instant, une salve de mousquetons claqua depuis une des collines environnantes.

Une volée de balles visa les deux hommes, que leurs armures et les parures de leurs chevaux désignaient comme des cibles au milieu de leurs soldats.

Sur le haut du relief, déployés en ligne, les cavaliers du 1er escadron de chasseurs à cheval de tolwhig les tenaient donc en joue, envoyés quelques minutes plus tôt par le général Dumesnil pour appuyer le mouvement de poursuite des demi-brigades.

 

- Mince, foutons le ca…

 

Une nouvelle salve, tirée depuis la colline, enleva le légat Publimus et tua le cheval de Tiberius.

 

Ce dernier, se relevant à grand peine, s’arrêta un instant près du corps sans vie de son camarade. Une balle lui avait traversé le crane par l’œil, et l’avait tué roide. Constatant qu’il ne pouvait plus rien pour son ami, Tiberius se joint à la fuite en direction de Saulême, où il parvint finalement.

 

Il put, maigre consolation, y entrer avant que la 5e brigade d’infanterie n’en déloge les soldats de Jade et de Victoria. Mais ce répit n’était qu’illusoire. Le bourg, cette maigre réunion de modestes logis, devint rapidement bien trop petit pour sauvegarder en son sein les quelques 20 000 hommes qui s’y pressaient à présent et devaient s’ajouter à ses 5000 défenseurs.

 

Finalement, alors qu’une cohue inimaginable animait encore les quelques points d’accès de la petite commune, le général Thalkion et son corps d’armée se présentèrent sur les hauteurs, renforcés de plusieurs demi-brigades de réserve.

La vision, terrible, de cette armée aux portes du bourg absolument surpeuplé et sans la moindre défense organisée acheva de semer la terreur dans les rangs des légionnaires ; qui ne tentèrent plus rien. Tous n’avaient alors plus qu’une idée en tête, une idée fixe : se cacher, fuir, s’enterrer dans les caves ou derrière les murs de pierre. Cette armée de fiers guerriers devint alors une masse informe de lapins effrayés, que les hommes du général Thalkion encerclèrent sans mal depuis les collines.

 

Puis, alors que le jour semblait déjà décroitre dans le ciel, le maréchal Pencroff vint rejoindre son camarade, suivi d’un de ses régiments de dragons.

 

- Qu’est-ce que tu as fait de tes cavaliers ?

Demanda le général.

 

- Je les ai fait démonter et je les ai laissés à Dumesnil. Les chevaux sont épuisés de toutes façons. Et puis on a fini de besogner les types qui tenaient la plaine, il ne reste plus qu’à porter le coup de grâce ici.

Répondit le maréchal.

 

- Tu veux t’en occuper ?

 

- Tu plaisantes ? C’est ta proie, je viens juste en spectateur. Qu’est-ce que tu as prévu de beau ?

 

- Et bien je me disais qu’il serait de bon ton de les arroser copieusement de boulets, puisqu’il me reste mon artillerie sous le coude. Je suis un peu frileux à l’idée de jeter mes hommes dans ce panier de crabes si je peux éviter d’en perdre inutilement.

 

Au même instant, suivant justement les ordres qu’avait donné le général, les 1ère, 3e, 5e et 9e batteries d’artillerie à cheval furent mises en batterie sur une redoute naturelle adjacente au point de vue sur lequel se tenaient les généraux.

 

Les canons, rapidement défaits de leur attelages et tournés vers le bourg, n’attendaient plus qu’un mot, un ordre, pour faire tomber sur la terre leur pluie de météores.

 

Le général Thalkion se tourna vers le maréchal, qui acquiesça de la tête. Puis, se retournant vers le colonel qui dirigeait les batteries, il ordonna simplement :

 

- Par salves, jusqu’à contre ordre, feu !

 

Et l’artilleur, qui se tenait à coté de sa pièce, répéta l’ordre à toutes les batteries.

Immédiatement, quelques 16 canons et 8 obusiers firent feu, dans un fracas assourdissant.

En quelques secondes, leurs projectiles virent percuter le village, fracassant plusieurs murs et fauchant des dizaines d’hommes. La panique redoubla dans les rangs des légionnaires, qui savaient que cette salve meurtrière n’allait être que la première d’une longue série qui ne poursuivrait qu’un but : leur anéantissement.

Et ils ne s’y trompèrent pas. Quelques secondes après la première salve, une seconde frappa de nouveau le bourg. Puis une troisième, puis une autre, et une autre…

 

Plusieurs centaines d’hommes périrent ainsi, se terrant vainement derrière les maigres murs des maisons que les boulets fendaient comme du papier. Partout, les boulets passaient, déchiraient, fracassaient. Les plus malheureux qui, coincés dans les rues, n’avaient pu s’abriter recevaient autant les projectiles que les multiples éclats de verre, de pierre et de bois qu’ils entrainaient avec eux.

Les corps sans vie jonchaient le sol des maisons et des jardins, les caniveaux du bourg charrièrent un flot continu de sang, que rien ne sembla pouvoir tarir.

Ce massacre, asymétrique et désespérant, dura près de deux heures entières.

 

La nuit était alors tombée depuis longtemps lorsque, soudain, les coups cessèrent.

Le général Thalkion, qui n’avait cessé de fixer la scène, en fut le premier surpris. Il se tourna vers la redoute ou étaient postés ses canons, et constata sans mal la raison de ce cessez-le-feu :

Les pièces, après avoir tiré sans discontinuer, étaient soit à court de boulets, soit trop chaudes pour être utilisées plus longtemps sans fondre.

La bouche de plusieurs canons laissait même apercevoir un halo rougeoyant, le métal du tube ayant presque atteint son point de fusion.

 

- Mince, on va devoir finir ça à la main visiblement…

Déclara simplement le général d’un ton laconique.

 

Puis, d’un simple geste, il ordonna à ses fantassins de resserrer l’étreinte de leurs lignes autour du bourg, pour achever la besogne par une mousquetade soignée.

 

Alors, pas à pas, les lignes d’infanterie ; fusiliers, voltigeurs, grenadiers et conscrits se rapprochèrent de Saulême, d’où l’on entendait plus que les râles des mourants et les supplications des derniers miraculés. Le colonel Von Lusset, qui avait opéré le contournement avec le 5e brigade, profita alors du temps mort pour chevaucher vers son ami.

Voyant que le maréchal était à ses côtés, il ne se laissa cependant pas aller en familiarités.

 

- Mon général, doit-on envoyer des hommes cueillir les prisonniers ? Je doute qu’ils offrent la moindre résistance à présent.

Demanda le colonel.

 

Le général Thalkion, un instant pensif, se retourna vers le maréchal. Ce dernier ne répondit pourtant pas, laissant à son camarade le soin de donner l’ordre que la situation exigeait.

Thalkion se retourna alors vers son ami, et répondit simplement :

 

- Non. Tuez-les tous.

 

Le colonel Lusset, ses ordres pris, salua et s’en retourna à son régiment.

Le maréchal Pencroff démonta alors, suivi du général Thalkion, et les deux hommes s’armèrent de leur sabre. Laissant leurs montures à leurs ordonnances, ils prirent la direction du bourg, à pieds.

 

Ils passèrent ainsi devant leurs hommes, fantassins de tous grades, fusiliers ou grenadiers, qui se turent et firent place à leurs chefs ; comprenant à la solennité de leur allure qu’ils allaient achever les hostilités. D’un pas tranquille, serein, les deux hommes prirent la tête d’une des colonnes qui, serpentant sur la route, tendait vers l’entrée du village.

 

Levant la main, le général Thalkion leur fit signe de les suivre, et l’armée emboitèrent le pas aux deux hommes. Le reste de la nuit, et ce qu’il se passa dans l’enceinte de Saulême durant ces quelques heures, est resté depuis le secret pudique des gardes qui y étaient présents.

Il s’y appliqua, avec le zèle qui fait la renommée de la garde, la loi du vainqueur.

Il ne resta, au matin, plus rien des deux légions.

On ne les pleura d’ailleurs pas dans la préfecture qui, libérée, célébra dans la liesse la victoire de la Garde. Le 2e corps d’armée, sa besogne faite, quitta saulême à l’Aube et s’en alla rejoindre les festivités qui étaient données dans Tolwhig. Le général Dumesnil, le sauveur de la préfecture, y fut porté en triomphe, alors que ses braves volontaires des demi-brigades de réserve retrouvaient, en larmes, leurs familles. Bien des hommes et des femmes cependant manquaient à l’appel, victimes du devoir, comme la presque totalité de la 7e demi-brigade dont le colonel, par son sacrifice, avait personnifié l’esprit de bravoure et de dévouement de ce peuple tout entier.

 

Le général Thalkion, qui eut droit à son lot d’honneurs et de hourras, ne manqua d’ailleurs pas dans un éloquent discours de saluer la mémoire des braves disparus, et d’annoncer comme le veut la coutume que la garde adopterait tous les orphelins de père ou de mère.

 

De son coté, le maréchal Pencroff, emportant avec lui ses dragons reposés, se permit un détour par la citadelle de Terre-Morne, dont il constata avec satisfaction que malgré quelques menus dégâts, elle n’avait point cédé aux assauts ennemis.

Sachant la forteresse inviolée, il fit parvenir ses respects au général Vauthier et à ses hommes, et requit pour eux que l’on envoie en urgence un bataillon du génie pour réparer les avaries et, plus important encore, le pont par lequel se ravitaillait la place.

 

Il se jeta enfin sur les routes de l’ouest, à la poursuite des survivants de la cavalerie de Tribun Alexendre, qu’il s’employa à traquer et à abattre durant les six jours qui suivirent la bataille.

Après Novi et Birak’heim, Tolwhig, enfin, retrouvait la paix.

 

 

 

CHAPITRE 14 – Vaulbandt et poussière

JOUR 12 (matin)

 

De retour sur les territoires de l’Est, cela faisait déjà six jours que, sans autre progrès significatif, la 5e division d’infanterie du général Darkalne tenait le siège d’Harneim, la citadelle du marquisat de Vaulbandt. Le général, qui tenait devant lui les premiers belligérants de toute cette campagne, ne savait encore rien des débarquements de Tolwhig et du Sud-ouest. Seules les nouvelles de Birak’heim et, par elles, du succès de la garde lui étaient parvenues.

 

En outre, la veille, le 4e corps d’armée du général Sulji, retenu jusqu’alors par sa longue marche depuis le refuge de Pan, avait enfin rejoint les hostilités et s’était porté en renforts de la 5e division.

Bien que ce renfort ne fût pas nécessaire, cette aide soudaine avait triplé les effectifs des assiégeants, au grand désespoir du marquis conjuré de Vaulbandt.

 

Ce dernier, terré dans son château avec ses mercenaires, n’avait de son coté reçu aucune nouvelle de la république des Titanides, dont les légions devaient avoir débarqué depuis des jours déjà, et auraient dû à cette heure se rendre maitresses de la région.

Lui qui avait misé sa vie sur ce pari fou avait porté le premier coup des hostilités et se savait condamné si, par malheur, sa conspiration avait échoué à permettre l’invasion de ses commanditaires.

 

Mais le temps passant, et constatant non sans effroi que les troupes de la Garde avaient le loisir de renforcer le siège ; il commença peu à peu à se rendre à l’évidence.

Alors que ses plus proches conseillers, sentant le vent tourner, songeaient déjà à négocier leur reddition et leur survie en offrant sa tête à leurs adversaires ; il se prit lui-même à réfléchir à quelque pirouette qui lui permettrait de sauver sa misérable vie.

Il envoya, dans cette optique, un de ses barons en émissaire au général Darkalne.

Ce dernier, surpris de cette manœuvre si tardive, répondit de la manière la plus expéditive possible à ce pitoyable aveu de faiblesse : il fit tirer sur l’émissaire.

Ce dernier, blessé, galopa alors en sens-inverse et retourna se terrer dans la forteresse.

 

Le général Sulji, qui avait assisté à la scène, s’en amusa beaucoup.

Lui qui n’en était pas à son premier siège était friand de ces soubresauts désespérés des assiégés qui, fanfaronnant toujours au commencement du duel, finissaient souvent par ramper au sol pour tenter de racheter leur vie.

 

La campagne, cependant, avait assez duré ; et cette ultime sortie conforta les deux généraux dans l’idée que le fruit était mur de désespoir.

A quoi bon attendre plus longtemps ? Le général Darkalne fit réunir les batteries du général Sulji aux siennes, et ordonna que l’on pilonne la ville sans réserve.

Vers midi donc, le bombardement d’Harneim débuta.

 

Il eut, matériellement, fort peu d’effet. Les murs de l’imposante cité étaient puissamment renforcés, et pour cause : Située en frontière des terres impériales, cette citadelle avait jadis vocation d’en servir de verrou, interdisant l’accès à d’éventuels envahisseurs.

Une curieuse ironie du sort avait voulu que cette place devienne la porte ouverte à un de es envahisseurs, et que le verrou en soit à présent tourné vers les défenseurs.

 

Mais le bombardement en lui-même ne devait être, dans cette offensive, qu’un aspect mineur destiné plus à entamer le moral des mercenaires que leurs murailles. Pour ces dernières, une solution plus radicale et pratique avait été préparée dès le début du siège, une solution qui avait impliqué beaucoup de pelles, de pioches, et de poudre à canon.

 

En effet, pendant les jours précédents, le général Darkalne avait fait réunir les sapeurs et les réservistes qui étaient à sa disposition pour faire creuser une mine de sappe depuis une de ses tranchées. L’excavation de l’ouvrage avait été longue et ardue, mais avait finalement abouti la veille. Les sapeurs de la garde, qui se trouvaient à présent sous la muraille, n’avaient eu qu’à dégager une sorte de cavité qu’ils avaient replie de barils de poudre, reliés à l’extérieur par une longue mèche.

 

Finalement, l’ordre de l’attaque ayant été donné et le bombardement ayant débuté, ce fut le général Darkalne qui, lui-même, alla mettre le feu aux poudres.

Quelques secondes plus tard, la cavité sauta.

 

L’explosion, en elle-même, n’eut rien de très spectaculaire. Le sol sembla se gonfler, puis une gerbe de terre se souleva comme si l’on eut jeté un pavé dans une mare, brisant la muraille et retombant immédiatement en rebouchant le trou qu’elle venait de former par divers débris et une partie de la terre qui avait été projetée. Pas de flammes, pas de gigantesque panache de fumée, mais une sorte de bulle de terre éclatant à la surface.

 

Quand les débris eurent terminé de retomber sur le sol, l’enceinte de la ville était percée. Les défenseurs, sonnés par la déflagration, n’eurent pas le temps d’organiser leur défense, et les pauvres n’eurent pu faire grand-chose dans tous les cas.

Avant l’explosion, le général Sulji et le général Darkalne avaient rassemblé leurs compagnies de grenadiers et de sapeurs en colonnes d’assaut, dont le général sulji avait pris le commandement direct. A peine la voie était-elle dégagée que les colonnes se ruèrent en masse dans la forteresse par la béante brèche qui s’offrait à eux, comme l’en emplissant la coque d’un navire par le trou d’un boulet. Baïonnette au canon, hache en main ou sabre dégainé ; les assaillants firent dans tous les recoins du château un ménage méticuleux.

 

Les mercenaires, en très large infériorité numérique, tentèrent en vain de se rendre mais furent soigneusement massacrés. Plusieurs, pour échapper à leur châtiment et poussés par le désespoir, se jetèrent du haut des remparts pour trouver la mort en contrebas.

Le marquis, abandonnant ses officiers, se rua hors de ses quartiers et tenta de quitter son château. Mais les pas des grenadiers se faisaient déjà entendre dans les escaliers de sa grande demeure, aussi se replia-t-il en haut de son donjon, dernier repli.

 

Il jeta, dans sa fuite, de nombreux meubles en bas des marches pour retenir ses poursuivants, mais rien n’y fit. Grimpant les marches quatre-à-quatre, il arriva finalement sur la grande terrasse qui coiffait la tour, sans aucune autre issue que la mort.

Mais à sa grande surprise, quand les soldats de la garde arrivèrent à sa hauteur, ils épargnèrent un instant sa vie.

Le général Sulji, en effet, apparut bientôt derrière les soldats et ordonna que l’on ne fasse pas feu sur le traitre.

 

Avançant au centre de la terrasse, il s’adressa à sa troupe.

 

- Camarades, soldats de la garde. Nous tenons, de cette affaire, le pire des responsables. Doit-on tenir rigueur à nos ennemis, qui n’ont fait que suivre leurs intérêts qui divergeaient des nôtres ? Non. Puisqu’ils ont voulu la guerre, ils ont eu la mort ; c’était juste.

Mais que faire du traitre qui, abusant de la confiance de l’empire, s’est parjuré et a conspiré contre notre peuple et sa propre terre ? Que faire du félon qui a renié son propre sang ?

 

Les soldats, à cette question, se regardèrent ? Le général Sulji poursuivit.

 

- Les ennemis subissent le sort que nous réservons aux ennemis. Mais les traitres, eux, ne méritent pas la douceur et la gloire de la mort au combat. Périr dans la bataille est un privilège, un honneur qui se réserve aux braves. Nous qui nous battons, nous acceptons la mort de la main de l’ennemi, et nous faisons à nos ennemis l’honneur de les tuer sans les honnir. Mais le lâche, accablé de honte, qui a trahi doit payer le juste prix de sa couardise et de sa duplicité !

 

Les gardes acquiescèrent. Le marquis de Vaulbandt avait démérité de sa patrie, et devait subir un châtiment à la hauteur de son crime. Un châtiment pire que la mort. Tous, dans les rangs, savaient en quel point du monde pareil supplice était possible. Le général Sulji, voyant que ses hommes partageaient son avis, acheva.

 

- Grenadiers, capturez cet homme ! Et qu’on le conduise à Terre-Morne !

 

Et le marquis de vaulbandt, pétrifié d’effroi, fut saisi par deux sergents, qui l’assommèrent d’un coup de crosse et l’emportèrent.

 

Ainsi s’acheva le siège d’Harneim, et par cette victoire la campagne toute entière. La terre-sainte était, enfin, purgée de la présence impie des envahisseurs de la république des Titanides, des royaumes de Jade et de Victoria et, pire que ces vermines, de la présence du traitre Vaulbandt.

 

 

CHAPITRE 15 – Epilogue

JOUR 18 (matin)

 

Il fallut quelques jours, encore, pour que l’état-major général de la garde n’ait vent de toutes les opérations qui avaient eu lieu en l’espace de cette seule semaine de campagne.

L’armée, étirée de l’Est à l’Ouest du territoire Sud-Stendelien, avait entre-temps déployé de nombreuses patrouilles pour s’assurer que le territoire était bel et bien sécurisé, et une flotte conséquente avait été appelée pour garder sous une étroite surveillance les mers du sud.

 

Après leurs péripéties respectives, les maréchaux et généraux de la Garde, fatigués mais victorieux, se réunirent donc à Fort Herobrine, se retrouvant pour la première fois depuis le début des hostilités. Contents de se retrouver, tous prirent le temps de se raconter leur part de la campagne, montrant leurs blessures pour ceux qui avaient eu l’honneur d’en recevoir, ou parlant de leurs passes d’armes contre les légionnaires que l’on reconnut volontiers comme des ennemis valeureux.

 

Mais le devoir, bientôt, rappela les généraux qui furent conviés par leur général-en-chef et premier consul pour un conseil de guerre extraordinaire, signe si il l’était nécessaire que les hostilités ne faisaient que commencer.

 

Ils se réunirent alors dans la vaste salle de réunion de l’état-major général, le puissant et prestigieux organe de commandement de cette formidable armée, où déjà les attendaient le consul et la générale Wendy, major-générale de l’armée.

Tous prirent place autour de la table comme autant de chevaliers autour de la table-ronde, fiers et déterminés. Chacun avait, debout à son arrière-droite un aide-de-camp, alors que plusieurs officiers d’ordonnance s’affairaient déjà à rédiger les greffes de la réunion à divers bureaux.

 

Le moment était solennel, et le silence se fit rapidement. Etaient présents le maréchal Zorn, le maréchal Pencroff, la major-générale Wendy, le général Thalkion, le général Jihair, le général Darkalne, le général Sulji, l’amiral Wariow et le vice-amiral Louis.

Le maréchal Zorn, qui présidait la séance, attendit un instant que tous furent prêts, et se leva.

 

- Mes chers camarades, avant toute chose sachez que je suis fort aise de vous revoir tous en vie et bien portants, malgré les quelques blessures que certains auront reçus au cours de leurs héroïques actions au combat. Sachez, camarades, que je suis fier de nous. Dans cette campagne qui, il y a moins d’un mois encore, nous était totalement insoupçonnée ; vous avez été absolument exemplaires. La Garde, dans cette occasion plus que dans toute autre, a montré au monde qu’elle ne pouvait être prise au dépourvu. Attaquée en plusieurs points, accablée par le nombre, affrontant un ennemi organisé et courageux ; elle a pourtant réussi à prendre le dessus sur tous les fronts, malgré la surprise et le chaos. Je pense aujourd’hui à nos frères d’armes qui, dans cette lutte pour la survie et pour l’honneur, ont fait le sacrifice ultime et ont offerts leur vie sur l’autel de la liberté et de la paix du peuple.

 

A ces mots, tous se levèrent. Le consul poursuivit.

 

- pour tous ces braves, et pour leurs familles qui sont les nôtres à jamais ; Hourra !

 

Et tous, dans la salle, généraux et grenadiers en faction, reprirent le cri.

Le maréchal Zorn salua, puis, après une petite minute de silence, il se rassit.

 

- Il est maintenant, mes amis, venu le temps d’aborder la suite des opérations. Cette campagne nous a coûté cher, et bien que nous en soyons sortis victorieux je dois reconnaitre que sa nous avions eu des troupes de moindre qualité que les nôtres, nous aurions sans doute peine bien plus que cela. Nous pouvons louer la grande bravoure et le sang-froid de nos hommes pour cela, mais nous leur devons d’être meilleurs encore que nous l’avons été. Nous ne devons plus jamais être pris de court, et surtout nous ne pouvons plus nous permettre de rester passifs dans un monde comme le nôtre, qui devient chaque jour plus menaçant.

 

Nous avons vaincu, ces dernières décennies, tous nos ennemis de l’intérieur. Il n’est plus personne dans les frontières du monde connu qui puisse nuire à la population civile ou à l’empire. Il ne subsiste plus aucune menace sérieuse, la paix règne partout. Oh ne nous leurrons pas : il existe encore bien des félons, bien des conjurés, qui appellent de leurs vœux la guerre et l’anarchie ; mais aucun aujourd’hui ne peut se hasarder à se mesurer à nous, dans cet écrasant rapport de force que nous avons établi à force de guerre, de sang et de volonté. D’autres essaieront encore, sans doute, de se liguer en coalitions comme le Nivem avait eu la folie de le faire avant eux, mais toutes ces entreprises seraient vaines et balayées d’un revers de main par la moitié de nos forces.

 

Non mes amis, si nous devons toujours veiller à la paix dans les murs de notre monde, nous devons aussi et surtout nous tourner vers ses voisins proches et lointains ! Nos ennemis d’aujourd’hui ont échappé à notre vigilance, faute tragique de notre part ! Je n’accepterai plus que cela arrive, et il va falloir pour cela que nous nous posions la question : qui, hors des frontières de la terre sainte, est un ami ; et qui est un ennemi ?

 

Ceux qui seront de nos amis, nous les chérirons, comme le veulent nos traditions chaleureuses, de paix et d’échange entre les peuples.

Ceux qui seront de nos ennemis, nous les détruirons. Vous êtes maitres en cette matière, aussi je vous le dis : dans ce siècle qui s’annonce, vous aurez tous maintes fois à quitter notre terre-sainte pour aller éteindre les braises éparses de la guerre chez ceux qui envient nos terres, notre abondance et notre mode de vie. Nous ne laisserons plus à nos ennemis le loisir de nous dicter le lieu et l’instant de la guerre, mais irons porter sur le seuil de leur porte les conséquences de leur ambitions guerrières, que leur peuple en soit le premier témoin de leur déchéance et de notre gloire.

 

Enfin, généraux, officiers, sous-officiers et soldats de la garde ; puisque nous connaissons la mission qui nous incombe, sachez qu’elle commence dès maintenant par la destruction de la nation qui nous a si honteusement attaqué !

La république des Titanides, par son bellicisme, a attiré sur elle la foudre de nos armes et notre courroux ! Puisqu’elle a choisi la voie de la guerre, nous allons la lui livrer à domicile !

Et une fois sur ses terres, nous lui ferons payer au centuple chaque goutte de sang qu’elle aura fait verser à nos camarades, nous ferons d’elle une terre de désolation et de mort telle que pour les siècles à venir, les légendes de nos combats effraieront encore les fous qui ambitionneraient d’y vivre ! Puis nous irons chez ses alliés, les royaumes de Jade et de Victoria, et nous leur feront payer le prix de leur participation à cette odieuse entreprise !

 

Nous allons panser nos plaies, regarnir nos rangs, rappeler nos réservistes, fondre des dizaines de nouveaux canons ; nous allons racheter des chevaux, bâtir des navires, forger des sabres, et nous partirons à la rencontre de notre destin !

Dans quelques mois, quand nous serons prêts, nous débuterons la seconde campagne des Titanides ; et nous terminerons cette guerre d’un coup de tonnerre !

Car souvenez-vous camarades : ce n’est pas la paix qu’il nous faut, c’est une paix Victorieuse !

 

Le consul et les généraux se levèrent, et dégainèrent leurs sabres à l’unisson.

Puis, levant leurs lames au-dessus de la grande table, tous reprirent le serment :

 

- Pour l’empire, l’honneur et le droit.

 

Ainsi s’acheva le conseil de guerre, qui posa les prémices de la suite de cette première guerre de coalition. Il allait falloir encore quelques moins pour que, recrutant tous les braves nécessaires et fondant tous les canons requis, la garde ne soit prête pour s’engager dans le second volet du conflit.

Mais, piquée à vif par l’attaque qu’elle avait subie, cette guerre était devenue une affaire personnelle, une question d’honneur.

 

L’ennemi, bien que vaincu, avait fait l’affront de venir guerroyer à son bon vouloir sur la terre-sainte, la moindre des choses allait être de lui rendre la monnaie de sa pièce. Tel était l’état-d ’esprit du Premier Consul, comme de tous ses généraux jusqu’au dernier des gardes.

La guerre, pour eux, ne faisait que commencer, il était temps à présent qu’ils montrent de quoi ils étaient capables, quand l’initiative était de leur côté.

 

Suite dans le prochain RP : Seconde campagne des Titanides.

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Annexe

 

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Détail sur la république des Titanides

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Présentation

Humains - Leader de la coalition, royaume frontalier non-lointain au Sud de l'Empire.

Contrôlée par un sénat composé d'oligarques un peu mégalos qui veulent accroitre leur influence sur le monde. La plupart des habitants sont des humains, les autres races y sont peu représentées et souvent réduites en esclavage. Nation particulièrement militariste, entretiens des légions commandées par des sénateurs. La gloire militaire permettant d'accéder à de hautes fonctions, ces derniers redoublent donc d'ambition. les soldats montent en grade au mérite, ils se sont jusqu'ici battus contre des peuples disparates et peu aptes à résister cela dit. Le nom de "titanides" vient d'une chaine de trois montagnes au centre du pays.

 

  • Gouvernement

Le gouvernement de la république des titanides consiste en un sénat qui prend toute les décisions.

Le Sénat est composé de 300 sénateurs devant tous être citoyens de la république et propriétaires terriens.

Le titre de sénateur ne se transmet pas, mais les sénateurs sont nommés à vie et remplacés à leur mort par vote dans la population. Le peuple élit donc un nouveau sénateur à vie.

Il n'y a pas de hiérarchie officielle entre les sénateurs, qui doivent tous être sur un pied d'égalité pour débattre en assemblée. Cependant, la coutume veut que l'on distingue:

- Le Senatoris Praetor, qui préside le sénat est est élu par les sénateurs tous les ans.

- Le Primus Senatoris, qui est le doyen de tous les sénateurs.

- Les Senatoris Legatus, qui sont les sénateurs commandant une légion et souvent issus de l'armée.

- Les Senatoris civilis, qui sont les sénateurs issus de la société civile.

De plus, en temps de guerre, un Senatoris Dux Bellorum est nommé par le sénat pour prendre le commandement de l'armée. Il a tous les pouvoirs sur elle mais peut être démis de ses fonction par le sénat si il est nul.

 

  • Unités de l'armée des titanides (échelle stratégique)

 

Armée légionnaire : 12 légions (~5000 hommes/légion) : ~60 000 hommes

Garde sénatoriale : 1 légion d'élite : 3000 hommes

Troupes auxiliaires : 28 000 hommes (~5000 fantassins et 2000 cavaliers/légion)

 

Les Légions

- Senatus Legionis (garde du sénat) - Primus Senatoris Legatus (1er légat senateur) Augustus Titanos

- I Legio - Senatoris Legatus (légat sénateur) Julius Ouranos (Mort à sable rouge) remp: Romulus Pharos

- II Legio - Senatoris Legatus Paulus Cronos 

- III Legio - Senatoris Legatus Lucius Helios 

- IV Legio - Senatoris Legatus Cornelia Hephaistos (Morte à Tolwhig) Légion décimée

- V Legio - Senatoris Legatus Decimus Argos (Mort à la butte du diable) remp: Remus Andros

- VI Legio - Senatoris Legatus Marcus 

- VII Legio - Senatoris Legatus Tiberius Ouranos (fils de Julius Ouranos)(Mort à Saulême) Légion décimée

- VIII Legio - Senatoris Legatus Julia Pluribus

- IX Legio - Senatoris Legatus Publimus (Mort à Saulême) Légion décimée

- X Legio - Senatoris Legatus Maximus Titanos (fils d'Augustus Titanos)

- XI Legio - Senatoris Legatus Gaius

- XII Legio - Senatoris Legatus Lupusregina 

 

Les Légions Auxiliaires

- I Auxilia Legio - Auxiliaris Legatus Jonas 

- II Auxilia Legio - Auxiliaris Legatus Melios (Mort à Saulême) Légion décimée

- III Auxilia Legio - Auxiliaris Legatus Emilius

- IV Auxilia Legio - Auxiliaris Legatus Vesta

 

 

  • Structure de l'armée des titanides

Légion Titanide :

- 4500 fantassins (9 cohortes de 500 hommes, réparties en 5 centuries de 100 hommes)

- 500 cavaliers légionnaires (5 centuries)

 

Légion Auxiliaire :

- 5000 fantassins (10 cohortes de 500 hommes, réparties en 5 centuries de 100 hommes)

- 2000 cavaliers (4 cohortes de 500 hommes, réparties en 5 centuries de 100 hommes)

 

  • Grades de l'armée titanide

- Primus Dux Senatoris: Général en chef, grade temporaire donné à un Senatoris Legatus aguerri

- Dux Senatoris: Général d'une armée, grade temporaire donné à un Senatoris Legatus aguerri

- Primus Senatoris Legatus: Premier légat-sénateur, doyen des légats-sénateurs et chef de la garde

- Senatoris Legatus: légat-sénateur, général d'une légion titanide

- Auxiliaris Legatus: légat citoyen, général d'une légion auxiliaire, pas sénateur, charge vénale 

- Primus Tribunus: Second du légat dans la légion, chef d'état-major (colonel adjudant-commandant)

- Tribunus: Commandant d'une cohorte (colonel)

- Primus Centuriones: Second du Tribunus (commandant)

- Centuriones: Commandant d'une centurie (capitaine)

- Optio: Adjoint du Centurion (lieutenant)

- Decanus: sous officier dans la centurie (sergent)

- Immuni: Soldat aguerri (caporal)

- Munifice: Simple soldat

 

 

Détail sur le marquisat de Vaulbandt

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  • Présentation

Toutes les races - Le marquisat de Vaulbandt est un fief qui marquait la frontière du monde connu. Il est relativement perdu au milieu de nulle-part, et ne compte qu'une ville fortifiée qui était autrefois une citadelle vouée à protéger la région frontalière pendant la guerre civile. Une fois la guerre passée, la zone a été démilitarisée et la citadelle est devenue une ville nommée "Harneim".

Privée de gestion officielle ou de gouvernement, la ville est rapidement devenue un repère de contrebandiers, d'esclavagistes et de canaille en tout genre; bien qu'elle héberge également de nombreuses familles souvent pauvres, et des aventuriers de passage.

Pour remettre de l'ordre, un marquis a été envoyé sur place avec la tâche de reprendre la région en main. Mais ce dernier, qui ambitionnait de devenir Duc plutôt que d'être envoyé au bout du monde pour s'occuper d'une ville-frontière, a rapidement viré de bord et a la réputation d'être corrompu, bien que peu de preuves aient pu être réunies contre lui. Profitant de son statut de marquis, qui lui donne le doit de lever des armées, ce dernier a également formé une milice de 5 000 hommes qu'il paie des parts que lui offrent les contrebandiers pour qu'il ferme les yeux sur leurs activités, où même qu'il blanchisse leurs revenus. Il compte également sur des bandes de brigands et de mercenaires, au nombre de 1 500.

 

  • Gouvernement

Le marquisat est un fief dirigé par le Marquis Maximilien Edmond De Vaulbandt, un aristocrate et noble corrompu. Il est aidé dans sa tâche par le Baron Auguste d'Herneim, son disciple.

Le marquis et son administration sont gangrenés par des réseaux de trafiquants, et plus récemment par la république des Titanides qui a payé de fortes sommes pour la défection du fief.

 

  • Structure des troupes de Vaulbandt

Milice

- Groupe des vétérans de la milice (1000 hommes)

- 1er Groupe de milice (1000 hommes)

- 2e Groupe de milice (1000 hommes)

- 3e  Groupe de milice (1000 hommes)

- Groupe de milice montée (1000 hommes)

 

Mercenaires

- Bande du loup gris (500 hommes)

- Compagnie des montagnards (500 hommes)

- Bande des embusqués (250 hommes)

- Bande des poignets-ferrés

 

  • Grades des troupes de Vaulbandt

Grades de la milice

- Commandeur (le marquis Edmond De Vaulbandt)

- Vice-commandeur (le baron Auguste d'Herneim)

- Major (groupe, 1000 hommes)

- Capitaine (compagnie, 100 hommes)

- Adjudant-capitaine (adjoint du capitaine)

- vétéran (soldat aguerri)

- appointé (soldat expérimente)

- milicien (soldat de base)

 

Grades des mercenaires

- Chef d'une bande (500 à 250 hommes)

- Bras-droit (adjoint du chef)

- Ailier (100 hommes)

- Barbu (mercenaire aguerri)

- Mercenaire (Simple mercenaire)

 

 

 

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